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Mustapha Chérif lauréat du Prix Unesco-Sharjah pour la culture arabe 2013

Mustapha Chérif lauréat 2013 du Prix Unesco-Sharjah pour la culture arabe et le dialogue des cultures

PARIS – L’universitaire algérien Mustapha Chérif a été déclaré lauréat du Prix Unesco-Sharjah pour la culture arabe 2013, pour ses contributions à la promotion de la culture arabo-musulmane, a-t-on appris ce vendredi auprès de l’agence onusienne à Paris. Proposé par la délégation permanente algérienne à l’Unesco, l’intellectuel algérien a été désigné lauréat par un jury international et distingué. La distinction lui sera remise le 25 avril 2013, lors d’une cérémonie qui sera présidée à la Maison de l’Unesco à Paris, par la directrice de l’agence onusienne, Mme Irina Bokova. (APS)

La fondation italienne Ducci a attribué le « Prix Ducci pour la culture de la paix » 2013 à l’universitaire algérien, Mustapha Chérif

Culture

(APS) mardi 26 février 2013 09 : 47
Mustapha Chérif distingué du « Prix de la Fondation Ducci pour la culture de la paix »

ALGER – La fondation italienne Ducci a attribué le « Prix Ducci pour la culture de la paix » 2013 à l’universitaire algérien, Mustapha Chérif, en considération de son engagement dans la valorisation du dialogue interculturel et inter-religieux.

La Fondation Ducci a décidé d’attribuer ce prix à M. Chérif pour son « œuvre concrète de promotion de connaissance réciproque » et ses « efforts pour la recherche d’une culture de la paix durable entre les cultures », relève-t-on sur le communiqué de la fondation.

Mustapha Chérif devient ainsi le premier intellectuel algérien distingué par cette fondation qui intervient dans les champs économique, scientifique, culturelle, artistique et de la recherche historique.

Il a déclaré à l’APS être honoré, en tant qu’intellectuel algérien, par cette distinction « au regard, dit-il, de l’œuvre accomplie pour présenter la véritable image de la culture et civilisation algériennes, carrefour des civilisations et terre d’hospitalité ».

A travers l’affirmation de la pensée et de la créativité, composants principaux de la civilisation européenne, la fondation Ducci vise à faire face aux changements induits par la mondialisation en établissant un « dialogue ouvert » entre l’Europe et le reste du monde.

Pour l’universitaire algérien qui adhère à cette vision, le dialogue des cultures a justement pour but de « faire reculer l’ignorance et les préjugés », source de tensions dans un « monde marqué par une mondialisation ambivalente », a-t-il dit.

A ses yeux, depuis l’Emir Abdelkader et jusqu’à la révolution de novembre 1954, « l’Algérie qui a été une polarité mondiale pour le droit des peuples et la liberté, n’a eu de cesse de montrer que la culture de la paix et de la dignité sont le fondement d’une nouvelle civilisation ».

Mustapha Chérif est professeur à l’université d’Alger et directeur de Master en civilisation musulmane à l’université de Catalogne, en Espagne. Il est aussi l’auteur d’ouvrages sur les thèmes de la culture, de l’éducation et du dialogue interculturel dont « L’islam à l’épreuve du temps », « Islam tolérant ou intolérant » et « Rencontre avec le pape ».

Dialogue culturel Euro-Arabe

UNESCO, Paris 30 Janvier 2013

Dialogue culturel Euro-Arabe

Education et Jeunesse

Par Mustapha Cherif

Son excellence la DG de l’UNESCO, Madame Irina Bokova, excellence, Madame l’ambassadeur de l’UE auprès de l’UNESCO, Monsieur l’Ambassadeur chef du bureau de la LEA auprès de l’UNESCO, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, honorables invités, c’est un grand honneur de m’adresser à votre auguste assemblée. Nous sommes fiers d’être profondément attachés à l’Unesco qui aujourd’hui, sans l’ombre d’un doute, jouit d’une crédibilité exemplaire aux yeux de l’opinion publique internationale et en particulier arabe. Dans un monde en crise permanente, l’UNESCO œuvre pour la paix et le rapprochement entre les peuples avec détermination et notre rencontre en est l’illustration. La problématique posée par le présent colloque est au cœur des enjeux des relations internationales et de l’avenir du monde. Depuis longtemps le monde arabe exprime son souci du dialogue culturel euro-arabe.

Par le passé, autour de la Méditerranée, par delà des moments de heurts, la circulation des cultures a donné au monde une lumineuse civilisation, « judéo-islamo-chrétienne » et « gréco-arabe ». Le défi est de retrouver un ensemble commun, où le pluralisme et le droit à la différence sont respectés.

Cette possibilité est aujourd’hui contredite par le système mondial hégémonique uniformisant, les extrémismes de tous bords et la sous culture consumériste, qui ne favorisent pas l’acceptation d’autrui différent. La jeunesse est perturbée. D’où l’importance d’apprendre à dialoguer. Par l’éducation interculturelle au profit de la jeunesse, il sera possible de réinventer une nouvelle civilisation commune qui fait défaut.

Ce défi exige de nous tous de mettre l’accent sur des normes universelles communes et éduquer au respect du droit à la différence. Apprendre à la jeunesse d’articuler spécificité et mondialité, l’un et le multiple, est la tâche de l’heure. Les principes fondateurs de l’UNESCO et ses «Lignes directrices sur l’enseignement de l’éducation interculturelle» sont une source de références pour tous les éducateurs. Il est utile de rappeler que cinq recommandations font consensus, notamment en ce début de la « Décennie internationale du rapprochement des cultures » :


- Nourrir la culture du dialogue dés le jeune âge.

-Enseigner les bienfaits de la diversité culturelle.

-Créer des outils et espaces pour l’interconnaissance culturelle.

-Utiliser les NTC pour former la jeunesse.

- Favoriser les échanges et les rencontres interculturelles.

Il s’agit d’éduquer à la culture de la paix, à l’acceptation de la différence, de la multi-appartenance et de désaccords raisonnables, afin de favoriser la coexistence. L’interconnaissance est essentielle. Pour qu’une «communauté de culture » ait une existence réelle, les individus qui la composent doivent avoir la possibilité de partager leurs repères, qui donnent du sens à leur vie, chaque fois singulier et la dimension du vivre avec les autres.

Apprendre à vivre ensemble, passe par cette reconnaissance. Il est illusoire autrement de prétendre reconnaître la culture des autres comme telle. Pour ce faire, les programmes éducatifs devront intégrer cette approche du respect mutuel.

À cette condition, l’élargissement de notre sentiment d’appartenance à l’humanité toute entière l’emportera. Chaque jeune doit apprendre que nul ne doit imposer à tous les autres une norme dont il veut qu’elle soit une loi universelle. Nous avons à apprendre à soumettre notre norme à tous les autres, afin d’examiner par le dialogue notre prétention à l’universalité. La référence valable ne consiste pas dans ce qu’un seul monde souhaite unilatéralement, mais dans ce qu’ensemble nous pouvons reconnaître comme une norme universelle.

Avec l’introduction, aux programmes scolaires, de la matière intitulée « Interculturel », nous pourrons, européens et arabes, apprendre à notre jeunesse à pratiquer le dialogue, le débat, la confrontation pacifique des idées, car nul n’a le monopole de la vérité. Mettre en pratique une citoyenneté de l’altérité est une exigence de l’école du futur. Vivre ensemble, dans un paysage de diversités culturelles et de différences multiples, impose des règles et une pédagogie. Se faire comprendre et comprendre autrui n’est pas systématique. Cela nécessite un savoir, des méthodes et un état d’esprit, un nouveau paradigme.

Rien n’est donné d’avance, vivre ensemble en bonne intelligence nécessite un apprentissage. Nous savons que tout être porte en lui deux tendances : l’une est celle de l’égocentrisme; l’autre est le souci du partage. Notre monde en crise confronté à des problèmes multiples, favorise trop souvent la première tendance. Le travail des institutions et des Hommes dotées du savoir et des compétences, ont pour mission de mettre l’accent sur la deuxième dimension.

Permettez-moi de partager avec vous une conviction : conjuguer modernité et authenticité sera possible grâce au dialogue interculturel euro-arabe. D’autant que nul n’est monolithique. Nos cultures sont imbriquées, liées, entremêlées. Nous devons l’inculquer à la jeunesse. Certes, la culture européenne met l’accent sur l’individu et l’exercice de la raison sans condition ; la culture arabe, tout en revendiquant la rationalité, tient à la valeur de l’éthique et de l’être commun.

Les deux approches sont différentes, mais ne sont pas antinomiques. Elles sont complémentaires et ne peuvent que s’enrichir l’une de l’autre. Eduquer la jeunesse sur ces bases permettra de mettre fin aux préjugés et découvrir une vérité historique : nous sommes bien plus proches que ce que les imaginaires des uns et des autres veulent faire croire.

Les NTIC démontrent que les jeunes ne sont pas dupes. Ils savent dépasser les différences, sans les nier. Eduquer une jeunesse ouverte à l’altérité est le meilleur rempart contre toutes les formes de nivellement, d’exclusion et de conflits. Une jeunesse cultivée est le meilleur remède contre la violence. Aucune région du monde n’a le droit d’imposer aux autres sa conception de l’existence. Il n’y a pas d’alternative au dialogue pour apprendre à vivre ensemble. C’est une responsabilité collective.

Je vous remercie.

Mustapha Cherif, Professeur des Universités, spécialiste de la culture arabe et du dialogue des cultures, ancien ministre de l’Enseignement Supérieur (Algérie)

Voeux

Vœux universels pour 2013 : continuons à vouloir être créatifs, à dialoguer, afin d’être à l’écoute des nouvelles générations éprises de vrai, de juste et de beau. Pour faire reculer la méconnaissance, l’ignorance et l’intolérance, nous devons donner la parole à plus de  femmes et à plus de jeunes.  Ils sont partout sensibles à la générosité et à la civilisation. Tout intellectuel attaché au droit à la différence, au vivre ensemble et à la coexistence, doit assumer ses responsabilités et continuer de construire des ponts entre les cultures, par la transmission de la connaissance du passé et de ses leçons et une vision ouverte sur l’avenir !  Nul n’a le monopole de la vérité. L’Émir Abdelkader disait « l’humain universel est le but de la culture » !

Lu

Lu dans El Watan

le 13.12.12 |

Publication. Le Coran et notre temps de Mustapha Chérif

Immersion dans la pensée musulmane

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Nouvel essai de Mustapha Chérif, ancien ministre, professeur à l’Université d’Alger et spécialiste de la civilisation musulmane et du dialogue des cultures.

S’appuyant sur une démarche académique empruntant aux sciences sociales pluridisciplinaires les méthodes scientifiques les plus éprouvées, l’auteur invite le lecteur musulman et non-musulman à une immersion dans la pensée musulmane et à une lecture «ijtihadiste» du Coran, loin des dogmes et de la compréhension rigide et ritualiste des tenants de l’orthodoxie musulmane portée par le courant salafiste. Le propos est d’actualité et l’auteur n’a pas manqué d’ailleurs dans le préambule de planter le décor, affirmant que «l’image de l’Islam est méconnue et se trouve au cœur de problèmes et d’enjeux qui secouent le monde».

Surtout, précise-t-il, depuis la chute du mur de Berlin et les attentats du 11 septembre 2001. «Il est impérieux de travailler à une lecture et à une présentation du Coran qui répondent aux exigences des temps contemporains», souligne l’universitaire. Tout au long de son essai de 366 pages, paru aux éditions ANEP, Mustapha Chérif se fera le fervent défenseur de l’ijtihad (interprétation) quant à la lecture et l’exégèse du Coran. A la présentation linéaire et figée dans le temps et l’espace de certains penseurs musulmans autoproclamés gardiens de l’authenticité du message coranique, l’auteur oppose une lecture audacieuse du Livre Saint, fondée sur une analyste structuraliste qui ne fait pas dire autre chose au Coran que ce qui est véhiculé par la Parole révélée. Rien de plus, rien de moins.

Mustapha Chérif défend, dans cet essai, l’idée d’un Islam, religion d’ouverture et de tolérance qui concilie authenticité et progrès, foi et raison , temporel et spirituel comme il l’a fait du reste dans tous ses autres ouvrages et dans ses positions et déclarations publiques sur l’universalité du Livre Saint, autant que sur son intemporalité. «En tant que Message pour une grande partie, le Coran a une ligne directrice, des aspects clairs, permanents, valables en tout temps et lieu. En même temps, il véhicule parfois des informations que nous pouvons appréhender différemment d’un lecteur à l’autre, d’une époque à l’autre, selon le contexte et à la mesure de la compréhension de chacun», argumente l’auteur, qui renvoie dos à dos le «courant de la tradition fermée» et le «courant dit moderniste qui impute à l’Islam les dérives extrémistes commises en son nom».  «L’Islam se veut Orient et Occident, favorable au progrès, au vivre ensemble et à la diversité», relève l’universitaire.

Pour mieux comprendre la profondeur du Message coranique, Mustapha Chérif invite les lecteurs à découvrir le processus historique de la révélation du Message divin depuis la «descente» des premières sourates, en s’arrêtant sur les périodes charnières de la collecte et de l’authentification des versets par les différentes chevilles ouvrières que furent d’abord le prophète Mohamed (QSSSL), et ensuite les différents califes qui ont patiemment rassemblé, sauvegardé les matériaux sacrés sous forme d’écrits immortalisés sur des feuilles de palmiers, des omoplates de chameaux et sur des pierres plates, avant d’être envoyés à l’édition avec l’avènement de la Révolution industrielle et de l’imprimerie.

Dans son essai, l’auteur se livre à une analyse de certains versets et sourates qu’il considère comme fondatrices de la dimension infinie, inimitable, universelle du Coran. Tout comme il s’efforce de dépeindre le portait du bon musulman à la lumière de la pratique religieuse puisée de l’observation des cinq piliers de l’Islam, dont il dissèque avec un grand souci didactique le sens profond et le message authentique prôné par le Livre Saint.

O.B

La culture du vivre ensemble en toute équité: le couple face à la crise morale

Le couple face à la crise morale

L’équité

Par Mustapha Cherif

Contrairement aux préjugés et pratiques archaïques, la civilisation musulmane et la culture arabe honorent la femme. Au sujet de la cellule familiale, du rapport entre l’homme et la femme, Le premier point essentiel a trait à l’égalité et l’équité entre l’homme et la femme. Le passage de l’époque préislamique à celle qui commence avec la Révélation est un changement radical qui améliore nettement le statut humain et social de la femme. Contrairement à une idée répandue, l’islam voit clairement d’abord la question sous l’angle éthique de l’égalité de la femme et de l’homme.

Ontologiquement, la femme en islam est l’égale de l’homme, même si, à ce sujet, la version musulmane n’est pas celle du féminisme extrémiste et du libéralisme sauvage. Le concept-clef qui fonde l’égalité est celui d’humains, al-nâs en arabe, terme cité trente-quatre fois par le Coran. Contrairement aux interprétations qui restreignent ce terme aux seuls hommes, il souligne l’égalité et la complémentarité. Il préconise, entre les deux sexes, un partage dans la réciprocité et la cohérence.

La sourate « Les Femmes » est claire : « Humains, prémunissez- vous envers votre Seigneur. Il vous a créés d’une âme unique, dont il tira pour celle-ci une épouse ; et de l’une et l’autre, Il a répandu des hommes en nombre et des femmes. Prémunissez-vous envers Dieu, de qui vous vous réclamez dans votre mutuelle sollicitation et aussi envers les matrices. En vérité, Dieu vous observe en permanence ! » (4 : 1).

C’est le propos premier, principal. L’accent est mis sur l’idée selon laquelle la vérité de l’existence est à chercher dans l’origine et le devenir communs, dans l’égalité, la relation, l’union, non pas chez l’un ou chez l’autre, pas plus que dans la domination, la séparation ou l’opposition.

L’égalité face à Dieu est signifiée sous des formes diverses tout le long du Coran. Revenir à la source des textes religieux pour ériger une théorie coranique de l’égalité des genres est possible. Le Coran et la Sunna s’adressent autant à l’homme qu’a la femme. Preuve de l’égalité, l’ensemble du discours coranique s’adresse à la fois aux hommes et aux femmes, en utilisant le masculin et le féminin : « Ô croyants, ô croyantes ! », dans tous les sens du terme.

En langue arabe, il n’est pourtant pas nécessaire d’utiliser le masculin et le féminin pour faire référence aux deux sexes. Cependant, afin qu’il soit clair que l’adresse soit autant en direction des deux genres, le texte sacré utilise le féminin et le masculin. Cette précision indique que le Message de lislam concerne les hommes et les femmes.

C’est une révolution par rapport à toutes les autres traditions religieuses et culturelles : «Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, les hommes pieux et les femmes pieuses, les hommes sincères et les femmes sincères, les hommes patients et les femmes patientes, ceux et celles qui craignent Dieu, ceux et celles qui pratiquent la charité, ceux et celles qui observent le jeûne, ceux et celles qui sont chastes, ceux et celles qui invoquent souvent le Nom du Seigneur, à tous et à toutes Dieu a réservé Son pardon et une magnifique récompense » (33 : 35).

Comme le reconnaissent même ses opposants, le Prophète a toujours eu un comportement exemplaire, profondément humain et respectueux de ses épouses et des femmes en général. Il leur accordait de la considération. Il n’a jamais por la main sur l’une d’elles, ni utilisé contre quiconque la moindre violence. A chaque occasion, il rendait hommage aux femmes et leur confiait des responsabilités de premier plan.

Le Prophète se souciait de la condition de la femme et de la structure du vivre- ensemble, qui nécessite de dépasser les différences, sans pour autant les nier. L’égalité, l’équité et la complémentarité sont au fondement de la relation homme-femme signifiée par le Coran et le Prophète : « Quiconque, homme ou femme, aura fait le bien tout en étant croyant, Nous lui assurerons une vie heureuse. Et Nous les récompenserons en fonction des meilleures de leurs œuvres » (16 : 97). La femme est l’autre, mais elle est aussi le même. Comme pour l’homme, elle est celle à qui l’on parle et qui a le droit à la parole.

Il ne peut y avoir une hiérarchie ou supériorité injuste de l’un sur l’autre, mais un rapport de respect, de complémentarité et d’interdépendance. L’homme et la femme, selon l’expression coranique, sont le vêtement de l’un et de l’autre, même si le mystère de la relation femme- homme reste entier, que l’homme est mis face à ses prérogatives d’époux pour assumer et subvenir obligatoirement aux besoins de sa famille, et qu’en matière de prise de décision dans les affaires familiales, la responsabilité finale, après consultation de l’épouse, incombe à l’homme.

Sans le regard de l’autre, la comparaison à d’autres, il est difficile de pratiquer l’autocritique et de progresser. Cependant, le discours dominant aujourd’hui, dans le monde, empêche de comprendre que les valeurs de chacun ne sont pas les seules possibles, que d’autres références, d’autres systèmes de pensée ont permis et permettent encore à des sociétés humaines, de s’épanouir, voire d’articuler les aspects essentiels de la vie. Le monde qui prévaut, certes fort de ses acquis scientifiques, a tort de ne voir dans les religions et les cultures des autres, que superstition, fiction et arriération, alors qu’elles ont su et savent encore réaliser entre l’homme et le monde, entre l’homme et les autres un équilibre, que la tendance générale ne sait plus réaliser.

La famille, qui était le lieu de l’humanisation, de la régénérescence et de la sociabilité, subit les domaines angoissant des conflits, des violences, des ambivalences et des confusions : confusion entre le proche et le lointain, le vrai et le faux, le bon et le mauvais, confusion qui est une dépendance aussi bien à la mauvaise mère ou au mauvais père (trop d’interdits, trop d’absence, trop de séparation, trop de frustration, trop de douleur) qu’à la trop bonne mère et au trop bon père (fusion, trop de présence, trop de laxisme et de permissivité).

Tout se passe, faute de politique et de culture éclairées, comme si la fonction paternelle, la norme éthique, qui régule, n’était pas comprise et appliquée, ou à tout le moins mal régulée ; comme si les hommes d’aujourd’hui, tels ces enfants qui transgressent pour qu’on leur fixe des limites, s’abandonnent à une démission ou satisfaction pulsionnelle illimitée, mais aussi à des états de violence, de désespoir et de solitude sans nom, préludes au suicide. Les jeunes, qui se livrent aux excès, souvent les donnent à voir dans l’espoir de provoquer une réaction, une réponse. Ils attendent secrètement qu’une régulation émane d’un ordre supérieur

Les hommes d’aujourd’hui commettent des transgressions de manière plus sauvage que par le passé et sombrent dans les excès. En réinventons un rapport juste et équilibré entre le féminin et le masculin, entre le père et la mère, entre les générations, il sera possible de faire face aux défis de notre temps. Gardons nous d’imiter des modèles inadaptées à notre ligne du juste milieu.

Pour le Prophète, l’altérité féminine est la plus belle, la plus profonde et la plus secrète des altérités, qu’il faut respecter et estimer. Si la femme n’est pas un homme, elle est et demeure humaine, à l’opposé des extrémistes religieux qui valorisent la femme.

Il y a lieu, à ce niveau, de garder le cap sur la ligne médiane : ni enfermer, cacher et obscurcir la femme, ni l’exposer dans un exhibitionnisme humiliant. Garder la mesure est la ligne de conduite. Au Paradis, le voile de lumière, nous dit la tradition, séparait Adam et Eve de la vue de leur corps; lorsqu’ils mangèrent du fruit interdit, ils découvrirent leur nudité, en même temps que leur apparut la nécessité de porter un vêtement, premier sentiment de pudeur.

« Etre le vêtement l’un de l’autre » (verset) est l’une des plus belles paraboles du Coran qui marque le devenir commun. Chacun doit préserver l’intimité de l’autre, se porter assistance et tendresse. La société n’a pas besoin de brutalité, mais de douceur.

Mustapha Cherif

Choc ou alliances des civilisations?

Choc ou alliances des civilisations?

Par Mustapha CHERIF*

« Dialogue des civilisations », ces mots sont tellement usés que leur usage est suspect. Dans un contexte où le cynisme, la cruauté, l’arrogance et le double langage sont banalisés, ne servent-ils pas d’enseignes à l’entreprise de justification de l’hégémonie, dont la loi est celle de la concentration croissante des richesses et des instruments de décision, même si d’autres pôles sont en cours d’émergence ? Celui qui se déclare algérien, maghrébin, arabo-berbère, méditerranéen, africain, héritier de l’esprit de l’Andalousie, connaît la valeur réelle de ces mots. Alors que les deux mondes, Occident –Orient, sont mêlés et imbriqués, et qu’aujourd’hui on peut dire que la distinction entre eux n’a pas vraiment lieu d’être, des propagandistes cherchent à les opposer et à imposer l’amnésie afin de faire diversion aux injustices et souffrances. La riche histoire de notre pays prouve qu’il est possible d’articuler culture de la résistance et ouverture sur le monde.

Durant des siècles se sont mêlés des peuples d’Orient et d’Occident. Dialoguer est une pratique ancienne et sage. Pourquoi ne serions-nous pas capables de nous penser comme un creuset pour une culture encore inédite ? La « mondialité » peut porter les chances d’un espace commun de sens possible. Ce monde est bien le nôtre, celui de tous. Cependant, trois causes au moins nourrissent la logique de la confrontation : 1- L’ignorance 2- Les injustices et 3- la stratégie d’hégémonie. Cela suscite un regain de la xénophobie, d’une part et du fanatisme d’autre part. L’Algérie a toujours privilégié le dialogue, les solutions pacifiques et le rapprochement entre les peuples. Il y a urgence à dialoguer, pour désenclaver les cultures, car les identités repliées et cloisonnées sont la manifestation du problème. La sortie de crise morale mondiale passe par le dialogue interculturel.

On ne dialogue pas pour dicter sa loi. Un dialogue n’est pas seulement un face-à-face avec autrui, il est avec soi-même acceptant d’être transformé. On a besoin les uns des autres, nul ne peut faire face seul aux défis complexes et multiples de notre temps, les enjeux sont les même pour tous, à commencer par celui du risque de déshumanisation, quelque soit la différence entre faibles et puissants. Le dialogue interculturel, doit favoriser des réponses crédibles face aux défis éducatifs communs, tels comment l’Ecole et l’Université doivent-elles faire coexister les deux cultures, celle des humanités et celle de la scientificité, celle des valeurs éthiques et celle de la logique du Marché, celle de la mémoire et celle du futur ? Comment articuler l’excellence avec la massification, le primat de la vérité et l’éthique de la connaissance avec l’utilité et l’efficience?

Le Choc : une diversion

Les écrits depuis 1993 sur la stratégie du « clash des civilisations » sont l’expression de l’ignorance et de l’invention inique de l’image d’un nouvel ennemi après la chute du mur de Berlin en 1989. L’islamophobie est une diversion ancienne. Le concept insensé de « choc des civilisations » réduit les tensions à des questions culturelles, alors que les civilisations sont pas natures ouvertes les unes sur les autres. Malgré des siècles de rapports féconds, l’islamophobie au Nord et les courants du repli au Sud présentent des tableaux tronqués, ils nient les liens entre les cultures. Des jugements de valeur refusent la diversité et opposent des blocs imaginaires.

L’Occident a été judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe. Le monothéisme, l’humanisme et la Méditerranée sont nos sources communes, combinées, entremêlées et recomposées. Il n’y a pas d’hostilité entre les civilisations, mais des courants tentent de cibler autrui différent comme ennemi, afin que les pulsions de violence qui sommeillent en chacun exacerbées par les misères économiques, psychiques, culturelles, les injustices, les inégalités et l’oppression, se déversent dans une autre direction que celle des systèmes dominants. C’est la politique du bouc émissaire, de la culture de la peur, qui désigne l’autre comme une menace. Il ne peut y avoir d’entente, d’échange et de partage si d’entrée de jeu on appréhende l’autre comme un ennemi potentiel. Dans ce contexte les courants xénophobes dénient à l’autre civilisation les points de convergences, la part qu’elle a prise à l’œuvre de l’humanité et refusent de reconnaitre en l’autre son droit à vivre librement ses multiples appartenances.

L’on ne pourra pas comprendre l’humanisme, « qu’est ce l’homme ? », sans dialoguer avec les autres civilisations. « L’humanisme ne pense pas assez haut l’humanitas de l’homme », reconnait la philosophie moderne. La civilisation de l’humanisme n’est pas visible, c’est parfois même le contraire qui transparait. Il ne s’agit pas de faire retour au sacré comme solution, mais de réactiver l’humanisme et l’éthique, car 1- l’autrui contribue à faire connaître ce que veut dire être « humain » 2- s’ouvrir à des normes communes a peu à voir avec les dangers que les approches fermées font courir à la liberté et à la dignité des hommes 3- vivre ensemble est incontournable. Les défis communs appellent à faire entendre la voix de cultures dignes de leurs hautes traditions, non pas seulement « modérées » – qualificatif faible- mais celles de l’interprétation, de l’ouverture, de la hauteur de pensée, ce qui n’exclut pas la vigilance, la critique et l’autocritique. Retrouver des normes culturelles universelles qui organisent le commun, sans avoir à nier autrui, est une des tâches essentielles de notre temps.

Des politiques et des médias imposent au Nord un discours négatif sur autrui différent, au Sud sur l’Occident. Les préjugés datent de 15 siècles. Edifier des passerelles, éducatives, épistémologiques et culturelles, est vital. La place primordiale de la culture ne peut être niée. Sans les dimensions humaines et culturelles, le partenariat sera amputé de l’essentiel. Le concept de « Maghreb » qui renvoi à des dimensions géoculturelles doit êtres gardé en vue, la Méditerranée n’est pas le lieu de la dilution. L’Algérie est centrale dans cet horizon et son parcours démontre que la notion de communauté médiane est possible.

La culture au cœur du débat

Sur le plan de l’histoire culturelle, l’Occident s’est forgé en opposition à ses altérités, dans un mouvement de rupture et d’appropriation de la raison, de la démocratie et de la sécularisation. Ces concepts méritent d’être réinterrogés, car contrairement aux préjugés, ils ne sont pas étrangers à d’autres cultures. Dans ce contexte, alors que tous les Européens ne confondent pas spiritualité et fanatisme, l’inconscient collectif considère le « musulman » comme l’étranger qui résiste au système de valeurs modernes. Que les musulmans fassent lever des questions est légitime. Nous devons accepter les critiques au sujet de conduites problématiques, mais pas les amalgames et les jugements hâtifs. Il est vital de reconnaitre à l’autre le droit de garder vivante sa culture, sans se couper du monde.

Les Lumières de la raison instrumentalisée n’ont pas éclairé la totalité de l’être humain, alors que des questions culturelles comme « Comment apprendre à vivre ? », « Qu’est-ce que l’homme ? », « Quel sens donner à la vie ? » se posent, on nous refuse le droit à la critique. Des opinions s’interrogent sur l’état du monde musulman : les débats sur la réforme, le pluralisme, la bonne gouvernance ? Ce n’est pas être islamophobe de poser ces questions. Mais, à l’opposé de ce qu’ils peuvent penser, il existe une islamophobie où c’est le Musulman, comme le Juif hier, qui est condamné. Hantée par la religion, l’Europe est traversée par deux mouvements, l’effort pour faciliter le partenariat et une tournure crispée envers les musulmans.

Il n’est pas exact que tout l’Occident assimile « culture traditionnelle » et « fanatique », mais des propagandistes pour masquer leurs impasses parlent de choc et font croire que la culture de l’autre est source de violence. Injustices et politique des deux poids et deux mesures contredisent, les principes civilisationnels. L’opinion finit par ne plus voir que la violence de l’autre, dont elle ne saisit pas les raisons. Certes, le monde entier constate à quels extrémismes peut conduire la dérive fanatique de certains « adeptes » d’une grande religion. L’usurpation du nom est injustifiable, « le musulman est parfois une manifestation contre sa religion » (1) affirmait, il y a un siècle, l’Emir Abdelkader El Djazairi. Comme le souligne Hannah Arendt, c’est souvent le résultat de provocations et d’injustices : « Dans les régimes totalitaires, la provocation… devient une façon de se comporter avec son voisin » (2).

Droit à la critique

Nous avons abouti à une situation ambivalente. Malgré les acquis de la sécularisation, le développement du savoir détaché des sources traditionnelles, comme l’a été le savoir arabe, l’émancipation en Europe vis-à-vis de l’autorité de la tradition et une séparation logique de la sphère du public et du privé, a abouti à la marginalisation des principes abrahamiques et à une remise en cause de la possibilité du dialogue interculturel, de la justice et du vivre ensemble. Le risque est celui d’une neutralisation des deux dimensions de l’homme : le politique (la démocratie) et le religieux (une éthique).

Après les mots d’ordre totalitaires « tout est politique » ou « tout est religieux », on impose « rien n’est politique, rien n’est religieux », pour laisser place au nihilisme et au nouveau mot d’ordre : « tout est marchandise ». Cette vision réductrice impose une seule et faible culture, une seule conception du progrès et des relations entre les peuples. Le dialogue de sourds est désastreux et partant les relations culturelles internationales ne sont pas démocratiques. Pratiquer l’autocritique afin de dépasser ses propres points d’aveuglements au sujet des dérives de sa tradition et celles du désordre mondial est un devoir.

La modernité a permis de l’émancipation et en même temps, compte de choix arbitraires de systèmes dominants, a produit des inégalités, des injustices et de la déshumanisation. Aujourd’hui, de plus en plus de peuples ont pris conscience de ce paradoxe et se veulent modernes et humains, libres et conformes à une éthique, cosmopolites et singuliers. Ces exigences sont prometteuses. Cela signifie que l’on peut répondre à la désignification du monde, autrement que par le repli.

Sur ce plan de la culture, le citoyen moderne n’a plus de lien avec la diversité. Le multiculturalisme est contesté par l’ambition d’hégémonie. Le système éducatif se trouve en crise de par la crise globale sociétale. Ce n’est pas la fin du monde, mais c’est la fin d’un monde. Il nous faut le comprendre pour inventer un autre qui échappe à toute fermeture. Sur le plan du savoir, l’aspect inquiétant est la remise en cause de la possibilité de penser autrement et du principe d’autorité. Deux récits paradoxaux de la culture moderne affirment que la culture traditionnelle doit servir à consoler sans se mêler du monde ou bien est aliénation. Faute d’échanges culturels continus et conséquents la recherche commune du juste, du beau et du vrai est hypothéquée. Les impasses se mondialisent, ce qui rend urgent le besoin d’une civilisation du vivre ensemble. L’Algérie creuset de civilisation défend le dialogue des cultures.

Finalité du dialogue

Le dialogue des cultures a au moins trois buts : l’interconnaissance, la mise en place de normes communes, et la justice sur tous les plans, pour apprendre à vivre ensemble la mondialité. Le repli est étranger à notre culture. Le citoyen de la rive Sud a participé et le peut encore, à la recherche de la civilisation. La rive Sud doit retrouver son ouverture sur la plus grande des communautés celle de l’humanité, tout en conjuguant unité et pluralité qui a permis l’épanouissement et le vivre ensemble. Les discours dominants en rive Nord de leur côté doivent mettent fin à la politique du déni de ce que nous avons en commun et arrêtent d’imposer de manière régressive une vision monolithique et unilatérale de la culture. Responsabilité partagée.

Les mesures concrètes en découleront pour éduquer, humaniser et responsabiliser, comme une chance partagée. Cinquante années après le recouvrement de sa souveraineté, l’Algérie, carrefour des cultures et terre d’hospitalité, compte tenu de ses valeurs, de son histoire et de sa géographie, assume son universalité et sa singularité et reste plus que jamais attachée au dialogue des cultures, en vue de forger une société de la connaissance et contribuer à édifier une nouvelle civilisation universelle. Sachant que nul n’a le monopole de la vérité et que la justice et la pluralité sont au cœur de toute dynamique porteuse de progrés authentique, l’homme de bonne volonté ne peut que choisir la recherche du savoir et le débat interculturel, dans le respect mutuel. Il reste un avenir.

*Mustapha Cherif est Professeur des Universités, ancien ministre de l’Enseignement supérieur, spécialste du dialogue des cultures.

Mail : intellectuels@yahoo.fr
1- L’Emir Abdelkader, Lettres aux français édits Anep
2- A Arendt, Le Système totalitaire, Edition Essais-Points.

Le féminin et le masculin

La cellule familiale face à la crise

La femme l’égale de l’homme

Par Mustapha Cherif

La culture Arabe revisitée peut contribuer à forger une nouvelle civilisation, moderne, sans déséquilibre, ni misogynie. Affirmons immédiatement un principe de base: il n ‘ y a pas de hiérarchie entre l’homme et la femme, mais harmonie. Dans un monde soumis au rouleau compresseur de la mondialisation ambivalente et aux extrémismes de tous bords, tout le monde constate les maux sociaux qui minent la société désorientée. L’incivisme, l’individualisme et la dégradation des relations humaines, au sein de la société et de la cellule familiale, posent problème. La crise est morale.

Pour pouvoir rééduquer les nouvelles générations au respect de l’égalité homme -femme, apaiser et préserver l’humanité, il est important de revoir le fond de la question. Les vecteurs responsables de la formation civique des jeunes sont pluriels : les éducateurs, les politiques, les intellectuels, les parents, notamment les femmes, mères de famille. La responsabilité est collective. L’intellectuel a parfois l’impression de prêcher dans le désert. Pourtant, il ne faut point s’abandonner à la lassitude, toute parole réfléchie portera un jour ses fruits par la sécularisation.

Le problème est communicationnel et générationnel, comment faire parvenir le message à la jeunesse ? Il s’agit de didactique, de difficultés de mode de transmission de nos idées. Comment transmettre la vision tolérante de la vraie culture arabe et l’inculquer dans l’esprit d’une société en crise, privée d’épanouissement ? Une société qui a l’air sourde et malade. Comment répondre à ses attentes, l’éveiller au bien, l’apaiser, l’orienter ? Quel langage et outils faut-il employer ?

Le savoir, l’ijtihad et la pédagogie du juste milieu, s’imposent pour redonner à famille et à la femme une de leurs fonctions pivots : l’éducation, conformément aux valeurs bien comprises de notre patrimoine. Car si elles imitent aveuglement un modèle occidental caricaturé ou se repli dans un modèle oriental fermé et déphasé, l’avenir sera hypothéqué.

Le modèle civilisationnel

Nous ne pouvons pas bâtir une société équilibrée en dehors de notre éthique et socle civilisationnel arabo-berbère. La civilisation musulmane est celle du respect de la femme, de l’équilibre, de la recherche de l’harmonie et du vivre ensemble. La création miraculeuse de la vie repose sur l’équilibre. Dans ce sens, la vie humaine est basée sur le couple.

Contrairement à ce que prétendent les fondamentalistes et leurs délires,   l’islam vise l’égalité, l’équilibre, le partage et la complémentarité. Selon la parole du Prophète le mariage est la moitié de la religion. Respecter la femme nature, la logique de la dignité, autour de l’union d’un homme et d’une femme égaux en droits et devoirs est une donnée de base.

La question « du couple et de la femme et l’islam» est une source de quiproquos, de polémiques et d’incompréhension. Ce sujet est devenu un enjeu, instrumentalisé. Des dérives visibles dans des sociétés à tradition musulmane, relatives à la condition de la femme, ont des causes liées plus à l’ignorance et aux coutumes sociologiques qu’à la vision religieuse. Maintenant il faut expliquer la spécificité valide de ce modèle, qui a fait ses preuves et s’oppose à toutes les attitudes extrémistes. L’intégrisme et la misogynie sont l’anti-islam.

La société algérienne, proche de la notion de communauté médiane, doit se garder des dérives de toutes origines, qui dénaturent la cellule familiale. Authenticité et modernité, spiritualité et progrès, racines et universalité, autorité et équité, peuvent se conjuguer. Exclure une dimension ou l’opposer à l’autre est vouée à l’échec et suscite des troubles et dysfonctionnements.

La leçon est claire : Etre musulman et musulmane signifie respecter des repères et des valeurs, sans s’enfermer, encore moins dénaturer, instrumentaliser et discriminer. Les femmes ont les mêmes fins dernières que les hommes. Le fait, pour l’homme, d’être chef de famille et de perpétuer le paradigme patriarcal ne doit pas signifier iniquité. La femme est l’égal de l’homme. Le Coran ne distingue qu’entre ceux, hommes ou femmes, qui cherchent « Dieu » et ceux qui ne s’en soucient pas.

Il n’y a pas d’autre hiérarchie entre les êtres humains que la piété et le savoir. Chacun peut recevoir la baraka, la grâce de Dieu : « Il n’a pas été donné à un mortel que Dieu lui parle autrement que par révélation ou de derrière un voile, ou qu’Il envoie un messager (Ange) qui révèle, par Sa permission, ce qu’Il veut. Il est Sublime et Sage. » (42 : 51) Soyons toujours ouvert, apte à écouter, à dialoguer et à réfléchir avant d’agir, afin de pratiquer la justice dans nos rapports familiaux et sociaux.

Le Coran intervient pour éclairer et civiliser l’homme ( homme et femme)  confronté à l’épreuve du vivre. Il invite à honorer la vie sur la base d’une vision totale, qui ni ne confond ni n’oppose les dimensions fondamentales de l’existence. Il joint, lie et articule les aspects essentiels de l’humain dans la vie individuelle et collective, comme le masculin et le féminin. Il se veut le Critère de discernement (furqân) et de la clarté (tafçîl), et partant encourage à partager et échanger. La cellule familiale assume les prémisses de ce rôle social fondamental.

Nul n’a le monopole de la vérité et du salut. 83 fois le mot salut est cité par le Coran, pour signifier que rien n’est donné d’avance. Il faut le mériter. De notre comportement ici –bas, notamment avec nos proches, et avec toute la société, dépend le devenir. La femme est l’égal de l’homme .

Mustapha Cherif

Ramadhan 2012

Ramadhan 2012

La civilisation arabo-musulmane vise l’humanisation, la maitrise de soi et le partage. Le mois le plus béni s’annonce en 2012 avec ses lumières, ses vertus et ses bienfaits !

Jeuner, prier , bien agir envers autrui, signifient se connaitre sois -même et approfondir le sens spirituel de

l’existence…

La sérénité doit être le maitre mot de notre comportement afin de donner l’exemple du bel agir …

Mabrouk à tous

salam !

Pr Cherif

Entretien au sujet des deux nouveaux ouvrages !

Mustapha Chérif : « Islam, musulman, croire,

signifient « se mettre en état de paix »

Un entretien avec Mustapha Cherif, philosophe, expert du dialogue des cultures et des religions, professeur à l’Université d’Alger et directeur scientifique du Master International en Civilisation musulmane à l’Université Ouverte de Catalogne. Auteur d’une dizaine d’ouvrages, il vient de faire paraître aux éditions Al Bouraq à Paris (et à l’ANEP à Alger)  « Le Coran et notre temps » et « Le Prophète et notre temps ».

Pourquoi ces livres aujourd’hui sur le Prophète et le Coran?

L’avenir du monde dépend en partie du dialogue interculturel et de la relation entre les deux rives de la Méditerranée. L’ignorance a pris trop de place. L’islam est méconnu et l’objet de controverses. La littérature qui existe à son sujet est souvent celle du dénigrement, de la désinformation, de l’islamophobie, d’orientalistes et néo-orientalistes aux visées malsaines, et celle d‘intellectuels dits de culture musulmane qui se renient et se flagellent ; ou bien au contraire celle de l’apologie et du sentimentalisme de musulmans qui ne savent pas transmettre le vrai message, notamment en direction des non-musulmans.

Le Prophète est un modèle par excellence de l’humain pleinement équilibré et ouvert que le monde dominant ne connait pas. Il est celui qui est venu donner du sens et apprendre à l’humanité à surmonter l’épreuve du vivre-ensemble, de manière juste, digne et responsable. Il a libéré l’humain, contre toutes les formes d’oppression, institué la sécularité, encouragé la bonne gouvernance, l’Etat de droit et la citoyenneté, cela n’est pas assez connu.

Mon essai sur le Prophète ne se contente pas de relater sa biographie. Il présente un  éclairage nouveau dans un langage accessible, moderne, en fonction des interrogations de notre temps.Quelles décisions le Prophète aurait pris aujourd’hui face à tant de défis? J’analyse des concepts et des événements clefs de son œuvre, afin de montrer que les questions  qui étaient centrales pour le Sceau des prophètes, celles du sens de la vie, de la justice et du comportement sage, rationnel et civilisé, sont d’actualité.

Aujourd’hui, parce que notre époque est en profonde crise et que des usurpateurs du nom de l’islam favorisent la confusion, il est nécessaire de se souvenir de l’Homme total et universel, le guide qui a permis la civilisation musulmane. Il écoutait, consultait et réfléchissait toujours avant de prendre une décision.En tirant les leçons de la vie et de l’œuvre du Prophète, nous apportons des réponses claires aux questions que des musulmans et des non-musulmans se posent.

S’humaniser, réfuter toutes les formes d’indignité, d’extrémismes, d’idolâtrie, de violence, défendre les droits humains, le droit à la différence et la stricte légitime défense en dernier recours, en forgeant une société fraternelle et du savoir faisaient partie des priorités du Prophète. C’est à des années lumière de ce que la propagande religiophobe et celle des fondamentalistes, tout à la fois, laissent entendre.

Quel est le public visé par  vos deux  ouvrages ?

Il s’agit de tenter de présenter le vrai visage de la civilisation musulmane, qui, contrairement à ce qui est colporté ou mal pratiqué,  se fonde sur la sécularité, l’égalité homme femme et le respect du pluralisme. Mes ouvrages, s’adressent à tout le monde, sans limites, à nous-mêmes pour  progresser et sortir des visions étroites et idéologiques, avancer sur la voie du développement harmonieux.  Ils  s’adressent aussi  à  l’Occident, pour sortir des amalgames et des impasses. Chacun doit sortir de ses points d’aveuglements. D’autant qu’il y a des occidents et des orients et que les deux mondes sont imbriqués, liés, mêlés. Malgré elle, notre religion est instrumentalisée, sujette  à des controverses, des stigmatisations et des préjugés inadmissibles.

L’intégrisme et le fondamentalisme sont l’anti-islam. La civilisation  musulmane est incomprise et injustement déformée par certains des siens et par des non-musulmans. En Occident, même si le  génie  du Prophète est parfois reconnu par des savants, et que tous ne confondent pas entre religion et fanatisme, sa grandeur et son œuvre sont méconnues par un grand nombre. Les xénophobes, les islamophobes,  pour faire diversion, prenant prétexte de l’usurpation du nom par une minorité d’inauthentiques musulmans, trompent les opinions publiques.

En ces temps de mondialisation agressive et inégalitaire, les délires anti-musulmans prennent des proportions démesurées, exacerbés par la méconnaissance et des visées inavouées; alors que l’enjeu de notre époque devrait être le vivre-ensemble, la primauté du droit et la recherche d’une nouvelle civilisation universelle commune, par-delà les différences et les divergences. Il nous faut pratiquer l’autocritique, communiquer, expliquer, preuves à l’appui, qu’il n’y a pas d’alternative raisonnable au dialogue et au partage, énoncer clairement nos valeurs, pas seulement dénoncer les mensonges proférés.

Il s’agit avant tout de cultiver, d’instruire, d’enseigner, d’éduquer afin de faire reculer l’ignorance sur des questions essentielles. Etre citoyen européen, ou du monde moderne,  et croyant est évidemment possible et visible. En ces temps de malaise et de crise dans la culture, la politique, l’économique, c’est une chance pour tous que la question de la civilisation, de la transcendance et de l’éthique se repose de nouveau.

Quelle est la relation entre la civilisation musulmane et le développement ou le sous-développement ?

La civilisation musulmane, bien comprise, l’une des plus belles de l’humanité, a favorisé durant des siècles le vivre-ensemble et le développement équilibré, pas seulement matériel, malgré des péripéties difficiles. Rester soi-même, tout en évoluant, et s’ouvrir au monde est le bon chemin. Le citoyen de confession musulmane est capable de progrès et peut exprimer tous les besoins humains de son déploiement existentiel, s’il base son existence sur le savoir et l’éthique spirituelle.

Produire des richesses, des idées et du bien, se développer,  est une exigence, tout en respectant une éthique, des finalités. Cela signifie que si aujourd’hui des pays musulmans sont en retard économiquement et scientifiquement, le problème n’est évidemment pas l’islam, mais la responsabilité de musulmans et leur comportement, selon le contexte social, politique et historique. Nul n’est immunisé pour toujours. Les causes multiples du retard actuel et des insuffisances sont d’ordre interne et externe, elles concernent les questions de la bonne gouvernance, de l’Etat de droit, de l’économique et du rapport à la science.

Malgré des progrès et acquis, et le monde musulman est hétérogène, les problèmes de la qualité du savoir, de l’éducation, de la recherche scientifique, de la culture, sont insuffisamment pris en charge; des despotismes non éclairés et les populismes qui instrumentalisent le sacré, aggravés par la domination inique du monde développé techniquement, hier sous forme de colonisation, aujourd’hui en termes d’hégémonie, d’ingérences et de libéralisme sauvage, rendent difficiles les voies du développement durable et alternatif.

Mais le mouvement d’émancipation et de développement se prouve en marchant, les citoyens de confession musulmane de partout et les sociétés de la rive Sud, dotés de valeurs éthiques et du sens de la dignité, résistent et aspirent au sens, à la justice, à plus de bien-être et à la coexistence. Je reste confiant, malgré la complexité de la tâche.

Vous défendez donc l’accord entre authenticité et progrès, entre raison et éthique, pourquoi et quelle est la relation entre eux ?

Ce qui compte c’est articuler, sans confusion ni opposition, les dimensions essentielles de l’existence.  Les atouts existent pour répondre aux nouveaux besoins et attentes des populations désorientées. Il faut s’y atteler, en s’ouvrant au monde dans la vigilance, en revivifiant nos repères et en s’impliquant. Il s’agit de réaliser l’articulation entre authenticité et progrès, entre le spécifique et le mondial, entre l’autonomie de l’individu et l’être commun. Ni communautarisme, ni individualisme déshumanisant. Dans ce sens, la culture doit assumer sa fonction de formation de la citoyenneté et du lien social.

Dans la civilisation, il n’y a aucune raison de choisir entre des dimensions complémentaires, l’authenticité et le progrès, entre éthique et raison, entre l’un et le multiple, elles sont indissociables et complémentaires. Communauté du juste milieu, il faut tenir aux deux dimensions, sans les confondre. L’éthique s’adresse à la raison pour l’éclairer et non pour la contredire. Aucun précepte coranique ne s’oppose à la raison, au bon sens et à la science. Des interprétations passéistes, limitées,  incultes et contradictoires peuvent aboutir à des résultats et comportements illogiques. C’est la responsabilité des élites de les corriger.

Croire en islam ne signifie pas « soumission » c’est une mauvaise traduction classique. Islam, musulman, croire, signifient « se mettre en état de paix », « faire confiance », dans la vigilance, pour nouer un lien profond avec le monde et l’au-delà du monde, se libérer et assumer ses responsabilités. Dans ce sens, s’attacher à une éthique c’est refuser l’inculture, le fanatisme, les pulsions de violence et les prétentions. Au contraire cela veut dire respecter le droit à la différence, la nature, autrui, les symboles communs, le bien commun, avoir des buts, des principes et assumer sereinement son destin propre. Ce sont des actes de sociabilité, d’humanisation, d’épanouissement.

Vous donnez une priorité majeure à l’éthique, pourquoi ?

Le Prophète mettait l’accent sur cette dimension. C’est ce qui manque le plus au monde actuel. La marchandisation de l’existence aggravée par l’athéisme dogmatique, ou sa fétichisation perpétrée par le fanatisme religieux, mènent à des impasses. Ethique spirituelle et raison sont deux dons en islam qui ne se contredisent pas. Rechercher le progrès au moyen de la raison est un acte naturel. Nous avons le droit de dire : science sans conscience, sans morale, sans éthique n’est que  ruine de l’âme.

Nous avons aussi le devoir de rechercher librement le progrès sous toutes ses formes, et en même temps sans éthique, cela devient inhumain. Nous sommes confrontés à deux formes d’extrémismes : la tendance qui a peur de la liberté et celle qui a peur du sacré, elles instrumentalisent l’une ou l’autre pour des buts étroits. Dans le monde musulman contemporain, la mauvaise compréhension de la religion est une des causes des retards en matière de développement, mais  ce n’est pas à cause de la religion en soi.

Puisque c’est grâce à elle que les arabes, les berbères et de nombreux de peuples autour de la Méditerranée et au-delà, turcs, persans, africains, asiatiques, européens et des juifs et des chrétiens etc…ont connu la civilisation universelle musulmane et le progrès scientifique durant des siècles qui s’appuyaient sur la liberté et l’éthique. Tout dépend en conséquence des conditions socio-historiques et de la place que l’on réserve au savoir, à l’éthique et à l’Etat de droit, trois priorités.

Dans tous les cas, il ne faut pas confondre le spirituel et le temporel, sans les opposer, tout en recherchant l’accord entre authenticité et modernité, ce qui signifie aussi entre liberté et éthique. Il n’y a pas de liberté sans loi, il n’y a pas de progrès sans liberté. Le Prophète est venu nous rappeler ces principes.

Quel message peut-on porter aux nouvelles générations ?

Sans élitisme, ni paternalisme, l’intellectuel doit sans cesse donner à penser, éveiller les consciences et cultiver les nouvelles générations, afin d’humaniser les rapports sociaux, contribuer à réaliser une société équilibrée, juste et solidaire, aider à l’unité, au rassemblement et à la formation d’une Nation apaisée, traversée par le souffle de l’être commun. Il faut la force de la passion du pays et de l’humanité, il n’y a rien de plus beau pour tout être humain digne de ce nom.

La force d’une société ce sont ses citoyens éduqués, cultivés, patriotes, et qui se respectent mutuellement dans leur diversité. Une citation du Prophète(hadîth) est à cet égard significative :«Je suis venu  parachever  l’éducation humaine». L’interconnaissance, se cultiver, pour apprendre à vivre ensemble, détermine l’avenir. Le XXI eme siècle et l’ordre mondial seront justes ou ne seront pas.

Entretien réalisé par  la rédaction site www.oumma.com

Le Coran et notre temps (aux éditions Al-Bouraq, Paris) (et Anep à Alger)

Le Prophète et notre temps (aux éditions Al-Bouraq, Paris) (et Anep à Alger)