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L’Islam et l’impératif de l’ijtihad

LE MONDE MUSULMAN EST-IL CAPABLE DE PROGRESSER?


L’Islam et l’impératif de l’ijtihad


16 Avril 2009 –

16 Avril, en ce jour national du savoir, il est urgent de s’interroger sur la fonction de l’ijtihad et sa possibilité en notre époque si difficile. Au sujet de l’Islam, troisième rameau monothéiste, Message spirituel universel, et civilisation, la désinformation bat son plein, dans un monde où les questions du sens de la vie et de la justice se posent. Le monde actuel est injuste et semble perdre le sens. Seul le dialogue et le travail de la raison peuvent aider à rétablir l’équilibre. La méconnaissance ruine la relation entre l’Occident et le monde musulman. Au moment où nous avons besoin les uns des autres, une crise sans précédent complique le rapport entre le monde de l’Islam et l’Occident. Elle s’inscrit dans la crise générale des valeurs de notre époque.

Nul n’a le monopole de la vérité. Pour sortir de la crise, du piège de la propagande du «choc des civilisations» qui gagne du terrain, mettre fin à l’ignorance, en somme pour apprendre à vivre ensemble, la question qui devrait habiter notre pensée est aujourd’hui: que peuvent apporter l’un à l’autre l’Islam et l’Occident? Question de l’heure, puisque les discours dominants, en rive nord, prétendent à tort que les religions en général et l’Islam en particulier, sont antimodernes, intolérantes et rétrogrades. A l’heure des débats polémiques sur les causes des problèmes des sociétés musulmanes et leur aptitude au progrès et à l’heure paradoxale de leurs retards technoscientifiques et de leur résistance légitime aux injonctions extérieures, il est urgent de raisonner, d’interroger les sources fondamentales et d’étudier les facultés non pas seulement d’adaptation mais d’invention, offertes par la pensée islamique elle-même.
Pour sortir des anathèmes, des lectures fermées et de l’islamophobie, et faire connaître la version civilisée de l’Islam, il faut se fonder sur la raison raisonnable, créative, étudier toutes les possibilités offertes par l’ijtihad, cet effort de réflexion, qui peut favoriser le renouveau de l’interprétation du Coran. Il faut revenir aux sources spirituelles, le Coran et la Sunna, pour contredire à la fois les intégrismes et la déshumanisation moderniste et explorer les potentialités de l’Islam, voir comment il peut faire face aux défis de l’heure. Plus que jamais l’ijtihad est un impératif.

Un colloque international à l’Unesco

A contrario de ce que veut faire croire la propagande des extrémistes politico-religieux et celle dominante d’une islamophobie qui exploite les difficultés du monde musulman contemporain, nous sommes en droit de penser que la singularité de l’Islam, ce méconnu, sa version de l’humain, bien comprise, peuvent êtres bénéfiques, si le dialogue reprend ses droits, si l’ijtihad est pleinement réactivé, en particulier autour d’une vraie réflexion autour du Coran. Il convient donc d’examiner les possibilités d’un nouvel ijtihad et d’une réforme (islah) qui permettra aux musulmans de sortir des extrémismes et de faire face aux défis du monde contemporain et, plus encore, contribuer à apporter des réponses aux problèmes éthiques et moraux de l’humanité.
Dans ce sens, un colloque international sur le thème de l’Islam et l’impératif de l’ijtihad vient de se tenir au siege de l’Unesco à Paris, organisé conjointement par l’Isesco, l’Observatoire d’études géopolitiques dirigé par Charles St-Prot et le Centre de droit international européen et comparé de la Faculté de droit Paris Descartes. Un public nombreux et fort attentif a bénéficié d’une dizaine de conférences de haut niveau, sur des points variés: les fondements de l’effort d’adaptation, l’ijtihad- Comment lire le Coran? Comment étudier la Sunna prophétique? L’ijtihad au coeur de la pensée islamique (fondements canoniques, fondements doctrinaux, le réformisme dans l’Islam, ijtihad et intérêt public -maslaha); l’importance de l’ijtihad aujourd’hui. L’Islam et les défis du monde moderne. L’importance de l’Ijtihad (pour combiner la Tradition et le progrès). Que peut apporter l’Islam au monde contemporain? Ethique, morale, esprit communautaire contre l’individualisme, prise en compte de l’intérêt public, ouverture et globalité de la législation islamique, la finance islamique, enjeux de l’ijtihad…Vastes et passionnants sujets.
Il s’est agi de montrer que l’Islam conserve la même et invariable aptitude à se développer, engendrer et innover. Etaient présents des penseurs et universitaires musulmans et non musulmans, personnalités scientifiques, qui ont présenté les résultats de leurs recherches et points de vue. Il est primordial d’adapter l’ijtihad aux circonstances liées à la vie moderne. Pour ce faire, nous devons préciser le sens de I’jtihad contemporain. Car s’agit-il de l’ijtihad qui s’accommode de l’époque, ou de celui qui assimile l’esprit de l’époque et tient compte de ses exigences? De l’ijtihad qui, se pliant aux exigences de l’époque, en vient à reconsidérer sa tradition pour l’appliquer coûte que coûte à la réalité variable pour la bonne et simple raison que celle-ci est variable? Faut-il au contraire discerner les aspects positifs des aspects négatifs de notre temps et réinventer une culture vivante et humaine?

Il ne fait aucun doute que les hommes ne doivent pas s’aligner servilement sur leur époque, ni lui tourner le dos.
En effet, la dichotomie, inhérente à l’homme, a toujours existé, donnant lieu à de bonnes ou mauvaises conduites, à des comportements approuvés ou réprouvés, à un code moral jugé à l’aune de principes parfois figés. Force est de souligner que l’ijtihad auquel tout être raisonnable aspire n’est pas celui qui cherche à tourner le dos à son époque, ou au contraire à tout prix veut se conformer à son époque. Il y a du clair et de l’obscur dans toute époque. Nous entendons plutôt par ijtihad moderne celui qui se veut créatif, fidèle et novateur en même temps. Ni fermeture, ni dilution. Un mujtahid est un porte-parole intellectuel des intérêts de son peuple et qui veille à la préservation scrupuleuse de ses racines, de ses intérêts et aspirations, qui ne s’en éloigne jamais et qui répond aux besoins des gens en leur balisant la voie vers l’avenir, une vie ouverte, équilibrée, responsable et digne. C’est non seulement possible, mais vital.

L’exégèse louable et approuvée est fondée sur une connaissance suffisante des règles scientifiques, linguistiques, éthiques et fondamentales du savoir et des valeurs propres. Ni apologie, ni dénigrement. Elle ne porte pas atteinte à l’honneur et à la vie privée des gens. Elle ne contredit pas une raison saine, ni bafoue une science certaine, fermement établie, tout en faisant tous les efforts possibles de recherche et de réflexion, poussant à l’extrême la déconstruction, la recherche de la vérité et de l’opinion juste et le détachement de soi des passions et des préférences non étayées par des arguments.

Une version de l’humain qui a fait ses preuves

L’intellectuel doit s’appuyer sur la raison pour chercher l’intérêt général et ce, pour que nous puissions critiquer et cerner notre époque, comprendre les problèmes et les questions qui y font jour et prendre conscience de ses risques et exigences. Cette démarche permet de nous pencher sur les nouveaux contextes pour les soumettre à l’analyse avec un esprit ouvert et perspicace. L’Islam invite à la réflexion et représente une version vigilante de l’humain qui a fait ses preuves. Reste à sortir des instrumentalisations et superficialités.
L’ijtihad, mot générique, désigne le principe de réflexion libre et responsable exigé par l’Islam aux intellectuels compétents afin qu’ils participent au travail de rénovation et d’invention de nouveaux concepts et de nouvelles pratiques, et d’interprétation du noble discours coranique et de la Sunna prophétique éclairante.
Cet aspect fait de l’ijtihad une possibilité ouverte à toute évolution et adaptée aux intérêts des individus et des sociétés, s’accommodant de tous les temps et de tous les lieux. L’ijtihad, ou tajdid, est cet acte qui distingue entre les opportunités et les menaces, entre ce qui fait obstacle et ce qui permet le progrès.

Il faut non seulement assumer les changements mais les susciter pour maîtriser l’époque, dans l’intérêt général de la société, afin de préserver son équilibre et sa stabilité et renforcer son attachement au sens de l’ouvert et de la civilisation. Mais l’ijtihad ne peut être efficace, utile et agissant sur la vie de la société islamique que s’il est pratiqué dans le respect des visées générales de l’humanité et s’il repose sur la conviction que le respect de la dignité humaine est valable en tout temps et en tout lieu. Autrement, il s’écartera de l’esprit de l’Islam et perdra par conséquent toute légitimité. Car l’Islam est venu libérer, non point asservir l’humain. Le colloque qui s’est tenu à l’Unesco a rappelé clairement ces principes.

(*)
www.mustapha-cherif.net

Forum des Intellectuels Algériens

Forum des Intellectuels Algériens

Colloque  « Réconciliation et paix nationale »

Université de Tiaret-22-23 Mars 2009

Monsieur le Président, votre présence est un signe de votre attachement au rassemblement des algériens et au dialogue. Nous avons l’insigne honneur de vous présenter la synthèse des travaux de notre colloque. Par souci d’engagement, le Forum des Intellectuels Algériens a animé à Tiaret un colloque sur la réconciliation et la paix nationale, point central de votre sage politique. Tiaret est marquée d’histoire, capitale des Rostémides, lieu où Ibn Khaldoun à vécu, ville qui a accueillie l’Emir Abdelkader, et tant de savants, de maîtres spirituels et de patriotes, un havre du vivre ensemble millénaire. L’appel au débat est pour tout intellectuel une opportunité pour rétablir l’échelle des valeurs, loin du dénigrement et de l’apologie. Rien n’est donné d’avance, nul n’a le monopole de la vérité. Il s’agit de nous engager pour le bien commun et de donner du sens à la vie collective.

«La réconciliation et la paix nationale», sujet politique,  a été traité sous les dimensions de l’éthique, du droit, de l’économie, de l’information et de la philosophie, dans une perspective historique, non restreinte à l’aspect sécuritaire, qui reste néanmoins déterminant. La politique de réconciliation nationale est sage et raisonnable. Votre vision pour une paix durable par des moyens politiques s’inscrit dans un projet de société juste, stratégique et civilisationnel. Des interrogations sont perceptibles au sein d’une partie de l’opinion, concernant la mise en œuvre. Des familles de victimes affirment qu’il est difficile de pardonner, notamment du fait qu’il n’y a pas de demande de pardon. Ils estiment que la paix civile nécessaire à la construction du vivre ensemble à besoin de justice. Ils soutiennent la démarche de la paix. La Nation est solidaire avec les victimes du terrorisme et honore les innocents, en assurant le dépassement de la situation passé, pour sauver le pays du péril. C’est notre éthique musulmane, qui se hisse au-delà des limites. La réconciliation, restera inachevée sans le parachèvement de votre programme.

La réconciliation nationale est la condition du développement et de l’Etat de droit. Elle reste en attente de son approfondissement par l’ouverture plus grande du champ politique, en vue de concrétiser pleinement votre projet que l’on définit comme un Nouveau Contrat National. La construction d’un Etat de droit passe par un système démocratique et un pluralisme politique effectif. La stabilité institutionnelle était le premier but. Aujourd’hui, l’impératif est la consolidation de l’État de droit, d’autant que l’Algérie est dotée d’instruments institutionnels. La démarche salutaire de la réconciliation, mérite d’être approfondie, à travers la continuation des trois réformes initiées : de l’Etat, de l’institution judiciaire et du système éducatif. La complexité des problèmes, la lenteur des réformes et la fragilité des acquis incitent à l’élargissement du dialogue et de la participation. Mobiliser toutes les bonnes volontés tracera le chemin d’une Algérie nouvelle, celle de la ligne médiane. Ainsi, ce n’est pas tant la persistance d’actes terroristes isolés qui constituent une limite à la politique de paix nationale que le repli et l’usure du système politique.

Les défis externes aussi obligent à élargir le champ des alliances et du consensus. Mieux que quiconque, vous savez Monsieur le Président que les relations internationales sont régies par la loi du plus fort, le refus du droit à la différence et le libéralisme sauvage. L’identité, la souveraineté et le droit au développement en sont les enjeux. Dans un monde arabo-musulman figé et un monde Occidental s’éprouvant en impasses, l’Algérie, qui a mené la plus prestigieuse lutte de libération nationale du XXe siècle, qui a été une polarité mondiale et a symbolisé la liberté et la dignité des hommes, peut, sous votre impulsion, être à l’avant-garde du dialogue des civilisations et un phare du renouveau. Ceci permettra de conjuguer l’Etat de droit sécularisé avec nos valeurs spécifiques. Notre société est fragilisée, mais dispose encore d’atouts pour la renaissance. La société considère que l’indépendance n’a pas réalisé toutes les promesses de l’Appel de Novembre, fondé sur la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social, dans le cadre des principes islamiques et le respect des libertés fondamentales.

La construction d’un Etat de droit est au cœur de la politique de réconciliation. Il s’agit, comme vous l’avez maintes fois affirmé, de mobiliser les citoyens, par l’enracinement des pratiques démocratiques, autour de débats et de propositions qui permettent d’avancer sur la voie du développement. Des citoyens, des élites et des jeunes, qui aiment leur patrie, se considèrent exclus et s’enferment dans le désespoir. La politique de réconciliation nationale s’avère donc fondamentale pour l’œuvre de redressement.

Nous avons explicités que la consolidation de l’Etat de droit, la renaissance de l’identité et le développement du pays, sont les trois finalités majeures de votre projet de redressement national. Comme vous l’aviez projeté, la paix retrouvée doit être accompagnée des outils politiques, économiques et culturels appropriés. Le véritable pluralisme politique constructif se fera avec des partis politiques, qui concourent librement à la conquête pacifique du pouvoir. Les élites nationales et la classe politique ont une part de responsabilité. Il ne suffit pas de critiquer l’action de ceux qui gouvernent, il faut que les partis présentent aux citoyens des alternatives crédibles. Un travail collectif reste à mener pour assurer l’ancrage du Nouveau Contrat National et la pédagogie adéquate à cet apprentissage.

Le rétablissement de la paix a permis de poursuivre le développement, mais des lacunes sont perceptibles. La question de la relève et du renouvellement des compétences se pose. Les importantes réalisations des infrastructures de base, des barrages, des universités, des écoles, des logements, du développement durable, sont des acquis, mais l’élément politique confèrera davantage de mobilisation. Surtout que votre souci est de forger une société du savoir et de substituer à la manne pétrolière la valeur du travail. Le projet de société en cours répondra aux nécessités sociales si les finalités seront amplement expliquées et surtout partagées. Le dialogue en vue de former, rassembler et responsabiliser, donnera ses fruits pour refonder la Nation. Cela aura une trajectoire : donner à la Nation l’Etat de droit pour lequel ses enfants ont payé le coût le plus élevé.

Monsieur le Président, de par votre destin historique, en mesure et en droit d’amorcer la rupture, investit par le suffrage universel, vous détenez la clef de l’ouverture pour une Algérie démocratique, forte et prospère. Vous avez pris la détermination d’œuvrer pour changer le pays. Nous estimons que vous êtes porteur d’espérance qu’un meilleur avenir est possible. Autour de vous, le peuple et ses élites sont attachés à la démarche qui changera pacifiquement le système politique pour le bien des nouvelles générations.

Monsieur le Président c’est ce à quoi nos travaux sont parvenus et vous avez votre large vision.

Le Forum des intellectuels Algériens

intellectuels@yahoo.fr

La question du rapport à Autrui

Conférence prononcée à l’Université de Yale,

Connecticut, USA,

Le 28 juillet 2008

La question du rapport à Autrui

Par Pr. Mustapha Cherif

L’Amour du prochain est un beau principe, cependant, la réalité de notre temps est entachée de haine et de méconnaissance. Des incertitudes, des menaces et des dangers multiples guettent. Vouloir parler d’amour de Dieu et du prochain dans ce climat de nouvelle guerre de religion parait irréaliste et insolent. Vouloir imposer son « amour » à l’autre est une forme de haine de la différence. Après la deuxième guerre mondiale on disait « plus jamais cela », aujourd’hui la haine de l’autre, le fanatisme et la religiophobie semblent revenir en force. Prenant prétexte à la fois des actes monstrueux des extrémistes et des désespérés, qu’ils amplifient et manipulent, et exploitant les dérives des régimes islamiques et aussi refusant le droit légitime à la différence des discours dominants s’inventent un nouvel ennemi. Cette logique du désordre et du chaos cherchent à faire diversion aux problèmes politiques du monde. Cependant la haine est vouée à l’échec. Certains tentent de faire endosser à la religion les impasses de notre époque alors que ce sont des problèmes politiques. L’initiative pour le dialogue « Parole commune » a pour but d’éviter un jour fatal où on dira que « nous avons perdu les occasions d’éviter de sombrer dans le suicide collectif. »

L’Islam est méconnu. Tout d’abord au sujet de la reconnaissance réciproque, à notre avis, rien ne s’oppose à ce qu’un chrétien reconnaisse que le Prophète de l’islam soit un authentique prophète. Des passages de vos textes dans « les Evangiles » expriment clairement la possibilité de la prophétie après le Messie : « Au sujet de ceux qui prétendent à la prophétie, vous les jugerai à leurs fruits…les arbres bénies donnent des fruits bénies… » L’islam a orienté vers le vrai et donné tant de fruits. De plus, on considère que l’annonce du Prophète de l’islam est explicite chez le Messie, qui selon vos textes précise que « le consolateur, le paraclet, l’Esprit-Saint, que Dieu enverra, vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit…. Cependant je vous dis la vérité : il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le consolateur ne viendra pas vers vous …J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand le consolateur sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. » (Jean (Jean 14 :15-17, 26 et 16 :7, 12-14). Ainsi plusieurs éléments peuvent converger vers une hypothèse tout à fait envisageable différente de la tradition chrétienne, concernant la « personnalité » du paraclet. C’est fondamental, car selon « les évangiles » un paraclet devra venir, cela apparaît comme un impératif après le départ du Messie, et parlera au monde entier. Il ne parlera pas de son propre chef. Le Saint-Esprit pour les musulmans est identifié à l’Archange Gabriel apportant la parole divine. Dans une lecture musulmane de ce texte, on observe que le Prophète atteste des messages divins antérieurs comme celui du Messie. Il transmet le message à travers le Livre saint des musulmans le Coran, Parole pure et incréé de Dieu, descendu comme rappel final qui demeure éternellement pour l’humanité jusqu’à la fin des temps. Le « Paraclet » dans son explication chrétienne ne correspond pas fidèlement aux caractéristiques et aux fonctions annoncées par l’Evangile et l’Ancien Testament. Les musulmans considèrent que le Prophète correspond parfaitement à la description.

Il est vital d’expliquer à nos frères chrétiens quelle est la réponse que donne l’islam aux questions fondamentales. La question du rapport à l’autre, à autrui différent est la question fondamentale, pas seulement une question fondamentale. Il s’agit du vivre ensemble, des conditions de la paix ou de la guerre, de l’oppression ou de la liberté pour réaliser la civilisation ou sombrer dans la barbarie. C’est à ce niveau que se situent les enjeux. Pour l’islam tant que nous ignorons l’idée d’un Tiers, principe suprême, d’une vérité universelle au dessus de toutes les vérités, c’est-à-dire l’idée de l’Infini, de l’Absolu, l’Un Vivant, l’Unique, Celui à qui rien ne ressemble, nous risquons de rester fermés à l’autre et à une part importante de notre expérience humaine. « Rapport à l’autre, au voisin, notre prochain » implique qu’on ait une vision claire de ce que c’est « l’humain ». Le dépassement de soi s’accomplit principalement dans le rapport à l’autre. Certains au vu des traditions fermées savent que la religion peut constituer une borne et une source d’intolérance. Mais cela peut aussi et surtout ouvrir des possibilités incomparables de respect des droits de l’autre. On peut dire avec l’islam, qu’après le droit à la vie base des droits : le premier droit de l’homme c’est d’adorer Dieu. Pour l’islam, la question du rapport à l’autre et du respect de ses droits humains exprime les enjeux de la destinée humaine. Dans la vision de l’islam, pour pouvoir « adorer Dieu », se rapporter à l’infini il faut ne pas être opprimé, ni opprimé l’autre. Par l’articulation entre les droits de l’individu et de la communauté, entre les droits de soi et de l’autre, entre les droits de Dieu et de l’homme, le sens fait signe. L’Autre est indispensable à ma vie, au point où le Prophète dit un jour à ses compagnons : « l’Archange Gabriel a tellement insisté sur le respect du voisin, que je me demandais s’il allait être concerné par l’héritage ». Pour l’islam, nous sommes mis à l’épreuve dans le rapport à l’autre. C’est l’ouvert, l’accueil, qui doivent caractériser le premier mouvement de mon rapport à l’autre. L’objectivité exige de garder en vue un deuxième mouvement celui de la vigilance, afin de ne pas devenir otage de l’autre. L’islam considère que l’être humain, sans être abandonné, est mis à l’épreuve, en particulier face à trois dimensions fondamentales : le temps, la révélation et la diversité. De ce fait le Coran intervient pour responsabiliser et soutenir l’humanité et lui expliquer l’origine et le devenir.

Le vivre ensemble, les droits humains et l’humanisme, ces concepts logiques, sont aujourd ‘hui des notions en crise, voire manipulées, car fondées parfois sur une vision unilatérale, simpliste et confuse de l’homme et de l’idée d’autonomie de l’individu. Il faut s’assurer que la question des droits humains ne soit pas définie à partir des seuls postulats, d’une seule culture, mais à partir des paradigmes de toutes les religions et cultures en présence. Nos sociétés modernes sont menacées par l’oubli du sens de la communauté articulé au besoin d’autonomie de l’individu ; du sens de l’ouvert articulé au sens de la vigilance ; et enfin du sens de la diversité articulé à celui de l’unité. C’est cela que l’islam rappelle. Les temps modernes se sont engagés dans une impasse d’un monde livré aux formes outrancières de l’autonomie de l’individu, coupé du sens, d’un individu coupé de sa communauté, un être isolé. Les traditions fermés au contraire mettent l’accent sur l’être commun en négligeant l’individu. L’oubli de l’être commun ou de la singularité de l’autre réduit l’humain.

L’Islam se veut la civilisation de l’hospitalité et de la vigilance et de l’humain lieu-tenant de « Dieu » sur terre. Pour l’islam, nous ne cesserons pas d’être en défaut tant qu’on n’est pas portés par le mouvement de la responsabilité, de l’être commun, sans pour cela oublier l’enjeu de l’autonomie individuelle. La  » communauté humaine » est fondée sur l’origine commune et le devenir commun. L’islam ultime message révélé, en premier lieu responsabilise, accomplit et rappel les messages antérieures. Il vise avant tout l’universel. La dernière phase de l’histoire du Salut et de l’humanité, se présente comme dépassement, ce qui n’est pas annulation. D’où que le musulman devrait être le mieux placé pour s’ouvrir aux autres ; pas de contrainte en religion, dialogue avec eux de la meilleure façon, tu n’est point un oppresseur, croit qui veut, sont les dimensions coraniques de l’ouvert. D’un autre côté, il y a en équilibre des versets qui appellent à la vigilance et qui s’insurgent contre les formes multiples d’idolâtries et la culture nihiliste ou prométhéenne de l’oubli du Divin. Le Prophète, par ses paroles et ses actes, a porté à un niveau jamais atteint, afin que la religion et la politique humanisent et ne déshumanisent pas, responsabilisent et n’aliènent pas, rassemblent et ne divisent pas.

Comme les compagnons du Prophète, puis les penseurs, la plupart des musulmans savent que le Coran et la sunna nous disent que les droits humains dépassent les droits divins. La religion est venue pour l’humain, pour le libérer, le responsabiliser, le civiliser, l’humaniser et non point l’oppresser ou l’accabler. La dernière sourate du Coran s’intitule Nass, l’humanité. Le dernier mot du mashaf le corpus est Nass, ce qui signifie que le Message a pour but de favoriser l’humanité et le vivre ensemble. Avec les sages ont peut dire que Le tort que l’on a peut faire aux lois d’origine religieuse est provoqué davantage par ceux qui veulent en assurer le triomphe par des moyens qui ne sont pas appropriés que par ceux qui les combattent. Les extrémismes de toutes les religions perdent de vue le projet spirituel libérateur, qui fonde la liberté, la conscience et la dignité de l’autre. Pour l’islam cela va de soi que l’humain est capable de vrai, de beau et de juste. L’idée d’homme pieux et vertueux est au centre du Message, pour former à la fois un individu ouvert à l’être en commun et vigilant. Le vertueux est celui qui ne méprise personne.

En complément au mouvement premier de l’ouverture, avoir prise sur la réalité en puisant dans sa foi, notamment au temps de l’adversité, c’est pratiquer la vigilance et la légitime défense, en cas d’aggrésion, s’appuyant sur un texte coranique cardinal : « Dieu n’aime pas les agresseurs ». Une posture dissuasive. La résistance au temps du Prophète et des époques de nombres de pouvoirs islamiques n’a pas dégénéré, à contrario des armées d’occupation d’hier et d’aujourd’hui qui enfreignent les principes humanitaires, et à contrario des groupes qui prétendent résister à l’occupant en utilisant la violence aveugle et nuisent à ce qu’ils croient défendre. La guerre juste, du temps du Prophète, imposée par les circonstances, a été exemplaire, tous les témoignages l’attestent. On ne doit jamais confondre entre hostilité et haine. La notion de guerre sainte n’existe pas, le petit djihad est la guerre juste avec des conditions strictes. Dans ce sens, sans el Ihsan, le grand djihad, la paix intérieure, il ne peut y avoir de paix extérieure avec ses voisins. La contre -violence, telle que l’autorise l’islam dans des strictes conditions, car la fin ne justifie jamais les moyens, a pour but d’éviter que la violence destructive dégénère, il s’agit d’empêcher son extension et sa répétition.

Les courants qui traitent l’islam d’intolérant et de religion violente, sont souvent les mêmes qui soutiennent la propagande du choc des civilisations, les discours xénophobes et les guerres injustes. Pour l’islam, la légitime défense est codifiée par le Coran et le Prophète afin de ne pas favoriser le rapport du loup et de l’agneau. Il faut savoir que durant le temps de la mission prophétique les actions de défense durant 23 ans n’ont coûté qu’une centaine de personnes tuées pour les musulmans et autant pour les polythéistes. L’histoire des religions et des empires, n’aura jamais enregistré de conquête de tant de territoires et de coeurs avec moins de pertes. Bien plus, la prise de la Mecque s’est faite sans aucune effusion de sang et a institué la pratique du pardon aux adversaires. L’expansion de l’Islam naissant s’est faite sur la base de trois choix: -Ecouter, prendre connaissance de la Parole révélée et l’adopter librement. Garder son ancienne croyance monothéiste, préserver son autonomie et coutumes, et simplement payer l’impôt de compensation. -Refuser les deux premiers choix et se mettre en état d’hostilité. La plupart du temps, ce fut l’un des deux premiers choix qui fut adopté, l’Islam se présentant, le plus souvent, comme libérateur et égalitaire, comparativement aux systèmes en place à l’époque.

Il n’y a pas de paix sans justice. Le monde est soumis au retour de la haine de l’autre, au risque de la déshumanisation et de la marchandisation, y compris de la religion, c’est à dire à la perte des valeurs Abrahamiques. Aujourd’hui que nous sommes tous pris dans le même mouvement du monde, nous avons besoin les uns des autres; non point pour faire disparaître les différences, consoler les gens ou leur faire miroiter des illusions qui folklorisent la religion et la politique; mais aider à assumer l’épreuve de l’existence, à préférer l’ouvert au fermé. Plus que jamais il faut apprendre à écouter et se comprendre pour vivre ensemble. Notre époque, plus que d’autres, est celle où il est urgent que le monde occidental et le monde musulman, liés, par un socle commun et en même temps porteurs de deux versions divergentes de l’humain, analysent leur devenir et renforcent leur relation sur la base du droit. Car, il y a lieu de se demander si l’humanité, au lieu de rechercher une nouvelle civilisation, n’a pas choisi la voie de son anéantissement. On doit appeler partout dans le monde à la plus grande des vigilances pour défendre et faire revivre les droits fondamentaux d’autrui. Les musulmans authentiques ne renonceront pas à témoigner en toutes circonstances. Dieu n’aime pas ceux qui disent et n’agissent pas.

Mustapha Cherif

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Common Word Conference: Loving God and Neighbor in Word and Deed.

University of Yale, Connecticut, USA

Yale Center for Faith and Culture

28 July 2008

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L’Emir et les droits humains

Alger le 25 mai 08
Conférence de clôture au colloque internationale du Sénat
L’Emir et les droits de l’homme
Par Mustapha Cherif


L’Emir ABDELKADER
Il disait à ses compagnons  « je ne veux pour moi aucun des prestiges auxquels vous pensez ». Il ne s’agit pas pour nous aujourd’hui de faire son apologie, mais avec mesure, fierté et objectivité, tenter de tirer des leçons de  son histoire, de ses actes et de ses pensées, intimement liés, à la fois, à sa Patrie et à l’humanité, afin que nous puissions sortir des impasses, des carcans et faire face aux défis de notre temps. D’autant que le thème de notre rencontre « droits  humains » est au cœur de problématiques complexes, éminemment politiques et que le monde semble traverser une phase critique sans précédent. D’emblée il nous faut le souligner, tous les peuples souscrivent aux principes des droits  humains, sans exception, ni réduction possibles. Certains prétendent à tort que nous autres musulmans et d’autres cultures les contestent. Il s’agit de critiquer le double langage, l’appropriation, l’instrumentalisation, leur réduction, et plus encore leur opposition factice à d’autres notions tout aussi vitales comme le droit des peuples. C’est ce que l’Emir Abdelkader nous aide à clarifier.

1- L’Emir et le concept de droits humain-
Lorsque l’Emir en toute humilité explique en 1862 pourquoi, au prix de sa vie et celle des siens, il a sauvé d’une mort certaine des milliers de chrétiens à Damas, comme cela à été si bien explicité, il précisait donc que ce fût : «  par fidélité à la foi musulmane et pour respecter les droits de l’humanité ». Ce n’est évidemment pas hasard qu’il est le premier a formulé la notion de droits humains et qu’il lie les deux dimensions celle de la foi et de la raison. Il inaugure par là une phase nouvelle de la culture moderne qui ne se généralisera qu’au XXeme siècle, en prenant une autre trajectoire. Les droits de l’homme constituent un phénomène récent du droit international. Ils sont l’aboutissement de règles et pratiques qui se sont développées au sein de différentes cultures, sociétés et civilisations. Pour l’Occident, auquel nous appartenons aussi, puisque hier il fut judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe,  les textes fondateurs de la naissance des droits de l’homme se sont énoncés au XVIII siècle avec la  Déclaration Américaine de l’Indépendance en 1776 et la Déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen en 1789. Leur développement en tant qu’éléments de droits internationalement reconnus, dont le respect concerne l’ensemble de la communauté internationale, a commencé au XX éme siècle, dans les décombres de la première puis celle de la seconde guerre mondiale avec les textes de Genève de 1929 et 1949, puis aux  Nations Unies en 1948 la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. L’Emir considère que le  premier horizon fixé par un texte humain pour les droits humains est la Constitution de Médine suivi par le discours d’Adieu à Arafat, Kutbet el waadaa , que le Prophète a mis en place pour réguler équitablement les relations au sein de la communauté et entre les personnes et les groupes musulmans et non musulmans, c’est-à-dire pas seulement assurer leur cœxistence, mais leur rencontre, leur écoute réciproque, leur compréhension mutuelle afin que tout différend et toute violence soit régulée de manière civilisée.
C’est ce point de départ génialogique de l’Emir et du lien étroit entre droits humains et valeurs abrahamiques, sur lequel il faut attirer notre attention. Certains considèrent que vouloir tirer les droits de l’homme à partir des textes révélés n’a pas de sens, comme si cette notion, ou celle de la sécularité n’avaient rien d’abrahamique. A y regarder de plus prés on risque de réviser ces préjugés. Les discours de notre époque sur les « droits de l’homme », que ce soit de la part de ceux qui, sans discernement, ont en font l’apologie au nom de la modernité, ou ceux qui les dénigrent, au nom de la prééminence d’une vision étroite de la loi religieuse, semblent oublier l’idée même de l’humain. La vision de l’Emir se veut à un autre niveau, l’universel lié au concret de la vie. Pour Abdelkader la question des droits humains est la question fondamentale, pas seulement une question fondamentale. Il s’agit du vivre ensemble, des conditions de la paix ou de la guerre, de l’oppression ou de la liberté pour réaliser la civilisation ou sombrer dans la barbarie. Sa vision n’est donc pas seulement généreuse et subjective, elle est liée à l’histoire de sa civilisation, elle est politique et spirituelle. C’est à ce niveau que se situent les enjeux. Pour l’Emir tant que nous continuerons à raisonner uniquement en termes de vision étroite et de techniques juridiques, qui ignore l’idée d’un principe suprême, une vérité au dessus de toutes les vérités, Celui à qui rien ne ressemble, et qui est au-delà de toutes les formes, nous resterons fermés à une part importante de notre expérience humaine. « Droits de l’homme » implique qu’on ait une vision et une notion claires de ce que c’est « l’humain ». Mais « l’homme », comme le pense l’Emir à l’instar de Pascal, « passe infiniment l’homme ». Ce dépassement infini de soi, qui fait son être même, ne lui donne pas de droits gratuits, puisque c’est lui qui peut et doit construire des droits et des devoirs. Il ne s’agit donc pas de dire qu’il n’y a pas de droits de l’homme : au contraire, ces droits doivent être toujours mesurés à l’incommensurable dépassement qui traverse l’homme. A ce dépassement, certains au vu des traditions fermées savent que  la religion peut constituer une borne. Mais cela peut aussi et surtout ouvrir des possibilités incomparables de droits et une profondeur infinie. On pourrait dire avec la spiritualité que: le droit de l’homme c’est d’adorer Dieu ; comme le Coran le dit  – à la fois comme un droit et un devoir. Pour l’Emir, la question des droits humains exprime tout le mystère et les enjeux de la destinée humaine, à la hauteur de ce que dit le Coran. Dans la vision de notre héros, pour pouvoir « adorer Dieu », se rapporter à l’infini – il faut ne pas être opprimé, ni opprimé l’autre, il faut que les droits fondamentaux  pour tous soient respectés. Par l’articulation entre les droits de l’individu et de la communauté, entre les droits de soi et de l’autre, entre les droits de Dieu et de l’homme, le sens fait signe, chaque génération doit l’assumer et réaliser ummata wassat.

Les temps modernes se sont engagés dans une impasse d’un monde livré aux formes scientistes du despotisme, coupé du sens, d’un individu coupé de sa communauté, isolé. Les parts à la fois d’humanité commune et de singularité, constitutives de chaque être humain, sont une des raisons du respect que l’on doit exprimer à notre prochain. La liquidation de la possibilité de l’être commun et de la singularité de l’autre réduit les droits de l’homme. Dans son ouvrage « Lettre aux Français » au sous titre révélateur « pour attirer l’attention sur les problèmes essentiels » en 1855 il écrit « C’est par référence à la vérité que l’homme intelligent connaît les autres hommes » Il s’agit de connaître l’autre comme semblable et respecter sa singularité en vue du partage. Sans connaissance, il n’y a pas de reconnaissance du droit à la différence, conditions du respect Il ne suffit pas de prétendre le tolérer, il faut  connaître l’autre, l’écouter, pour que nous puissions assumé l’épreuve de l’existence.  Réduire l’humain à un être uniforme, abstrait et isolé, coupé de ses racines et par là le nié est voué à l’échec.

Droit de l’homme et humanisme, ces concepts logiques et attrayants, sont aujourd ‘hui des notions en crise, voire manipulées, car fondées parfois sur une vision unilatérale, simpliste et confuse de l’homme et de l’idée d’autonomie de l’individu. Il faut s’assurer que la question des droits humains ne soit pas posée, définie et imposée à partir des seuls postulats, contextes et mythes d’une seule culture, mais à partir des paradigmes de toutes les religions et cultures en présence. L’Emir Abdelkader savait que la question du droit humain est capitale, liée à l’interconnaissance et au vivre ensemble. Toujours dans Lettre aux Français, il écrit : « On sait que l’homme est un être sociable par nature, qu’il a besoin de vivre en société. » Pour ce visionnaire, les droits humains sont en premier lieu indissociables de la question du dialogue. On n’invente pas la notion de droit de l’homme, pour imposer une conception univoque de l’humain, pour tenir les gens à distance, pour dresser des barrières, ou pour justifier des ingérences et remettre en cause des  fondements, comme les valeurs monothéistes.  Ainsi, en évacuant toute dimension morale, spirituelle, en défaisant les liens de groupe,  famille, tribu, parenté, en coupant l’homme de son milieu, de ses valeurs et de la « nature » on risque de perdre de vue le sens de l’humain. L’abstraction de la notion des « droits de l’homme » fondée en partie sur une bonne intention,  celle de les détacher de leur culture et milieu pour les rendre communicables à d’autres cultures et civilisations, court le risque de vouloir aplatir et imposer une notion noble sur des réalités complexes.

Aux yeux de cet homme universel qu’est l’Emir nous ne cesserons pas d’être en défaut tant qu’on n’est pas portés par le mouvement de l’être commun. Pour l’Emir la  » communauté humaine »  est fondée sur l’origine commune et le devenir commun. En musulman authentique et exemplaire, l’Emir, comme cela a été présenté hier après midi, tenait à expliquer et appliquer le fait que l’islam ultime message révélé, en premier lieu accomplit et rappel les messages antérieures et, visant l’universel et la dernière phase de l’histoire de l’humanité, se présente comme dépassement, ce qui n’est pas annulation. D’où que le musulman devrait être le mieux placé pour s’ouvrir aux autres. Abdelkader se rattache aux nombreux versets et hadiths qui rappellent le rapport entre l’unité du sens et la pluralité des formes,  la diversité des chemins et l’unicité de la tradition primordiale, li kuli ajl kitab.  Cette vision exige un décentrement de soi, une confiance mutuelle, l’engagement réciproque et le respect de la différence, dimensions qui ne sont pas acquises d’avance. Le travail des politiques, des scientifiques, des croyants  et de tout individu sensé est de contribuer à fonder des relations de confiance et de partage, qui n’excluent pas la vigilance et le droit à la contestation. L’Emir Abdelkader, par ses paroles et ses actes, a porté à un niveau rarement atteint, ce travail fondamental de débat sur l’universel, de mise en confiance et d’éclaircissement afin que les religions, les politiques et les droits de l’homme humanisent et ne déshumanisent pas, responsabilisent et n’aliènent pas, rassemblent et ne divisent pas. Dans cette direction, sans syncrétisme, ni relativisme, il écrit : « Si les musulmans et les chrétiens avait voulu me prêter attention, j’aurai fait cesser leurs querelles : ils seraient devenus, extérieurement et intérieurement, des frères. »

Ainsi il ne s’agit pas seulement de clamer les vertus des droits de l’homme, et de chercher à prouver que la vision de notre héros et partant de notre religion et culture, preuves à l’appui, non seulement, en tant que mouvement précurseur, correspond à l’idée dite moderne des droits de l’homme, mais de comprendre leur caractère central, c’est même la centralité de toutes les questions. Comprendre l’horizon dans lequel ils s’appliquent, pour les renforcer et les ajuster sur la base d’un consensus universel est le but de toujours. La perspective de la transcendance en islam ne domine pas au point d’aboutir à la constitution d’un ciel qui écrase la terre. Les droits humains, comme le croient certains, ne sont pas résorbés,  dans un ordre théologique qui les ignore.  Au contraire, comme les compagnons du Prophète, tel le Calife Omar Ibn El Khatab, et l’imam abu hamed Ghazali, l’Emir soulignait que Coran et la sunna nous disent que les droits humains dépassent même les droits divins. La religion est venue pour l’humain, pour le libérer, le responsabiliser, le civiliser, l’humaniser et non point l’oppresser. L’Emir rappelait souvent à ses compagnons que la dernière sourate du Coran s’intitule Nass, les gens, les humains, l’humanité, le dernier mot du mashaf le corpus est Nass, ce qui signifie que le Message a pour but de favoriser l’humanité et vise l’humain. L’Emir précise avec clarté : «  Le tort que l’on a pu faire aux lois d’origine religieuse est hélas provoqué davantage par ceux qui veulent en assurer le triomphe par des moyens qui ne sont pas appropriés que par ceux qui les combattent » Il faisait allusion sans aucun doute aux extrémismes de toutes les religions qui perdent de vue le projet spirituel libérateur, qui respecte avant tout la liberté, la conscience et la dignité de l’autre. Pour l’auteur des Mawaquifs cela va de soi que la liberté est le fondement de l’existence, comme les grands penseurs il savait aussi que les libertés sans limites ne sont pas la liberté. Il  gardait en vue le fait que les droits de l’homme ont pour but de respecter la dignité de l’être humain, et non pas favoriser la domination d’un seul point de vue, et la perte de tout sens moral, éthique, déontologique. L’idée d’homme vertueux est au centre de son projet, pour former à la fois un individu équilibré, responsable et ouvert à l’être en commun. Car le vertueux est celui qui ne méprise jamais personne et maîtrise ses passions.

Pour le fondateur de l’Etat moderne algérien, savant et  maître soufi,  les droits humains, doivent êtres vécus en cohérence avec le droit des peuples.  Ce sont des instruments liés, indissociables,  pour marquer sa différence, son opposition face à l’inacceptable, et fonder une résistance afin que la dignité soit préservée  et le vivre ensemble librement consenti. Le fait que la question des droits humains est la question fondamentale, pas seulement une question fondamentale résume donc la pensée de l’Emir Abdelkader, inspiré par son incomparable foi, par son modèle le Prophète. L’Emir est notre modèle, celui qui s’est inspiré de manière fidèle du modèle par excellence, el Insan el kamil, l’homme total, universel, le Prophète. Ce n’est pas par hasard que le premier commentaire d’« El Mawaqifs, Le livre des Haltes » est le verset coranique sur le Prophète comme exemple à suivre.  La vision et l’œuvre d’Abdelkader tirent leur richesse à la fois de la source spirituelle et des acquis de la raison humaine universelle.

Sur le plan pratique, l’Emir Abdelkader les a prouvé et mis en oeuvre. Les éminents conférenciers ont bien démontré comment de manière exemplaire sur le plan humanitaire il a organisé et mené la résistance nationale durant 15 ans et comment il a traité, entre autres, les prisonniers. Les historiens et les témoignages, à commencer par les soldats français eux-mêmes et les prêtres chrétiens, reconnaissent son caractère magnanime sans faille.  Sa politique humanitaire et sa culture de la paix en temps de guerre s’expriment dés 1837 par un texte édifiant sur la détention des prisonniers et il  rédigea en 1843 un décret national sur les méthodes de l’art de la guerre au sens humanitaire. Tout autant, mérite d’être connu médité et enseigné comment en exil il s’est comporté, adonné au dialogue et assumé la relation avec l’ennemi d’hier, ou l’autre différent par la religion, la race ou la culture. Ses correspondances avec des personnalités du monde entier mettent pour la plupart l’accent sur l’importance de l’égalité des droits entre les humains et le besoin de fraterniser afin de fonder une nouvelle civilisation, qui fait défaut. Au vu de cet héritage, nous pouvons avancer, en toute objectivité, que l’Emir Abdelkader el Djazairi est à la fois un des  pères fondateurs du droit humanitaire moderne, du dialogue des civilisations de notre temps et de l’essai de renaissance du monde arabe.

2- Etat de droit – /guerre juste.

Pour l’Emir Abdelkader tout en défendant ce que l’on appelle le « cœur des droits humains » comme le droit à la vie, préconisait que les droits humains sont multiples. Il enseignait que les droits de l’homme sont universels et interdépendants. Au sujet du contrat politique et moral qui le liait à son peuple qu’il organisait, marqué par la libre allégeance, il tenait à une dimension que l’on peut appeler aujourd’hui démocratique. Hukm errached. Point décisif, Il ne dissociait donc pas la notion de droits de l’homme de celle du droit du peuple. Il proclame dans une de ses lettres à ses concitoyens « nous vous invitons à confirmer cet engagement de m’avoir désigné pour organiser la résistance et l’Etat, cet engagement entre vous et moi-même, car je ne gouvernerai que la loi à la main ». Refusant en même temps tout autoritarisme et laxisme, il sanctionne sévèrement tous les manquements au devoir et pratique la miséricorde, la concorde, la réconciliation,  pour souder les liens sociaux. Son but était clair, il le précise « unir les algériens, apporter une sécurité générale à tous les habitants de ce pays, refouler et battre l’étranger qui a envahi notre patrie ». Il ne s’agissait pas seulement de se battre contre un agresseur, l’un des plus fortes armées de l’époque, mais en même temps de bâtir un Etat de droit,  de rénover une société sur la base de principes civilisationnels.

Si l’Emir Abdelkader était parmi nous aujourd’hui, il demanderait au monde arabe et musulman de se réformer en profondeur, afin de ne pas prêter le flanc, sachant que l’archaïsme de certaines pratiques et les errements de groupes fanatisés, sont les causes internes qui alimentent  la décadence et l’islamophobie. Le point faible des sociétés musulmanes nous dirait Abdelkader est politique. C’est d’injustice que se plaignent les citoyens. C’est au niveau politique, des libertés fondamentales, de la justice sociale et des rapports entre l’Etat et la société que les réformes décisives attendent d’être menées. Il ajoutera que l’absence de bonne gouvernance, de participation, de projet de société cohérent pose des problèmes d’avenir. Au centre de ce débat, l’école, la question des élites, celle des compétences et du capital humain. Il dirait que tant que l’on craint l’émergence de nouvelles élites, que l’on refuse les débats, on restera dépendants. Soumettre à la volonté de quelques-uns la masse des musulmans est un procédé qui ne peut plus fonctionner. Il remarquera que l’histoire des musulmans de notre temps est malheureuse dans la mesure, non pas où elle connaît, comme les autres, des avancées et des reculs, mais du fait que la fuite en avant persiste, et ne se manifeste pas la possibilité de tirer une leçon des impasses et paralysies. Cette possibilité s’appelle la démocratie. Le désespoir des nouvelles générations, la crise de confiance à l’égard des responsables, et le doute vis-à-vis d’eux-mêmes sont dus à la faiblesse des processus démocratiques. Si en effet, les Algériens ont fait de l’Emir Abdelkader l’un de leurs héros nationaux, c’est parce qu’il a été « le fondateur de l’Etat moderne algérien », au sens de l’Etat de droit et non d’un appareil à qui on confie le sort du peuple. Si nous voulons vraiment être à la hauteur de l’héritage de l’Emir c’est à l’Etat de droit  que l’on doit s’atteler.

Aux étrangers, notre héros qui n’appartient pas uniquement aux algériens, affirmerait qu’il avait toujours pour souci d’avoir prise sur la réalité en puisant dans sa foi, notamment en temps de guerre, considérée comme une action de légitime défense, s’appuyant sur un texte coranique cardinal : « Dieu n’aime pas les agresseurs ». Un combat dissuasif contre toutes les formes d’agression. Il expliquera que sa résistance n’a pas dégénéré, à contrario des armées d’occupation d’hier et d’aujourd’hui qui enfreignent les principes humanitaires, et à contrario des groupes qui prétendent résister à l’occupant en utilisant la violence aveugle et nuisent à ce qu’ils croient défendre. Sa guerre juste, imposée par les circonstances, ses ennemis le reconnaissent, a été exemplaire, tous les témoignages l’attestent. L’Emir disait : « la prise de conscience de la légitime défense et des antagonismes n’autorise pas à tomber dans l’extrémisme, pur aveuglement ». Il n’a jamais confondu entre hostilité et haine, entre l’armée coloniale et la religion de l’autre. En s’opposant à ceux qui voulaient tuer des chrétiens à Damas, il disait « la haine viole toutes les lois de l’Islam ». Comme cela nous a été si bien rapporté hier matin, en clamant le 10 juillet 1860 aux foules des musulmans excités «  Ö mes frères votre conduite est indigne » puis aux chrétiens pour les protéger « Ö chrétiens venez à moi, je suis Abdelkader l’Algérien, ayez confiance ! » il accomplit une vision politique éclairée d’avenir, sachant que s’il laisse faire les massacres non seulement c’est immoral, mais la violence appellera la violence. Il accomplit le sens de l’homme universel responsable et sage, ce qui attendu de l’humain. Il fait le lien entre soi et l’autre, et réalise dans l’épreuve de la différence la fraternité humaine, ce qu’il exprime ave éclat : «  c’est combattre pour une cause aussi saine que celle que nous avons combattu autrefois ». Il  soulignera que l’injustice, l’arrogance et les provocations que pratiquent les autres ne peuvent justifier la violence aveugle. L’exemplarité et l’équité bases du droit humain étaient sa règle, et non point la politique des deux poids et deux mesures qui domine aujourd’hui. Il dit dans une de ses prises de parole reprise dans une de ses lettres : « si mon frère, mon propre frère fautait, je le sacrifierai ». Avec clarté, il savait que la notion de guerre sainte n’existe pas, le petit djihad est la  guerre juste avec des conditions strictes y compris pour défendre l’autre. Dans ce sens, Il savait que sans el Ihsan, le grand djihad, la paix intérieure, la dimension universelle, il ne pouvait y avoir de paix extérieure. La vie et l’œuvre d’Abdelkader contredisent la propagande qui prétend que l’islam encourage ou suppose la violence et  porte atteinte aux droits humains. La question de la « violence » est de celle qui se situe au cœur des enjeux.

L’idée dominante dans le monde moderne, ne voit plus l’autre différent comme tel, mais comme une anomalie qu’il faudrait éliminer s’il résiste à ses normes, à l’hégémonie et au modèle imposé. Les protestataires, les contestataires, les dissidents,  qui refusent de s’aligner,  d’appliquer  les normes dominantes sont exclus. L’autre différent devient sous- humain, préhumain, infrahumain. Aucune règle, ni limites n’organisent le débat. Tout devient permis pour nier la différence. La guerre contre les résistants, les autres différents est déclarée comme celle de la civilisation contre la barbarie. L’amplification des contradictions de l’autre, sa manipulation, l’exacerbation des relations, constituent la stratégie de ceux qui s’inventent des ennemis pour assoire leur hégémonie. Cette ruse de la domination par le chaos,  provoque des crises qui alimentent, en termes de diversion, un état de violence. Sous prétexte de combattre la violence et d’instaurer les droits de l’homme, on entretient une situation  sauvage et de guerre permanente. Il ne semble pas que les « lumières » soient la caractéristique de notre époque, ni que les ténèbres soient le passé,  clair -obscur semble être la marque de l’histoire de l’humanité. La modernité des « droits de l’homme » n’a émancipé  l’humain des obscurantismes, de la société tribale, féodale, cléricale,  qu’au prix d’une dénaturation, dépolitisa¬tion et déshumanisation. Certes à titre individuel, pardonner l’impardonnable et  « tendre l’autre joue » nous dirait l’Emir a un sens éminemment élevé. Mais à titre collectif, en tant que peuple, cela n’a de sens que si tout est fait pour que l’injustice ne se propage pas et ne se renouvelle pas. La propagande moderne   propose un type de peuple  qui se laisse faire, abandonne son droit à la légitime défense, abandon de la vigilance, du discernement, au profit paradoxal de politiques qui excluent l’autre différent et pratiquent la violence systémique. La contre -violence, telle que l’autorise l’islam dans des strictes conditions, car la fin ne justifie jamais les moyens,  a pour but d’éviter que la violence destructive dégénère, il s’agit d’empêcher son extension et sa répétition.

S’il est impératif  que toute société doit avant tout fonctionner sur la base des  principes de paix, du droit, du pardon et des bienfaits de la miséricorde, on ne peut pas fonder une vie individuelle et collective sur le refoulement à la fois de la nécessité de la résistance, de l’adversité et du sens des responsabilités. Le peuple des temps modernes, pacifiste, abstrait, qui tend l’autre joue, bien loin d’en avoir terminé avec ses rapports conflictuels et ses conflits intérieurs, les refoule maladivement. Pour l’Emir, l’adversité, la tension, le conflit ou la dureté du monde, ne sont pas des accidents monstrueux qui arrivent par hasard et qu’il faut fuir. Ce sont des épreuves qu’il faut maîtriser et transformer, et c’est cela qui est en jeu et  permet à l’humain de s’élever en fondant les relations humaines sur le droit et le respect de la singularité. Il nous demande de toujours préférer ce qui  unit et fonde, plutôt que la prétention à se venger, à détenir le monopole de la vérité et d’opposer la notion de droit de l’homme à celle des peuples. La vérité n’a de sens que dans le partage. Pour l’Emir et pour toute pensée méditante et non calculante, l’usage de la force, la légitime défense, sont, dans certaines circonstances incontournables, reste à respecter scrupuleusement l’art de la contre-violence et les principes humains. Les plus grands sages de l’histoire de l’humanité de l’Emir Abdelkader au Mahatma Gandhi savaient  que la résistance, la contre-violence, l’usage de la force sont légitimes car toujours préférables à l’indignité.

L’Emir outré par la barbarie des fanatiques ignorants, ou celle des empires dominants et des guerres coloniales, auraient été  choqués par les guerres mondiales du xxe siècle, les génocides, le terrorisme des faibles et des puissants,  et les injustices de notre temps. Abdelkader savait que la culture de la dignité, du combat, de la résistance, de la bravoure, du sacrifice pour la juste cause,  loin d’être la particularité des seuls soldats, est une ligne naturelle dans l’histoire des sociétés musulmanes. Elle existe justement pour empêcher les excès, en mettant en place des règles humanitaires.   En droite ligne du monothéisme, de l’héritage prophétique et d’autres sagesses ou philosophies, il considère qu’il faut absolument réguler la violence et conditionner l’usage de la force, en respectant les droits humains.  Les courants qui traitent l’islam de religion violente,  paradoxalement sont souvent les mêmes qui soutiennent la propagande du choc des civilisations, les discours xénophobes  et  les guerres injustes. L’Emir savait mieux que personne que pour l’islam, la légitime défense fut codifiée par le Coran et le Prophète afin de ne pas favoriser le rapport du loup et de l’agneau. Il savait bien que durant le temps de la mission prophétique les actions de défense durant 23 ans n’ont coûté qu’une centaine de personnes tuées pour les musulmans et autant pour les polythéistes. L’histoire des religions et des empires, n’aura jamais enregistré de conquête de tant de territoires et de coeurs avec moins de pertes. Bien plus, la prise de la Mecque s’est faite sans aucune effusion de sang et a institué la pratique du pardon aux adversaires. Tout comme l’expansion de l’Islam naissant s’est faite sur la base de trois choix: -Ecouter, prendre connaissance de la Parole révélée et l’adopter librement. Garder son ancienne croyance monothéiste, préserver son autonomie et coutumes, et simplement payer l’impôt de compensation. -Refuser les deux premiers choix et se mettre en état d’hostilité. La plupart du temps, ce fut l’un des deux premiers choix qui fut adopté, l’Islam se présentant, le plus souvent, comme libérateur et égalitaire, comparativement aux systèmes en place à l’époque dans les autres contrées et cultures.

Pour Abdelkader mettre fin à la résistance et s’exiler, vu les rapports de force et le risque d’extermination de son peuple, a été pour lui l’acte le plus douloureux de sa vie et un chapitre sur lequel certains esprits simplistes peuvent polémiquer. Pourtant c’est bien à ce niveau que son sens de l’histoire, du droit humain et des peuples est éclatant. Ne voulant pas abandonner son peuple, il exprimera plus tard dans une de ses correspondances à l’évêque d’Alger « je ne pouvais me résoudre à descendre de mon cheval et dire un éternel adieu à mon pays. J’avais juré de défendre mon pays et ma religion jusqu’à ce qu’aucune force humaine n’y puisse plus suffire ». Cependant, au vu le mouvement de l’histoire à l’époque et l’abandon de la part de certaines tribus et pays, il précise après quinze années de résistance héroïque « je n’ignorais pas quelle serait l’issue plus ou moins tardive de la lutte, mais la conscience apaisée, je sais que le temps à l’échelle de l’histoire d’un peuple ne peut être que celui du rétablissement de la justice ». Il écrira un texte mémorable dans lequel il dit « tu as atteint ton but, Abdelkader, sois tranquille, ta nation revivra et le rameau de la guerre libératrice ressuscitera ». Vision prémonitoire un siècle avant l’inéluctable libération du territoire.

En conclusion, quelles leçons à tirer et perspectives pour demain ? « N’est irrésistible que ce à quoi on ne résiste pas », cette pensée  pourrait être sa parole, son conseil, il nous demandera de nous mettre en mouvement, en raisonnant, sans prétendre détenir le monopole de la vérité.  Les exigences d’aujourd’hui, Communiquer, prendre la parole, pour mettre fin à la confusion et à la désinformation au sujet de  la culture des peuples, éduquer les nouvelles générations aux droit humains et à la culture de la paix, prôner l’ouverture, l’hospitalité et en même temps appeler à la vigilance et enfin réaliser le  droit à la bonne gouvernance pour libérer et former un citoyen responsable, sont les priorités. Les tâches collectives qui attendent d’être assumée. Repenser le concept des droits de l’homme et des peuples, ainsi que l’ensemble des pra¬tiques sociales, éducatives, politiques, culturelles qui leur sont liés, dans la recherche  du vivre ensemble ;  au vu la mondialisation,  devrait être le travail d’accompagnement.

Le monde est soumis au risque de la déshumanisation et de la marchandisation, y compris de la religion, c’est à dire à la perte des valeurs Abrahamiques. Nous avons besoin les uns des autres; non point pour consoler les gens ou leur faire miroiter des illusions qui folklorisent la religion et la politique; mais les aider à assumer l’épreuve de l’existence, à préférer l’ouvert au fermé. Plus que jamais il faut apprendre à écouter et se comprendre pour vivre ensemble. Notre époque, plus que d’autres, est celle où il est urgent que le monde occidental et le monde musulman, tellement liés,  analysent leur devenir et renforcent leur relation sur la base du droit. La notion de droits humains  est vitale et contingente, mais cela ne doit jamais impliquer de renoncer aux droits collectifs, droit des peuples,  combat commun pour la dignité humaine dans le monde.  Car, après Auschwitz, Hiroshima,  le colonialisme rapace, le Goulag, les génocides, la violence aveugle  des puissants et des faibles, quel devenir se présage se demanderait l’Emir s’il était encore parmi nous? Il dirait qu’il y a  lieu de se demander si  l’humanité, au lieu de rechercher une nouvelle civilisation universelle,  n’a pas choisi la voie de son anéantissement.  Abdelkader appellerait partout dans le monde à la plus grande des vigilances pour défendre et faire revivre les droits fondamentaux.

Mustapha Cherif

Le Desordre Mondiale

Mode d’emploi face aux provocations

Par Mustapha Cherif

Les multiplications des actes xénophobes et islamophobes contre les musulmans risquent de déboucher sur l’innommable.

Les mauvaises nouvelles n’en finissent pas. La faillite de l’action arabe commune est à  ciel ouvert. La pérennité de l’autoritarisme des régimes arabes, la plupart répressifs, fermes et incapables même de répondre aux besoins vitaux des populations, devient indécente. Dans ce contexte, les sociétés arabes, malgré une prise de conscience des citoyens, subissent la généralisation galopante de la violence sociale, des archaïsmes et des comportements passéistes et obscurantistes, accompagnés par une inquiétante dégradation des moeurs. Tout cela se développe comme réaction, de par l’absence de libertés, l’ignorance et la manipulation. De plus, on constate une fuite accélérée des élites. Sur le plan des agressions et des conflits, la guerre civile s’exacerbe en Irak, sous une occupation brutale et traumatisante qui risque de s’éterniser.

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Islam et Modernité. Texte de conférence du 20-01-08

Islam et Modernité.

Par Mustapha Cherif

Résumé de la conférence de Mustapha CHERIF
Prononcée à  Paris, Malakoff, le Dimanche 20 janvier 2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Une conférence de Mustapha Chérif.

L’Islam est aux prises avec la modernité. La sécularisation pose aux disciples du Coran des questions radicales que Mustapha n’a pas esquivées. En réalité l’Islam, certes, est mis à  l’épreuve, mais la société séculière l’est également. L’humanité tout entière, à  l’heure de la mondialisation, est prise dans une opposition où l’on peut discerner à  la fois menace et promesse. Tout ensemble humain, religieux ou séculier, peut succomber à  la tentation du repli et de la fermeture ou courir la chance de l’ouverture. Le croyant est invité à  recevoir la Révélation comme un appel à  l’ouverture et à  contribuer ainsi à  la libération de tous..

 

 


Islam et Modernité

 

Je suis particulièrement heureux de me retrouver parmi vous sous le signe de l’amitié islamo chrétienne. Je vais commencer par un constat en trois points, compte tenu de la difficulté aussi redoutable : Islam et modernité.

 

Premièrement, des efforts de décentrement, de sortie hors de soi, de déplacement, d’attention soutenue, de patience sont nécessaires pour se mettre à  l’écoute de l’autre, pour accueillir l’autre pour tenter de le comprendre et respecter la différence.

 

Deuxièmement, l’Islam, ce méconnu est déformé de l’intérieur par certains des siens. Et de l’extérieur par ceux qui pratiquent l’amalgame et le jugement hà¢tif.

 

Troisièmement, l’époque moderne, par-delà  ses prodigieux acquis, est marquée bien plus que par un malaise de la civilisation. Cela semble source d’inquiétude et pose problème pour de nombreux peuples. Notamment aux femmes et aux hommes attachés au monothéisme et à  l’humanisme. Tout comme un certain retour du religieux, par-delà  une légitime aspiration de retrouver l’espérance, de même, ce retour du religieux peut poser des problèmes et être considéré comme une source d’inquiétude pour certains.

 

Compte tenu de ce constat, il est requis de nous rencontrer, de dialoguer, de rester humble et en même temps d’oser s’engager, de ne pas se laisser intimider par tant de menaces, de discours et de pratiques extrémistes de tous bords, ici ou là -bas, de prendre la parole pour pratiquer l’interconnaissance. Apprendre à  vivre ensemble en vue de relever les défis qui n’épargnent personne. Le monothéisme, les valeurs requises pour l’histoire du Salut sont censés être notre socle commun, en particulier pour les peuples autour dela Méditerranée. De ce fait on oublie, ou on feint d’ignorer , que l’Occident a été islamo-judéo-chrétien et gréco-arabe, même si la part chrétienne a été prédominante et déterminante dans le Nord et la part musulmane prédominante et déterminante dans le Sud. Ainsi, comme le soulignent les philosophes objectifs, il est temps d’en finir avec le schéma unilatéral d’un certain ultra rationalisme selon lequel l’Occident moderne se serait conquis contre l’obscurantisme des religions. Il s’agit au contraire aujourd’hui de saisir comment le monothéisme, notamment chrétien, a engendré l’Occident avec ses acquis et ses dérives.

 

Il est nécessaire de préciser que dans la relation entre religion et modernité, il ne s’agit ni de moderniser l’islam, ni d’islamiser la modernité. Poser la problématique en ces termes c’est dévier la question vers un faux débat. Il ne s’agit pas aussi de juxtaposer ou d’additionner de manière simpliste les valeurs dites d’efficacité de la modernité et celles dites morales de la religion, même s’il est logique de vouloir conjuguer des aspects complémentaires. La difficulté réside dans le fait qu’aujourd’hui tous les problèmes se posent en même temps pour tous les peuples, existentiels, ceux de la signification, du sens, de l’éthique, ceux de la condition humaine, politiques, sociaux, économiques et ceux du devenir commun, civilisationnel, écologique. Nous ne pouvons réduire la religion à  des formes de consolation ou de refuge.

 

De la difficulté peuvent jaillir les signes de ce qui sauve, l’opportunité de chercher une manière commune et publique une nouvelle civilisation qui nous fait défaut aujourd’hui. Tel est le but. Depuis des siècles ce qui fondait notre société était les valeurs abrahamiques, monothéistes. La modernité remet en cause de manière radicale ce fondement. C’est à  ce moment-là  paradoxalement que des voix s’élèvent pour demander aux musulmans de se moderniser, de s’occidentaliser de suivre le modèle dit émancipateur de la raison moderne. Pourquoi cette invective adressée en particulier aux musulmans qui vise en réalité toutes les religions? Le monde musulman apparaît comme ce qui résiste à  une certaine modernité. Il fait figure de dissident. Pourquoi en est-on arrivé à  cette situation que la propagande des uns et des autres définit comme celle de la confrontation, une incompatibilité ? Essayons d’examiner succinctement et sereinement la question.

 

Le musulman se définit sous la figure du témoin. Pour être musulman, il y a lieu de témoigner, l’expression dela Shahada qu’il n’est de dieu que Dieu et Mohammed est son prophète. Témoigner que tout est relatif sauf l’Absolu. Témoigner quela Révélation est une réalité, intrusion dans le temps des hommes, Parole de Dieu. L’histoire du salut se fonde avant tout, pour l’Islam sur l’idée de Révélation qui commence selon l’Islam avec Adam, connaît des phases majeures avec Abraham, Moïse, le Messie Jésus et finit avecla Révélation coranique qui confirme l’unicité des messages, le fond commun et rappelle avec force et clarté les révélations antérieures tout en apportant sa part de dépassement et de singularité finale. Pour des croyants monothéistes, naturellementla Parole de Dieu est inépuisable. La révélation n’est pas close. Avecla Torah et l’Evangile tout n’est pas dit. Saint Jean précise dans son Evangile que Jésus leur dit « J’aurais beaucoup de choses à  vous dire mais vous ne pouvez pas le porter à  présent. Il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité. » Pour le croyant chrétien, cela signifie que l’Esprit divin, l’Esprit Saint conduira au fil du temps les croyants vers des horizons de connaissance plus larges, d’espérance. Pour le croyant musulman cela est interprété comme l’annonce de la vérité finale le Coran. Quoi qu’il en soit, cela signifie surtout que les croyants authentiques, par-delà  leurs différences et leurs divergences, se sentent proches, se sentent un devoir d’écoute, d’accueil, d’interprétation dela Parole révélée qu’ils doivent recevoir comme si elle leur était adressée à  eux-mêmes, ici et maintenant pour honorer la vie et éveiller les consciences, et non consoler les gens, ou pire folkloriser la religion.

 

Dans la théologie chrétienne d’Augustin, l’Algérien, à  St Thomas et jusqu’aux théologiens modernes la pensée chrétienne considère que les hommes, y compris les prophètes ne peuvent recevoir l’inspiration divine que selon leur mode de compréhension. Tout ce qui est perçu c’est selon le mode de celui qui le perçoit. Pour le croyant musulman, les prophètes ont la capacité et la force de recevoir la révélation, dictée surnaturelle descendue, valable en tous temps et en tous lieux. Il est donc superflu de s’imaginer qu’il faut relativiser l’idée de révélation, voire la réduire à  une simple inspiration ou plus encore la nier pour devenir moderne. Tel est le point de vue des musulmans. Pourtant, c’est ces visions réductrices de la révélation, que certains tentent d’exiger comme condition d’accès à  la modernité. Alors que cela n’empêche pas – croire à la Révélation directe, Parole de Dieu – qu’elle exige, justement, de l’interpréter. Cela n’empêche pas qu’elle respecte ma liberté ; cela n’empêche pas, au contraire, qu’elle exige de moi de réfléchir pour en saisir le sens caché ou apparent, pour en saisir la dimension du contexte, pour en saisir la portée universelle et particulière en fonction de la singularité de chacun de nous ; elle responsabilise, elle libère, elle ouvre ; elle ne ferme pas l’horizon selon la version du croyant.La Révélation est censée libérer et non pas ligoter. Elle vient réactiver les capacités de l’être humain pour assumer l’épreuve du « vivre sur terre ».

 

Il s’agit de s’ouvrir à  soi-même, à  l’autre, au monde et à  l’au-delà  du monde sur la base du refus de toute idolâtrie, de toute fermeture et de prétention démesurée à  dominer ce qui est. Cette vision religieuse, qui considère quela Révélation est une réalité, est refusée, combattue par une certaine raison moderne à  cause, nous dit-on, de toutes les aliénations et violences suscitées par les systèmes religieux à  travers l’histoire.La Révélation,la Parole de Dieu, l’idée même de Dieu sont considérées par une certaine doctrine moderne comme étant de l’ordre des mythes, des illusions, des fictions et, bien plus, considérées comme une source d’aliénation.

 

Pour des philosophies, la modernité face au postulat de l’homme soumis, qui croit à la Révélation, fataliste, consiste à  opposer l’homme libre, inventif, naturel et bon qu’il faut libérer des mythes et des illusions et des contraintes et à  le faire parvenir, nous dit-on, à  l’état d’autonomie. Pourtant, heureusement, il y a des pensées, des philosophies modernes, qui n’éliminent pas le transcendantal, l’éthique et les valeurs autres que celles de la raison occidentale et calculante. Heureusement que des auteurs et des textes décisifs dans l’archive occidentale du savoir au sujet de la modernité ne demandent pas à  l’autre de se moderniser en renonçant à  sa singularité. Cependant la ligne dominante de la raison moderne s’est construite trop souvent contre la religion. Ce n’est pas simplement une modernité areligieuse mais antireligieuse.

 

Au départ, le problème de fond concerne le sujet moderne qui a des difficultés à  garder des liens avec les valeurs monothéistes, abrahamiques. La modernité se veut l’expression de l’auto-affirmation par la raison, la science, la technique dégagée du religieux. L’idée de progrès de l’humanité sous-entend tout ce courant : un processus général irréversible de la non croyance qui représente pour certains le corollaire de l’émancipation. La rationalité moderne scientifique ne suppose pas seulement la logique séparation des pouvoirs, bénéfique, entre le politique et le religieux. Cependant sans l’exiger expressément, elle vise l’abandon de la foi ou du moins sa dévitalisation, sa marginalisation et la liquidation de sa prétention à  la totalité.

 

La marginalisation des valeurs de l’esprit de la morale et des valeurs abrahamiques dans la vie et la sphère sociale, pose problème pour toutes les religions et tous les peuples. Il ne s’agit pas de remettre en cause la solution logique et libératrice de la séparation du religieux et du politique, en somme de la sécularité, un acquis majeur qui n’est pas en contradiction avec le monothéisme, bien au contraire. Le monothéisme bien compris prône une sécularité ouverte, quoi qu’on en dise. Aujourd’hui, il est urgent de rechercher, de retrouver ensemble une vision et une pratique qui n’aboutissent pas à  la marginalisation des valeurs de l’esprit, ni à  la marginalisation des capacités de la raison à  faire face aux défis de notre temps. Tout cela risque de ce qu’on appelle la déshumanisation.

 

Comment faire face à  la perte de la cohérence, donner du sens à  l’ouvert, donner de la cohérence entre toutes les dimensions de la vie humaine et sociale? Ce n’est pas parce que, dans le passé, les églises ont posé problème pour la liberté, la raison et pratiqué l’intolérance et des impasses et que des pseudo religieux et d’inauthentiques croyants aujourd’hui se donnent encore à  des pratiques fermées et des formes violentes de la politique qu’il faut conclure qu’il n’y a aucun sens crédible à  la religion, aucune dimension libératrice du spirituel. C’est évidemment aller vite en besogne. Ce n’est pas la fin du monde, la modernité. Ce n’est pas la fin du monde mais la fin d’un monde à  laquelle nous devons faire face ensemble. Notre époque est à  la fois trouble est passionnante. Le nom et l’idée de Dieu et dela Révélation peuvent être évidemment niés , les pratiques fermées des institutions tout comme les dérives inhumaines des adeptes politico religieux, inauthentiques croyants, sont hélas les meilleures raisons de ne pas croire en Dieu. La responsabilité des croyants est engagée afin qu’ils ne détruisent pas de leurs propres mains leur demeure, selon l’expression coranique. Dans ce cadre, le noeud de la relation entre nous et la modernité et entre nous et nous, entre les trois monothéismes, entre l’humanisme et les spiritualités, n’est pas assez pensé pour débattre sur les causes des écarts entre nos théories et nos pratiques, entre ce que nous disons et ce que nous faisons.

 

Dialoguer pour justement faire face aux défis communs, la rupture, la séparation radicale des liens ou la confusion entre temporel et le spirituel, entre privé et public, entre l’individu et la communauté, entre la foi et la raison sont connus pour le premier mouvement sous le nom de sécularisation outrancière et le deuxième sous celui de totalitarisme théocratique. La modernité est considérée par un certain nombre de courants dominants, souvent dogmatiques, traumatisés par nos dérives de croyants : comme une rupture considérée comme non négociable. Sur le plan philosophique, cette modernité est parfois définie sous le nom horrible de la civilisation de la mort de Dieu et sous les termes éloquents de la sortie de la religion de la vie, du temps du désenchantement. Situation marquée par ce qu’on appelle la désignification du monde. Certes, objectivement il nous faut reconnaître que la sortie de la religion de la vie ne signifie pas automatiquement sortie de la croyance religieuse. Mais la dénomination démontre que la religion n’est plus structurante ; elle n’influe plus « le vivre ensemble » ; elle n’influe plus les sociétés ; elle ne définit plus l’économie du lien social. La sortie de la religion de la vie, de la cité, nous dit-on, c’est le passage d’un monde où les religions continuent d’exister mais à  l’intérieur d’un ordre et d’une forme collectifs qu’elles ne déterminent plus. Paradoxe : on tolère les religions à  condition qu’elles soient inopérantes. On constate que malgré une réelle émancipation compréhensible, logique, légitime, vis-à -vis des autorités religieuses et une séparation logique de l’autorité de l’Eglise et de l’Etat, de la sphère du public et du privé ; cela aboutit progressivement à  une marginalisation des principes spirituelles ; à  un oubli des valeurs morales, voire, comme je le disais une forme de déshumanisation et à  un effondrement de l’horizon civilisationnel. La religion étant considérée, par nombre de modernes, comme la survivance d’idées et de pratiques révolues et arriérées. L’idée de progrès n’a pu s’imposer à  la pensée moderne qu’en vertu d’un travail opposé à  la religion. Cela pose problème. Le fait que la religion soit sortie de la vie collective, phénomène qui tend à  se mondialiser, sauf pour le moment, en terre musulmane, est préoccupant. Espérons qu’elle ne sorte pas des coeurs. Le préoccupant c’est aussi le fait que l’ignorance et l’incroyance se soient transformées parfois en une doctrine intolérante et contraignante une sorte de nouvelle religion et d’idéologie alors que celle-ci était censée libérer des fanatismes et des contraintes Au lieu de constater que le mouvement du monde tout entier tend aujourd’hui à  se fermer les modernes incroyants affirment que seuls les croyants gagnent du terrain. C’est une contre vérité. Paradoxe !

 

De par la lutte légitime contre l’emprise religieuse dogmatique et fermée, ils ne cessent de rappeler le long passé de violence des religions ou actuellement une histoire qu’ils considèrent comme inachevée en pointant du doigt les atteintes bien réelles aux droits de l’homme, le terrorisme perpétré par des fanatiques des grandes puissances ou des faibles désespérés. Mais la dimension libératrice de la foi et la recherche du beau ou du vrai et du juste menée avec tant d’ardeur par les croyants ne sont pas perçues par cette approche réductrice. Tout comme, a contrario, les croyants n’ont en vue que la critique de la permissivité ou du laxisme de l’homme moderne, ne discernant pas assez les semences positives de l’autonomie de l’individu et les nouvelles métamorphoses et possibilités de notre temps.

 

Le paradoxe réside dans le fait que les principes rationalistes coupés de la foi sont devenus contraignants autant qu’une volonté divine réduite à  des formes sociales institutionnelles soumises aux pouvoirs. Athéisme, théisme, en conséquence restent parfois des termes équivoques et ambivalents. Nous avons affaire à  des croyants fermés et aussi à  des athées fermés ; alors qu’il s’agit de préférer l’ouvert Je préfère un être ouvert à  un être fermé, et non point un croyant à  un incroyant. L’être ouvert est porteur d’infinies possibilités.

 

Préférer avant tout l’ouvert au fermé, c’est-à -dire refuser toutes les formes de fermeture, qu’elles soient issues de l’athéisme ou du théisme est mon horizon. La foi est pour moi et pour nombre d’hommes et de femmes aussi naturel que l’air que l’on respire, un hymne a la vie et non des règles restrictives. Un certain savoir religieux, une intelligence théologique prétendent à  la logique et même à  une certaine rationalité même scientifique. Le moins que l’on puisse dire c’est que la caractéristique de la modernité qui refuse ces possibilités se fonde sur une sécularité outrancière et aboutit à  la rationalisation, à  la dévitalisation de l’être religieux, de l’être spirituel et à  la réduction de la vie à  des normes de calculs, cela pose problème à  un monothéisme comme l’Islam attaché aux valeurs abrahamiques, c’est a dire a la vie comme lieu d’épanouissement et non point de quantitatif ou d’espace à  dominer à  tout prix.

 

Reste à  souligner que contrairement aux préjugés exercés, il faut le répéter, vous le savez, mais il faut le redire, l’Islam ne confond pas le temporel et le spirituel. Alors où est sa singularité ? Dès le départ, comme le soulignent Massignon et Berque, l’Islam a été séculier. Cela se traduit par l’absence d’Eglise et la séparation entre la fonction politique et la fonction religieuse. Il faut savoir que dans l’histoire de l’Islam rares sont les cas où un Imam a exercé le pouvoir. Un verset du Coran précise même à  l’adresse des savants religieux : « tenez-vous à  l’écart du pouvoir ». Cela se traduit sur le plan conceptuel par le fait que par exemple le terme Etat n’existe pas dans le texte coranique. La distinction entre les différents domaines de l’existence même de la vie sociale est claire au point que le prophète a laissé libre sa communauté en ce qui concerne sa succession et celle de l’organisation politique de la cité. 80 pour cent du Coran est un hymne à  la vie, relatif au comportement ouvert, dix pour cent seulement sur les principes théologiques et dix pour cent sur les lois et modalités.

 

Cependant, distinguer ne signifie pas opposer le temporel et le spirituel, la foi et la raison, le public et le privé. La non confusion, la distinction, la séparation logique sont naturelles et utiles, mais ne signifie pas qu’il faut ignorer le besoin de cohérence, d’équilibre et de lien entre ces différentes dimensions. Croire, en Islam, c’est vouloir bâtir sa vie à  partir du principe premier coranique que « la vie dernière est meilleure pour toi qu’ici-bas » mais, en même temps dit –Il : « n’oublie pas ta part en ce bas monde ». L’important en ce bas monde, c’est notre comportement, notre attitude ici-bas qui détermine le devenir. A quoi sert de croire si on refuse de donner, de s’ouvrir, si on nie la vie et le bonheur du partage? D’où l’importance d’honorer la vie. L’Islam se veut « religion et monde », deux mots différents, deux choses différentes puisqu’il y a deux mots pour les désigner. Mais la logique, le sens se retrouve dans le « et » de coordination. Ni confusion ni opposition. La vision de l’Islam est celle du lien, une vision totale pour assumer le monde sans être totalitaire.

 

Les idéologies politico-religieuses qui succombent dans la confusion et instrumentalisent la religion dans le cadre de la lutte pour le pouvoir sont en contradiction et avec la lettre et avec l’esprit du Coran. Et les difficultés des sociétés musulmanes aujourd’hui à  traduire dans les faits le principe cardinal de -communauté médiane- signifient que rien n’est donné d’avance. Il ne suffit pas de croire ou d’appliquer la loi pour réaliser le bonheur. Il est aujourd’hui normal, logique et naturel de s’attacher à  la sécularisation, principe cardinal de la modernité que le monothéisme sous- temps bien plus que l’on s’imagine. Nous avons le droit de rechercher une sécularité positive, ouverte, constructive. Nous ne devons succomber ni aux intimidations ni aux extrémismes de tous bords. Il est légitime de refuser toute forme de totalitarisme et de confusion. Il est tout aussi légitime de refuser le sectarisme de ceux qui ne conçoivent la sécularité que comme doctrine antireligieuse. La foi est une affaire privée, intime, personnelle, liée à  la liberté de conscience. Mais la vie elle-même (la religion de la vie, l’islam c’est comme cela qu’il se définit : « la religion de la vie », exige de nous de l’honorer, d’adresser la parole à  l’autre, de rechercher la parole commune, de respecter la différence dans le partage, de réaliser la cohérence entre nos convictions, nos principes et « le vivre ensemble ». Cela est une responsabilité commune.

 

Il n’y a aucune raison d’imaginer qu’un incroyant serait plus séculier ou plus laïc qu’un croyant ou le contraire. Il n’y a aucune raison d’imaginer qu’un incroyant serait plus tolérant qu’un croyant. D’autant que compte tenu de l’évolution du monde, de sa complexité et de ses défis, le problème consiste non à  vivre d abord en croyant ou incroyant mais en être ouvert ou être fermé. La foi, si elle s’inscrit dans l’ouvert, autant que la raison, et dans certaines dimensions, plus que la raison, permet de répondre au monde, à  l’au-delà  du monde et au mystère de l’existence, fondée sur la liberté. La raison raisonnable, moderne, a pour tâche de reconnaître que certaines questions excèdent la possibilité de la réponse rationnelle. Les désirs d’émancipation, d’autonomie et de justice si légitimes ne naissent pas seulement dans la trame de la raison ; ils peuvent aussi se réaliser à  partir de la foi. C’est à  la liberté et à  la responsabilité quela Révélation nous appelle. Raison et foi peuvent autant, l’une et l’autre, être capables de l’ouvert et faire face au monde.

 

Nier la possibilité du monothéisme en général et de l’Islam en particulier, d’orienter vers le vrai, de libérer, cela signifie ruiner la possibilité du droit à  la différence et du « vivre ensemble ». Dialoguer est vital dans ce contexte pour contribuer au mouvement de discernement et de partage des valeurs humaines, pas seulement religieuses, au lieu de prétendre les uns et les autres au monopole de la vérité. Il ne suffit pas de se dire moderne et rationnel ou croyant et spirituel pour être juste, apprendre à  vivre heureux et se libérer de toutes les entraves. Les trois voies monothéistes, plus que d’autres cultures religieuses ou politiques ; sont interpellées .On doit par exemple accepter d’examiner et d’étudier, au sein de l’Islam, les lectures qui cherchent à  comprendre et se demandent quelle est la nature et quelles sont les lectures possibles du Coran pour notre temps. Il est vital de comprendre que le Coran exige de raisonner, de vivre, de garder vivant le lien entre foi et raison et de faire évoluer la lecture de ses versets et, partant, la possibilité de garder ouvert le rapport de l’Islam à  la marche du temps. Le Coran est un texte ouvert, disait le Prophète et à  l’unisson les plus grands penseurs de l’Islam. Le prophète précise même, symboliquement, qu’au début de chaque siècle et de chaque génération de musulmans, surgiront des novateurs pour réformer la religion. Leur travail en conclusion est de tenter de dénouer tous ces noeuds et de ne mépriser ni les langages religieux ni ceux de la raison. Pour tenter de saisir en profondeur la portée des paroles de cette Voix,la Révélation, qui parle à  l’esprit des hommes et les exhorte à  la vie avant tout.

 

Le dialogue des religions et le débat sur les religions sont vitaux. Longtemps on a pu croire qu’un simple échange de paroles dans une volonté commune de paix pouvait tenir lieu de relation pour les croyants de différentes spiritualités. Nous devons nous engager dans le réel, sur le terrain et au plus haut niveau afin d’assumer notre responsabilité et la marche du temps. Faire que dans la solidarité du vivre de tous les jours avec ceux qui ont besoin qu’on les visite et qu’on les accueille mais aussi du débat théologique et de la pensée pour aller au fond des choses. Ce que les musulmans d’aujourd’hui doivent comprendre a trait au fait que le force de la pensée moderne s’ouvrant dans la fermeté avec laquelle elle se confronte à  ses propres limites. La pensée moderne accepte de s’exposer, de prendre des risques de l’exercice sans condition de la pensée, de la raison. Ce travail de la recherche, le musulman l’a déjà  expérimenté ; il est même exigé parla Révélation pour assurer nos responsabilités tout en gardant la mesure. Ce que le moderne, de son côté, doit comprendre réside dans le fait que le musulman tient à  être un partenaire essentiel car il a participé et il le pourra encore de manière décisive à  l’essor de la civilisation de la vie. On ne questionne pas assez le Coran, la théologie, la pensée musulmane, du dedans comme du dehors. Pour tenter de vivre ensemble, d’élever la condition humaine et plus encore d’humaniser les rapports entre les gens, il faut comprendre que les dérives concernent plus la responsabilité du politique que du religieux. Il y a lieu d’arrêter de porter la responsabilité à  la religion alors que c’est le politique qui en a la principale responsabilité. Les contradictions, nous les connaissons, vous les connaissez sont d’abord politiques. Nous voulons vivre ensemble d’une manière humaine en respectant des normes universelles du droit qui est bafoué. La loi du plus fort technologiquement règne.

 

L’Occident dit moderniste ou moderne est en train de se mondialiser et donc de ne plus s’appeler l’Occident. Ce qui pose problème pour d’autres sociétés, cultures ou religions c’est justement cette hégémonie, cette volonté de la totalité que l’on nous demande d’accepter sans coup férir. D’accepter un certain type de représentation du monde qui suscite des inquiétudes, des ruptures et des déséquilibres. Par-delà  les acquis prodigieux de l’émancipation la plupart des cultures traditionnelles succombent à  cette hégémonie, à  cette totalisation. Dans la dépersonnalisation, l’assimilation, la dissolution. Les musulmans résistent mais de manière confuse et parfois de manière aveugle. Notre époque, plus que d’autres, est de celles o๠il est vital que nous rencontrions, que nous dialoguons, o๠le monde occidental et le monde musulman tellement liés analysent leur devenir commun. Le premier, le monde occidental, ne doit pas se laisser bercer par les avancées sans précédent qu’il a réalisées. Il doit faire le bilan sur sa trajectoire, sur son plus que malaise de la civilisation et s’interroger sur les risques qu’il fait courir à  l’humanité. Le deuxième, le monde musulman, malgré la vitalité de la religion encore présente dans la vie de ses peuples comme témoin du monothéisme doit se démocratiser et comprendre qu’il ne pas céder aux ruptures, aux pressions ni aux oppressions. S’interroger sur les graves dérives auxquelles certains de ses adeptes donnent lieu, à  commencer par l’absence de système démocratique, l’extrémisme politico religieux et la propagande de pratiques obscurantistes de la religion refuge.

 

 


En conclusion finale aujourd’hui le risque est triple.

 

 

Premièrement celui d’une accentuation de la marginalisation des dimensions essentielles de l’homme. Quelles sont les dimensions essentielles de l’homme ? Le spirituel et le politique. Le politique est la liberté, la responsabilité dans la cité. Le spirituel c’est la tenue, la posture vis-à -vis du sens. Aujourd’hui, la modernité, c’est le risque fou de nous dire que rien n’est politique, rien n’est religieux ; tout est marchandise.

 

Deuxièmement par manque de dialogue et par faiblesse théologique, nos religions peuvent tomber dans des querelles d’arrière-garde au lieu de donner l’exemple de l’ouvert et de l’apprentissage du « vivre ensemble ». La plus belle des mosquées est le coeur des croyants. Le fait de savoir si l’église ou la mosquée est pleine ou moins pleine n’est pas mon problème majeur. Au contraire, je constate que les mosquées sont pleines, mais la vie communautaire et individuelle ouverte sur le monde est peu visible ou en crise. Mon problème est de savoir si le coeur des croyants est ouvert ou fermé.

 

Ces risques et la crise sont aggravés par le troisième risque : par les inégalités, les faiblesses des pratiques démocratiques. Les relations internationales ne sont pas démocratiques. La plupart des régimes islamiques de notre temps ne sont pas démocratiques.

 

L’appropriation par une toute petite minorité du pouvoir et des richesses au sein du monde et dans la plupart de nos pays fait que toutes les évolutions pour réinventer une civilisation universelle dont nous avons besoin sont bloqués. Mais les espérances, nos espérances, les opportunités, notre travail commun et la possibilité d’une nouvelle civilisation sont encore possibles. Même si on veut vous diviser, même si on veut nous isoler, même si on veut vous opposer, le mouvement du monde, votre mouvement, celui des citoyens, des peuples, des croyants, comme des incroyants est porté par la volonté de partage, de rencontre, d’échange ; cela est plus fort que tout. La principale revendication des peuples musulmans en particulier est celle de la justice. Nous souffrons de la politique des deux poids et deux mesures. Nous souffrons de l’absence de justice et de démocratie. Le croyant sait que la confiance est le lien qui le relie au Très-Haut et en même temps le Très Proche, comme je l’ai dit au St Père Benoît XVI. Dieu, Celui à  qui rien ne ressemble, est si proche qu’il répond à  l’appel des croyants, des priants et de ceux qui sont raisonnables. Dieu guide à  sa lumière qui Il veut. . Retrouver les liens qui nous unissent en tant que fils d’Abraham et en tant qu’êtres humains ouverts est notre tâche. C’est le seul chemin  celui de l’ouvert – pour relever le défi et rester fidèles à  nos sources de vie.

 

 

Mustapha CHERIF