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La mondialisation revisitée

LE RAPPORT NORD-SUD
La mondialisation revisitée

Par Mustapha Cherif


Dans un contexte de défis, l’heure est à la priorité nationale. Au XIXe siècle se constitue la mondialisation économique et le XXe siècle accentue son rythme sur la base des progrès technologiques. Aujourd’hui, le déséquilibre des forces et les contradictions sont visibles. L’accélération de la mondialisation problématique correspond à la division injuste du monde entre les pays développés du Nord et les autres pays.


A ce jour, loin de s’être atténué, l’écart entre ces deux catégories ne cesse de s’aggraver, malgré l’essor de pays émergents. Il provoque des tensions au sein du système capitaliste, qui s’est constitué en système mondial. Cette situation s’est dégradée après 1989, sur la base du prétendu triomphe du libéralisme. A l’intérieur même de l’Occident, nombre de mouvements, conscients des contradictions du système dominant, luttent contre les inégalités et sont favorables à un juste partenariat avec les pays du Sud.

La recherche d’une altermondialisation


Du fait de l’apparition de crises, de secteurs de pauvreté au sein du monde développé, de déséquilibres et de contradictions au centre même du système libéral, notamment dans sa version néolibérale, une remise en cause du désordre économique mondial se développe par des voies diverses, souvent inattendues. Même si le Monde musulman est hétérogène et pluriel dans ses catégories et dans ses institutions, même s’il lui est difficile de s’organiser rapidement et de proposer des alternatives immédiates, il reste néanmoins un partenaire important pour la recherche d’une altermondialisation, d’un autre rapport au monde et d’un autre vivre- ensemble.

C’est cela qui est contesté par les islamophobes et autres xénophobes.
En effet, ni la philosophie musulmane, ni la vision économique qui se dégage du Coran, ni les caractéristiques des sociétés arabes et islamiques ne sont favorables à la rupture entre la liberté et la justice, aux dérives du libéralisme et à la logique de l’économisme qui domine la mondialisation. De ce fait, l’idée d’une troisième voie – ni capitalisme sauvage ni collectivisme, où certains voient les deux faces de la même figure matérialiste – avait fait son chemin au cours du XXe siècle.


Il ne s’agit pas de se demander seulement quelle autre voie emprunter aujourd’hui. Scientifiques et politiques doivent tenter de répondre à cette question majeure: comment sortir de l’horizon sans avenir de l’esprit mercantile et de la volonté de puissance et de jouissance, qui impose le mythe occidental moderniste selon lequel: ni projet, ni raison, ni fond ne soutiennent le monde? Compter sur les compétences et donner la priorité à la science liée à l’éthique est la bonne réponse pour lier progrès et authenticité, sur la base de la bonne gouvernance. Les atouts et les potentialités existent en rive Sud.


D’autant qu’il n’est pas possible de faire la moindre concession à un système faustien qui se mondialise, opposé aux valeurs humaines qui fondent l’existence. La mondialisation telle qu’elle se présente, privilégie le laisser-faire, le laissez-passer commercial, mais seulement eux, car la circulation des personnes et des savoirs est limitée. Il n’y a pas de démocratie politique sans démocratie économique et vice-versa, toutes les deux sont dépendantes des compétences, c’est-à-dire des ressources humaines et de la circulation du savoir.


Ce principe, les peuples musulmans et bien d’autres l’admettent aisément. Sur les questions de justice, le Monde musulman peut contribuer à repenser la question de la solidarité sociale, de la division du travail et de la redistribution des richesses, sur la base de ses spécificités: c’est d’ailleurs, souvent à partir de sa périphérie qu’un système évolue, si l’on sait valoriser les compétences.


Une entreprise, qui produit des richesses et participe au développement de la société et de la recherche scientifique, est un bien; cela n’est aucunement contesté. Cependant, la richesse, avec comme seul but le profit et l’accumulation, contredit le sens du monde, tel que signifié à la fois par la pensée moderne et le monothéisme. De plus, le développement inégal et les règles du jeu imposées par l’ordre capitaliste suscitent dans le Monde musulman tantôt un sentiment de désordre et d’inquiétude générateur de résistance, tantôt une tentation de dépendance et de suivisme.


Les Arabes, depuis 15 siècles, avec leurs différentes sociétés, sont attachés à la propriété privée, mais influencés positivement par des valeurs morales et religieuses comme la primauté du sens éthique, la justice sociale, l’interdiction de l’usure, la limitation des besoins. En ce sens, nous disent des spécialistes comme l’économiste Samir Amin ou l’orientaliste Maxime Rodinson, elles n’ont jamais été des sociétés capitalistes, où les valeurs marchandes écrasent parfois les principes de la vie humaine. Cependant, le rôle d’intermédiaire joué par les pays musulmans entre les régions, Asie, Afrique, Europe, a décliné avec le transfert des centres de gravité de l’économie et les découvertes scientifiques.

L’économie de marché dérégulée ne règle pas les problèmes


Les conditions nécessaires au développement du capitalisme, l’accumulation du capital argent et la prolétarisation ne sont apparues en terre d’Islam qu’au XXe siècle. Du fait des orientations culturelles et des spécificités historiques et sociales du Monde musulman, il n’y a pas eu d’exclusion à grande échelle de populations, de réelle formation d’un prolétariat, ni de monopole en matière de capitalisation de l’argent, ni d’appropriation privative exclusive des moyens de production.


Il faut aussi souligner que le Monde musulman a constitué une entité politique relativement cohérente et florissante durant sept siècles environ, à Médine, Damas, Baghdad, Cordoue. Sa fragilité économique en face des bouleversements a tenu, pour une large part, au rôle mineur qu’y jouait l’agriculture, sauf exception comme l’Egypte. Il suffisait donc que les échanges périclitent pour que les Etats, les villes et la vie nomade soient en péril.
Aujourd’hui, dans le contexte de la mondialisation injuste qui profite au Nord et produit des inégalités, faute de réformes approfondies, au Sud, les ressources dépendent principalement de facteurs internationaux.

Même si elle est naturellement adoptée par les pays musulmans, faute de modèle alternatif, l’économie de marché dérégulée ne règle pas les problèmes de la justice sociale, de l’émancipation, du développement dans tous les sens du terme. En conséquence, des expériences locales respectant à la fois les besoins propres, l’environnement et la compréhension spécifique du développement méritent d’être engagées, dans le cadre d’une coopération et d’un partenariat inscrits dans la durée.


Pour l’avenir des relations internationales et les rapports entre l’Occident et l’Islam, dans le cadre de la mondialisation, il est urgent de mettre l’accent sur la société du savoir, lié au nationalisme, car science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Cela exige de nous un point de vue qui garde le cap sur l’essentiel, c’est-à-dire la justice, la souveraineté, et le sens de la vie propres à nos sociétés, préoccupations réelles et légitimes de tous les peuples.
Les écueils sont réels, la marge de manoeuvre et les possibilités de peser sur la réalité et de répondre à ces besoins fondamentaux ne sont pas données d’avance, mais il n’est pas impossible de progresser en la matière, si le partenariat, la coopération et le dialogue dominent, plutôt que l’unilatéralisme.


Un constat s’impose: le monde moderne, fondé sur le libéralisme sauvage, la société de consommation et l’économisme, dérive. La crise a atteint un seuil alarmant, trop de précarité, d’inégalités, de violences. Malgré de réelles opportunités, la mondialisation se présente sous les figures du monopole du savoir, de l’injustice et de l’insécurité. En effet, les inégalités s’aggravent à la fois au sein des sociétés et entre les différentes régions du monde, entre les pays développés et les autres, même si des progrès et des formes de modernisation sont enregistrés dans nombre de sociétés du Sud en voie de développement.


Paradoxalement, les aides au développement se réduisent et représentent en moyenne un misérable 0,2% du budget des pays riches et les politiques financières et économiques des institutions internationales ne prennent pas suffisamment en compte les objectifs d’indépendance, les spécificités et la dignité des gens. Le tiers-monde, pour des dizaines de pays, est devenu un quart monde et la précarité s’y transforme en extrême pauvreté.
De tiers à quart, c’est la paupérisation aggravée par la crise économique.

Les écarts entre pays riches et pauvres atteignent une différence de 1 à 10, ils sont souvent incomparables, lorsque n’existent même pas l’accès à l’eau potable, une ration alimentaire minimale ni la moindre possibilité de soins. Nous assistons, au Nord, à la créationn de richesses pour une minorité et à une politique de sociétés de consommation illimitée, sans maîtrise des besoins et à une montée du chômage. Le Sud est confronté aux contraintes de la nature, à la question de la gouvernance et aux problèmes de développement.

Cela conduit à des déséquilibres.
La pauvreté, les injustices, les déséquilibres aggravés par la politique du «deux poids, deux mesures» pratiquée par l’Occident, signifient que le désordre et le fléau de la pauvreté ont des causes multiples, principalement économiques et sociales, même si des questions culturelles s’y greffent. En conséquence, la responsabilité de tous et de chacun est engagée; reste à s’élever à une analyse critique de l’injuste mondialisation qui apparaît comme un leurre et intégrer la mondialité du savoir.

Compter sur soi et s’ouvrir au monde


Il s’agit de compter sur soi, en valorisant les élites engagées et compétentes. Les contradictions du monde actuel se fondent sur trois dimensions préoccupantes: premièrement, le Marché crée des richesses, mais dans le cadre du libéralisme sauvage il le fait en opposition avec la solidarité, même si des capitalistes ont parfois le souci d’allier à leur politique du profit, celle de la justice sociale et citoyenne.


Deuxièmement, le savoir dominant, celui de la technicité, assure des formes d’efficacité, mais en opposition avec le sens et les possibilités d’une pensée qui reste attachée au sens du monde et à la morale. Troisièmement, une vision unilatérale du monde nivelle, en opposition avec le droit à la différence, à la diversité, à la souveraineté et à l’hétérogénéité des sociétés.


Ces trois contradictions, aggravées par la guerre de la désinformation, aboutissent à la déshumanisation sur le plan éthique, à la pauvreté sur les plans économique et social et à une remise en cause de ce qui fonde l’existence, c’est-à-dire l’indépendance des peuples, la liberté et le sens de la vie, tels que pensés depuis des siècles.

Jamais le monde n’a été autant inégalitaire.
En conséquence, il est légitime de se protéger, en misant avant tout sur la dimension nationale, tout en multipliant les alliances et échanges à travers le monde, avec les mouvements épris de partage, de justice sociale et d’équité. La mondialisation sera juste ou ne sera pas.

Mustapha CHÉRIF

Les relations internationales ne sont pas démocratiques

L’OCCIDENT ET LE MONDE ARABE
Les relations internationales ne sont pas démocratiques

Par Mustapha Cherif
24 Février 2011

Journal l’Expression Page : 17

Le libéralisme sauvage est dans l’impasse, les extrémisme prolifèrent, les  relations internationales ne sont pas démocratiques et les sociétés du Sud sont confrontées à des défis sans précédent, dont le plus décisif consiste à articuler authenticité et modernité, unité et pluralité, Etat de droit et stabilité. Au même moment, la propagande du choc des civilisations s’amplifie. Sous couvert de mondialisation et de modernisation, l’ingérence vise à dominer et à dépersonnaliser, en imposant sa seule version du développement et de l’émancipation.

Faire preuve de vigilance


Dans ce contexte, tout est prétexte pour perturber le monde arabo-musulman, méconnu, modèle culturel qui, malgré ses faiblesses actuelles, résiste à la marchandisation du monde et à la deshumanisation. Ce qui se passe depuis 2011 est un séisme politique et les peuples arabes aspirent à la démocratie et au changement, mais il faut faire preuve de vigilance. La priorité aujourd’hui est d’éviter aux pays arabes des situations risquées, tout en favorisant des réformes efficientes. Les théoriciens néoconservateurs et les sionistes, de Fukuyama à Hunting-ton, depuis longtemps, considèrent que le musulman est le nouvel ennemi.

Les pays arabes doivent accéder à l’universel moderne, mais pas à n’importe quel prix, de surcroît imposé, sous des formules qui récupèrent le souffle du changement. La mondialisation est une uniformisation aveugle et déstabilisatrice, comme l’affirment le philosophe Derrida et d’autres penseurs, de Berque à Legendre et Hessel qui appellent à s’indigner.


Il est choquant de constater les interférences dans les affaires de la société arabe, alors que le système mondial dominant est en crise, marqué par des contradictions, le recul de la tolérance, du droit, la loi du plus fort, la politique des deux poids, deux mesures et le racisme. L’invention d’un «nouvel ennemi», l’Arabe, comme diversion, qui dope la propagande du prétendu «choc des civilisations», est en train de prendre une dimension démesurée.


L’interférence dans les politiques des autres pays à travers le monde constituent une donnée visible de l’ordre mondial. L’interférence opportuniste, dictée par leurs intérêts, la stratégie d’hégémonie et l’endiguement de ce qu’ils prétendent être des menaces, sont un danger pour le droit des peuples. Toute politique doit tenir compte de ce facteur, en vue de préserver la souveraineté, en démontrant que les sociétés arabes sont soucieuses de coexistence, capables d’accéder à l’universel politique et de solutionner leurs problèmes internes sur une base nationale.

Pour accéder à la modernité, préserver l’indépendance, dénoncer et rejeter les ingérences, pressions et interférences extérieures, est plus que légitime. Pour les tarir, il reste à cultiver, à éduquer, à dialoguer accélérer des réformes propres à chaque pays arabe, en vue du changement pacifique, la bonne gouvernance et répondre aux aspirations des populations, dans le cadre du renouveau du nationalisme.
Aujourd’hui le Marché impose sa loi de la jungle.  L’occupation de la Palestine, les inégalités et les politiques qui manipulent, produisent des impasses et puis considèrent les musulmans comme les nouveaux ennemis.


Les surenchères intoxiquent les opinions, pendant que le plan d’un Grand Moyen-Orient tente de se mettre en place. Depuis des années nous tentons d’éveiller les consciences, pour dénoncer la duplicité et oeuvrer au vivre ensemble. Entre le Monde musulman et l’Occident, pour parvenir à des normes de civilisation et un nouvel ordre juste, il faut commencer par dialoguer, éduquer et démocratiser les relations internationales.
Le Nord ne veut pas se départir de ses prétentions à l’hégémonie et une minorité parmi les musulmans prête le flanc et alimente la diversion. Comme hier pour les chrétiens, quand les guerres de religion et l’Inquisition ont suscité un sentiment anticlérical, le terrorisme des faibles, les courants fondamentalistes, la remise en cause de la liberté de conscience et l’image désastreuse de potentats arabes nourrissent le sentiment antimusulman.

Se moderniser ne signifie pas se dépersonnaliser


Après avoir produit une civilisation incomparable, le Monde musulman, depuis trois siècles, est en retard scientifique. Les résistances, comme l’épopée héroïque de l’Émir Abdelkader, et les tentatives de renaissance ne purent freiner le déséquilibre. Le repli ruine l’image de musulmans qui s’enferment. Reste que si nul ne peut tourner le dos aux progrès, se démocratiser et se moderniser ne signifie pas se dépersonnaliser.


L’aspiration au changement émancipateur et à la justice sociale légitime, mais il faut faire attention à «ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain». Le refus de surenchères doit rester au-dessus de toutes les considérations. La stabilité, la cohésion sociale et nos valeurs propres doivent être préservées sur la base du patriotisme et de la mémoire commune. La situation est hétérogène dans le Monde arabe, mais le dirigisme, la mauvaise gouvernance, l’instrumentalisation de la religion et d’autres faiblesses tracent le tableau pour nombre de pays. Aujourd’hui, environ 70% des Arabes vivent dans la paupérisation et la fragilité sociale et 40% sont illettrés.

Économiquement et scientifiquement dépendant, le Monde arabe est utilisé comme épouvantail. Il doit faire son autocritique, mais ne pas tomber dans les pièges tendus, car la fin ne justifie jamais les moyens et aucune puissance étrangère ne peut oeuvrer pour les intérêts des peuples arabes. La stratégie du système mondial a besoin d’un épouvantail pour faire diversion, en vue de tenter de réaliser la totalité de son hégémonie pour le siècle à venir.

Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, suivie par la première guerre du Golfe en 1990, puis situation aggravée par le 11 septembre 2001, des puissants se sont réinventés un ennemi, pour faire écran à leurs visées. L’amalgame fonctionne sur le matraquage de médias et d’industries culturelles liées à des cartels qui diabolisent les musulmans. L’islamophobie n’est pas une ruse difficile à mettre en pratique, car l’ethnocentrisme est ancien. Depuis 14 siècles le Monde arabe est méconnu, déformé et avec acharnement depuis vingt ans. Aujourd’hui, des discours et des médias occidentaux amplifient la peur de l’Islam et cherchent à perturber la société arabe.

Raffermir la prise de conscience nationale


La crise des rapports Nord-Sud et l’islamophobie ne sont pas une vue de l’esprit, comme l’analyse Mohamed Arkoun. Les nostalgiques qui ont de la haine pour les musulmans et nient les valeurs du droit des peuples, cherchent à perturber toute évolution pacifique du Monde arabe, l’empêcher de faire éclore un modèle autre. Ils déplacent les problèmes du monde, masquent leurs échecs par l’idée funeste d’un «nouvel ennemi». Ils s’ingèrent dans les affaires des peuples, surfant sur l’exaspération face à la mauvaise gouvernance.
Les préjugés et la prolifération des slogans des partis d’extrême droite débordent.


Est une hypocrisie que l’empressement avec lequel des responsables condamnent des situations de blocage ou de désordre, alors qu’elles procèdent d’un climat auquel ils ont contribué. Malgré des comportements inadmissibles chez une minorité de musulmans dans le monde, la réalité sociologique montre leur aptitude à vivre le progrès. Il n’y a pas de modèle unique de la Cité. Cela gêne les tenants du libéralisme sauvage et du sionisme. Ces courants incitent à la chasse aux musulmans et la déstabilisation de leur pays.
Vouloir limiter la souveraineté des pays arabes et attiser l’hostilité vis-à-vis des musulmans, signifie que l’humanité éprouve les limites de sa tendance au vivre-ensemble.

Le besoin de partage qui pousse les hommes à s’unir, s’épuise. On sort de l’humanisme si les peuples laissent faire cette tendance. On sort des valeurs de la vigilance, si nous ne tirons pas les leçons de l’histoire et si on laisse faire la réaction irréfléchie. L’arrogance à s’approprier des valeurs comme la démocratie, la sécularité et la raison ruinent la possibilité d’une civilisation mondiale commune.


En riposte, dialoguer, communiquer, parler au peuple et pratiquer l’éveil des consciences est la voie; et montrer que les musulmans n’ont pas besoin d’anarchie et de tuteur, mais de respect de leur évolution historique progressive, et de soutien en matière de transfert de connaissances et de techno-sciences pour se développer. Ce qui compte est surtout de produire une culture ouverte de la tolérance, des richesses, en renforçant l’Etat de droit, la bonne gouvernance et le renouvellement des élites. Cela peut se réaliser, sans surenchères.


L’image dépréciative des Arabes est ancienne, mais elle a pris des proportions alarmantes, à cause de mauvais comportements internes. La diversion du «choc des civilisations» devrait être démasquée. Pendant le matraquage médiatique sur les soubresauts de la rue arabe, la bataille dans le monde fait rage sur des fronts décisifs: l’éducation, la technoscience, l’économie. Les enjeux pour les rapports de force demain.


Raffermir la prise de conscience face aux enjeux est une priorité de l’heure, notamment dans notre pays, libéré au coût le plus élevé par ses enfants et riche de son histoire et de ses réalisations. La vigilance, la sagesse et la patience doivent prévaloir. La relance de la bonne gouvernance, de la justice sociale et le renforcement des libertés, sont salutaires. Le peuple ne perd pas espoir. La logique de l’ouverture, du débat et du patriotisme, pour responsabiliser toute la société et faire renaître la confiance, est à même de permettre de relever les défis de notre temps.
En ce début du XXIe siècle, XVe siècle de l’Hégire, les rapports Nord-Sud, Islam-Occident, sont à un nouveau tournant. Il faut en discerner les enjeux et oeuvrer intellectuellement pout favoriser la coexistence.

Mustapha CHÉRIF

LE DÉBUT DES AVANCÉES

LE DÉBUT DES AVANCÉES

Décisions souveraines

Par Mustapha Cherif

Quotidien l’Expression

06 Février 2011 – Page : 6

Tout en sachant bien que l’Algérie est foncièrement incomparable; avant le Jeudi 3 Février 2011, il faut le dire, nous étions inquiets, nous appréhendions même un scénario proche de celui de qui secoue en ce moment des pays arabes. Nous craignions l’absence d’anticipation, qui aboutisse à un processus imprévisible. Nous devinions que le temps presse, un compte à rebours. Le soulagement est réel. Les surenchères n’ont plus de raison d’être, car des revendications sont satisfaites en termes de processus souverainement engagé. Certes, nous pouvons juger les décisions comme partielles vu l’état de la société, mais l’heure doit être marquée par l’apaisement, la vigilance et l’espoir.

Décisions justes


Les décisions justes et courageuses prises, en Conseil des ministres ce jeudi 3 février 2011 dans une conjoncture internationale et régionale périlleuse, méritent d’êtres saluées. Elles nous démontrent, encore une fois, que le pessimisme ne devrait jamais avoir de place dans notre pays. L’appel à la responsabilisation et au sursaut est pour tout intellectuel une opportunité pour rétablir l’échelle des valeurs.


Il s’agit de rendre hommage à la force tranquille et intelligente de ceux qui œuvrent sans relâche, à tous les niveaux de l’Etat, afin que l’Algérie soit toujours forte et exemplaire. Il reste à tous, à s’engager pour le bien commun et de donner du sens à la vie collective dans une saine compétition. La justice sociale et le respect du droit à participer sont les mots d’ordre. La prochaine levée de l’état d’urgence, tout en poursuivant la lutte antiterroriste, la préservation du pouvoir d’achat des citoyens, l’accélération de l’accès aux biens sociaux et l’ouverture des médias lourds, sont les points forts de ces décisions.


Après la politique de «La réconciliation et la paix nationale», dimension historique, non restreinte à l’aspect sécuritaire, qui reste déterminant, voilà que s’annonce le processus tant attendu de la relance de la bonne gouvernance, de la justice sociale et le renforcement des libertés. Ce début des avancées est concret. La responsabilité est collective pour changer la situation de notre pays en termes de refondation.
C’est un point de départ, une première démarche pour une paix durable par des moyens politiques et économiques. Il est clair que c’est une nouvelle étape de la vie de la nation. Cependant, d’autres conquêtes doivent être obtenues par le débat, le travail et l’approfondissement des réformes.


Dans un monde arabo-musulman figé et en grave crise, et un monde occidental s’éprouvant en impasses, l’Algérie, qui a mené la plus prestigieuse lutte de Libération nationale du XXe siècle, qui a été une polarité mondiale et a symbolisé la liberté et la dignité des hommes, montre sous une impulsion majeure, qu’elle peut de nouveau se retrouver à l’avant-garde de l’ouverture pacifique. Dans un contexte de mécontentement exacerbé, de malaise et de morosité, c’est ce que chacun de nous espérait comme début de processus pour l’élévation sociale, qui permettra, entre autres, de recomposer les classes moyennes.

Ces mesures conjuguent l’Etat de droit et la justice sociale. Notre société est fragilisée, marquée par le ressentiment, mais elle démontre qu’elle dispose encore d’atouts pour la renaissance. En effet, si la société considère que l’Indépendance n’a pas réalisé toutes les promesses de l’Appel de Novembre, fondé sur la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social, dans le cadre des principes islamiques et le respect des libertés fondamentales, à compter de ce 3 février 2011, elle devrait renouer tranquillement avec elle-même.


Il s’agit de mobiliser les citoyens, par l’enracinement des pratiques démocratiques, autour de débats et de propositions qui permettent d’avancer sur la voie du développement. Des citoyens, des élites et des jeunes, qui aiment leur patrie, ne devraient plus se considérer exclus, ni s’enfermer dans le désespoir. Cette politique sociale et d’ouverture s’avère fondamentale pour l’œuvre de redressement.

Un travail collectif

L’Etat de droit, la renaissance de l’identité et le développement du pays, notamment au profit des jeunes et des classes défavorisées apparaissent comme les trois finalités majeures. C’est un déclic qui permettra de retrouver la confiance. Le peuple algérien ne veut plus souffrir, il y a eu trop de souffrances. Cette réponse globale et sage est accompagnée des outils appropriés. Le véritable pluralisme politique constructif se fera avec des partis qui concourent librement à la conquête pacifique du pouvoir.

Les élites nationales et la classe politique ont une part de responsabilité.

Il ne suffit pas de critiquer l’action de ceux qui gouvernent. Il faut que les partis présentent aux citoyens des alternatives crédibles. Un travail collectif reste à mener pour assurer l’ancrage de ce nouvel élan et la pédagogie adéquate à cet apprentissage. Inutile maintenant de s’enfermer. A juste titre, «La liberté, précise le communiqué, ne devra pas aboutir dans quelque circonstance que ce soit aux dérapages ou à l’anarchie auxquels l’Algérie a déjà versé un lourd tribut». Les lacunes perceptibles dans le mode de gestion et de développement, depuis des années, peuvent êtres résolues avec cet esprit de renouveau social et d’ouverture du champ politique et médiatique. C’est ce que tout le monde espérait, même si les plus critiques exigent plus. C’est cela le débat démocratique.

Les étapes suivantes seront plus aisées. La question du renouvellement des compétences pourra être résolue sur ces fondements. Les importantes réalisations des infrastructures de base, des barrages, des universités, des écoles, des logements, du développement durable, sont des acquis, l’élément de la concertation et du débat confèrera davantage de mobilisation.


Surtout que le souci est de forger une société du savoir et de substituer à la manne pétrolière la valeur du travail. Le projet de société en cours répondra aux nécessités sociales si les finalités seront amplement expliquées et surtout partagées. L’horizon ouvert en vue de soutenir, rassembler et responsabiliser, donnera ses fruits pour refonder la nation. Cela aura une trajectoire: lui donner l’Etat de droit pour lequel ses enfants ont payé le coût le plus élevé. L’Algérie, de par son destin historique, est ainsi en mesure et en droit d’amorcer la rupture, pour devenir une Algérie démocratique, forte et prospère.

La direction politique a confirmé sa détermination d’œuvrer pour changer le pays, c’est un acquis pour tous les citoyens. Malgré le chemin qui reste à faire, ce jeudi 3 février 2011, est porteur d’espérance pour un meilleur avenir possible. Autour de l’Etat, le peuple et ses élites sont attachés à la démarche qui change pacifiquement le système politique pour le bien des nouvelles générations.

(*) Mustapha CHÉRIF

Coexister !

JOURNÉE MONDIALE POUR LA PAIX
Coexister !

Par Mustapha Cherif

Le 1er Janvier est la Journée mondiale pour la paix. Il n’y a pas de paix sans justice. Le monde connaît une paix fragile, des tensions, des conflits et des formes variées de violence. Nous pouvons résumer cette situation en 5 points: le système dominant sur le plan politique est caractérisé par l’unilatéralisme, le recul du droit et la loi du plus fort. Sur le plan économique le libéralisme sauvage produit de la misère et des inégalités. Sur le plan social, les liens se rompent et l’intolérance grandit. Sur le plan des stratégies, les musulmans sont attaqués et les extrémistes parmi eux donnent de l’eau au moulin des xénophobes.
Le système hérité de l’après-guerre mondial connaît ses limites, aggravées par l’unilatéralisme depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et l’invasion de l’Irak en 2003.

L’émergence de nouvelles puissances, de la Chine à l’Inde et au Brésil, n’a pas encore remodelé le schéma des rapports de force. Sur le plan de la doctrine, en Occident, censé être la terre des droits de l’homme, ressurgit le spectre du «fascisme» sous des formes nouvelles et subtiles. Il existe des populismes, racismes à l’encontre d’autrui différents. En Orient, l’intégrisme est visible profitant des contradictions générales.


Les musulmans en Occident d’une part, et les chrétiens en Orient d’autre part, considèrent qu’ils sont aujourd’hui le groupe religieux en butte à la persécution, à cause de leur foi. «Comment coexister?» est la question de notre temps. Dans nombre de régions du monde, il n’est pas possible de professer et de manifester librement son opinion ou sa religion, sans mettre en danger sa vie et sa liberté personnelle.


Nulle communauté en effet, n’est l’unique victime, partout des flambées d’intolérance inadmissibles sont visibles, comme les lâches attentats contre des chrétiens irakiens et égyptiens et les épreuves qu’ils subissent dans d’autres contrées comme en «Terre sainte» à cause des occupations étrangères; mais le sentiment antimusulman en Occident rappelle l’antisémitisme et le racisme le plus abject. La politique du deux poids, deux mesures à l’encontre des musulmans est la preuve qu’ils sont considérés comme le «nouvel ennemi».


Le musulman est celui qui prend la figure du dissident dans un monde dominant areligieux ou antireligieux. L’hostilité envers la religion en général et l’Islam en particulier est un phénomène grave, lié surtout à la Crise sans précédent que vit l’humanité. Le populisme, la montée des extrêmes-droites et la xénophobie, d’une part, et le fanatisme réactif, d’autre part, ont le vent en poupe.


Le monde semble courir à sa perte et remettre en cause la possibilité d’une paix perpétuelle. Stigmatiser les musulmans, et limiter de manière arbitraire la liberté religieuse est ignoble, c’est contredire des valeurs fondamentales. Combattre la spiritualité, les valeurs de l’esprit et l’éthique aboutit à rendre impossible la possibilité d’une paix liée à la justice. Chaque personne a le droit à la liberté religieuse, du point de vue moral et spirituel.


Reconnaître l’altérité et tenir compte des droits d’autrui est la marque des sociétés civilisées. Les non-croyants dogmatiques ou les fanatiques religieux s’opposent à l’expression collective et publique de la liberté d’expression et de la foi d’autrui. La liberté religieuse ne s’épuise pas dans la seule dimension privée et individuelle, elle se met en œuvre dans la communauté et la société. La foi est une affaire privée, intime, liée à la liberté de conscience, mais la religion est un bien public, d’utilité publique. Il n’est pas juste que des croyants doivent se priver de ces droits afin d’être des citoyens modernes et respectés. Le monde moderne devrait apprendre qu’il n’est pas nécessaire de nier la foi pour s’épanouir et s’émanciper.


Selon tous les grands penseurs et théologiens de toutes les religions, quand la liberté religieuse est reconnue, la dignité humaine est respectée et la paix sociale consolidée.
La diversité est une opportunité de dialogue et d’enrichissement culturel réciproque. Savoir que l’unité du genre contient la multiplicité et que la multiplicité contient l’unité, doit être enraciné dès les premières phases de l’éducation. Il est temps de former à la connaissance de la reconnaissance d’autrui. C’est le chemin de la paix réfléchie. 

La paix est en danger


Quand les droits élémentaires, à l’éducation, à la santé, au bien-être et à la liberté religieuse sont niés, la dignité humaine est bafouée et le lien social perturbé. Toute communauté doit pouvoir exercer librement le droit de vivre, le progrès et la foi en public ou en privé, de manière responsable, sans porter atteinte à l’ordre public et en respect des lois du pays. La même détermination avec laquelle sont condamnées toutes les formes de fanatisme et de fondamentalisme religieux, doit animer aussi l’opposition à toutes les formes d’hostilité à l’égard de la religion. Ni foi dogmatique et fermée, ni athéisme dogmatique et fermé, mais un être humain ouvert et digne.


Nul ne devrait subir de discrimination s’il veut exprimer ses convictions, changer de religion ou n’en professer aucune. Cependant, il doit respecter l’exigence légitime de l’ordre public. Tout en sachant que pour l’Islam le quitter après avoir librement adhéré et s’y opposer outrageusement est défini comme une faute. Ce sens de la responsabilité, ces droits et ces devoirs et de la paix civile sont les éléments incontournables d’une société civilisée et d’un Etat de droit bâti sur les libertés fondamentales et le respect des lois. Il n’y a pas de liberté sans loi.


Le prosélytisme et l’instrumentalisation de la liberté religieuse par des extrémistes ou des sectes pour masquer des intérêts occultes, pratiquer la subversion de l’ordre et tromper des gens en situation de faiblesse méritent d’être combattus avec toute la force de la loi. Les pratiques contraires à la dignité humaine, ne doivent pas êtres tolérées, même si elles se drapent de la liberté religieuse. La profession d’une religion ne peut pas être instrumentalisée, ni imposée par la subversion ou la ruse.


Les extrêmes se rejoignent, les fondamentalismes religieux et les laïcistes outranciers refusent le pluralisme et le vivre-ensemble. La société qui veut imposer, ou qui, au contraire, nie la religion par la violence, contredit les valeurs universelles. D’où l’importance du dialogue pour collaborer au bien commun.
L’unité du genre humain et le droit à la liberté de conscience et liberté religieuse pour tous les êtres humains sont fondamentaux en Islam: «Nul contrainte en religion».


De son côté, l’Eglise catholique, depuis Vatican II en 1965, exprime clairement son estime des autres croyants, notamment les musulmans «Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant, apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes.» Reste à dénoncer l’intégrisme chez les uns et les autres, pas seulement en rive Sud.


La Charte de l’Organisation des Nations unies de 1945, qui présente des principes moraux universels pour la coexistence mérite d’être rappelée. Car l’humanité est dans l’impasse et la paix en danger. Ce n’est pas une simple crise de plus. Nous sommes entrés dans la crise la plus grave de l’Histoire avec la perte de valeurs, la loi du plus fort, la sauvagerie dans tous les domaines, la marchandisation de la vie, le pillage et la destruction de la planète, le fanatisme, le racisme.
La terre a cessé d’être la demeure sacrée de l’homme et l’équilibre humain est perturbé. Il subit une vie traumatisante effrénée. L’incertitude règne et l’horizon semble fermé. La crise est d’abord morale. Les gens ne croient plus ni en eux-mêmes, ni dans les systèmes dominants. Le monde est en train de devenir invivable et impossible, malgré de prodigieux progrès technologiques.


Cependant, il est possible de dépasser cette situation et de transformer le risque en opportunités. En chacun de nous, le destin de l’humanité se joue. Nous ne sommes pas seulement un individu isolé, séparé des autres. Chacun est responsable. Tout est en relation avec tout. De nos pulsions, de nos paroles, actes ou silences dépend l’avenir. Il faut créer une autre dynamique, car on ne peut pas séparer le cœur, de la raison, l’individu, de la communauté, la mystique, de la raison. Ces oppositions tout comme les confusions ont mené à la déshumanisation. On ne peut connaître si on n’aime pas la vie. On ne peut pas bien vivre sans connaître. 

Agir selon notre conscience


Notre culture précise qu’avant de vouloir changer le monde, il faut changer en soi-même. Se remettre en cause et retrouver notre humanité. Pour dépasser la fermeture inhérente à tout système clos sur lui-même, il faut créer du dialogue, vécu comme un partage sans lequel aucune communauté humaine ne saurait exister. Comprendre l’autre, ce qu’il dit, ce qu’il veut dire et ce qu’il tait. L’essentiel est de s’ouvrir à notre intériorité et à autrui. Sans les fins c’est-à-dire le sens, sans la logique c’est-à-dire le savoir objectif, sans la justice c’est-à-dire le droit, la politique devient une idéologie stérile. Le dialogue rend possible une transformation créatrice de la réalité pour parvenir à la paix.

Dans le dialogue, tout est en jeu, la prise de conscience et la transformation mutuelle. Si l’on n’est pas libre en soi, on restera prisonnier d’un système. Le Prophète (Qsssl) demandait d’agir selon notre conscience. Il ajoutait si tu veux connaître le Vrai connais-toi toi-même et une des dernières lettres de Platon se termine par ce mot d’ordre: sois toi-même.
Compte tenu des désillusions du progrès, de surcroit inégal, se fondant sur la raison instrumentale coupée du sens et de la justice, des repliements irrationnels sont visibles. Il faut revenir au travail de la raison sans la couper des significations et des buts de la vie. La sous-culture consumériste fait des ravages à cause de notre vide culturel.

 Le laxisme, la permissivité et l’immoralité font face aux fanatismes, aux rigorismes et aux intégrismes. Cela provoque le rejet, l’angoisse et la violence. Nous sommes loin de la paix.
Le monde moderne a mis l’accent sur le profit et la jouissance à tout prix, la logique de prédation et a marginalisé les valeurs de justice et de sens. On assiste à de la récupération politicienne de la modernité-sécularité-laïcité au service de l’incitation à la haine.

 Nous refusons que la modernité soit réduite à des considérations marchandes et xénophobes. La sécularité et la modernité alliées à l’authenticité sont celles de la liberté de conscience et d’expression des convictions, pas celles de la division et de la haine. Elles sont instrumentalisées pour agiter le spectre xénophobe et islamophobe et susciter de faux-débats créés à partir d’une réalité déformée.


Nul ne doit être dupe face aux manœuvres électoralistes des partis populistes en temps de crise, qui se cachent derrière le sentiment ignoble antimusulman. Ils méritent mépris et condamnation fermes, tout comme les attitudes fondamentalistes. Coexister, dans la vigilance, c’est dénoncer l’inhumain, tous les inhumains, et énoncer des chemins de partage et de justice avec autrui pour vivre en paix. Bonnes années 1432 hégirienne et 2011 grégorienne et que puissent se consolider les liens de solidarité entre tous les citoyens du monde.


Mustapha CHÉRIF

 

Une riposte réfléchie

FACE À L’HÉGÉMONIE
Une riposte réfléchie

Par Mustapha Cherif

 

Depuis 1991, date de la première guerre du Golfe, une stratégie d’hégémonie mondiale et de «recolonisation» sous de nouvelles formes du Monde arabe, ciblé comme nouvel ennemi, est perceptible. La dernière décision des USA au sujet de la Palestine en est tragiquement l’illustration. Revirement prévisible, les Etats-Unis ont abandonné le principe d’obtenir un arrêt de la colonisation israélienne en Cisjordanie. Il est important en premier lieu de s’en prendre à nous-mêmes. Le Monde arabe vit dans la démission et le sous-développement, incapable de changer le rapport de force. 

L’aveuglement


Les USA prétendent que c’est pour se concentrer sur les «problèmes centraux» du conflit. C’est un fait d’une extrême gravité, qui contredit les discours pacificateurs, dope l’extrémisme de tous bords et annonce des lendemains sombres. L’un des objectifs de Barack Obama de parvenir à une solution à deux Etats vient d’être sabordé.
Ce que Bush avait affirmé le 17 janvier 1991 «Un nouvel ordre mondial», se concrétise sous les traits d’un ordre chaotique depuis 2003, deuxième guerre en Irak. La loi du plus fort, la dérive impériale, totalitaire et répressive fait des ravages. Jamais le sionisme extrémiste n’a atteint un tel degré d’arrogance et de mainmise sur les courroies de décisions politiques et financières dans le monde.

 

Cependant, les sionistes extrémistes auraient tort de pavoiser, car c’est la course vers l’abime et la preuve que leur aveuglement est suicidaire.
Nul ne peut vivre en guerre perpétuelle avec tous ses voisins et le monde entier. En sachant que le sionisme c’est l’antijudaïsme, par le refus de mettre fin à la colonisation, ce n’est pas seulement le peuple palestinien qui est perdant, c’est aussi le peuple israélien. L’immense majorité des musulmans à travers le monde ne confond pas entre juif et sioniste et reste attaché à la fraternité abrahamique, mais constate que l’amalgame est fait à dessein entre «terrorisme» et «musulman».


La propagande sioniste extrémiste est au zénith, avec un féroce gouvernement d’extrême droite en Israël, profitant de la faiblesse du Monde arabe et de la crise économique mondiale, pour faire diversion et harceler les dirigeants occidentaux. L’opinion internationale est soumise à la désinformation, qui met l’accent sur le «nouvel ennemi» l’Arabe, le musulman, l’iranien, le Turc. La notion «d’islamophobie» n’est pas un abus de langage produit par les fondamentalistes, c’est l’expression d’une stratégie antimusulmane au cœur des visées hégémonistes. L’incitation à la haine et à la violence à l’encontre des musulmans a atteint des cimes d’indécence.


Tout est fait pour qu’Israël soit perçu comme la victime. Israël se donne le beau rôle d’avant-garde de la civilisation occidentale. Alors qu’il est le fossoyeur de la paix et du rapprochement entre les peuples. Lors des fameux pourparlers à Camp David sous l’égide de Bill Clinton, le mensonge qui a fait le tour du monde se résumait à ceci: «Yasser Arafat a refusé les propositions généreuses d’Ehud Barak.». Pour la majorité de la presse occidentale les Palestiniens ont toujours tort et Israël a toujours raison.

 

Il est important d’alerter les peuples sur la politique du deux poids, deux mesures, car c’est le devenir de l’humanité qui est en jeu.
Des multinationales, des intellectuels et des institutions accompagnent les opérations de répression, d’ingérence et d’embargo. Fait aggravant, les inégalités s’amplifient parfois avec la complicité de régimes locaux et les mouvements qui instrumentalisent la religion. Il est urgent de comprendre les mécanismes qui caractérisent les rapports de force, et les manipulations, en vue de tenter de desserrer l’étau. 

Faire notre autocritique


Le Brésil et l’Argentine, pas seulement le Venezuela, Cuba, le Nicaragua, et le Costa Rica, et demain l’Uruguay qui prévoit de faire de même, ont compris que le devenir est commun. Ils viennent de reconnaître l’Etat palestinien dans les frontières de 1967, vu le jusqu’au-boutisme israélien au service de l’hégémonie du système mondial inique prôné par les néoconservateurs américains et des Européens.
Il est urgent de faire notre autocritique. Les régimes arabes divisés ont depuis longtemps commencé leur descente aux enfers. Ils sont paralysés par l‘épouvantail «fondamentaliste».

 

 Leur image est celle de l’archaïsme et de l’immobilisme. La parodie qui se déroule lors d’élections dans les pays arabes émet une image catastrophique. Le discours iranien visant la destruction d’Israël a un effet inverse, les Occidentaux font bloc.
Pour riposter de manière réfléchie, il est urgent de sortir de la léthargie et d’identifier les sources de nos faiblesses. Elles se situent dans notre difficulté à fonder un Etat de droit, une société du savoir et penser un projet de modernité allié à l’authenticité.

 

A cet égard, depuis la Nahdha, sauf exception, aucune réelle réforme de fond n’a eu lieu. Alors que d’autres pays musulmans comme la Turquie, la Malaisie et l’Indonésie et bien sûr non-musulmans comme le Japon, la Chine, l’Inde et la Corée, ont reformulé leur développement. Il est temps de reprendre la place qui nous revient dans l’ordre du monde et assumer notre responsabilité.


Après la Déclaration d’indépendance à Alger par le Conseil palestinien dirigé par Yasser Arafat le 15 novembre 1988, une centaine de pays avaient reconnu la Palestine, sans que cet «État» ait atteint d’autre réalité qu’un territoire représentant 8% des terres et celle d’une autorité sous le contrôle d’Israël. Demain, si les pays arabes se réforment et agissent pour que cette indépendance soit confirmée au Conseil de sécurité ou par les deux tiers des pays à l’Assemblée générale, ce sera un pas décisif.


Tout comme le Monde musulman n’est pas monolithique, l’Occident ne l’est pas non plus. Des associations et des hommes politiques de la rive Nord constatent les dérives du système mondial et tentent d’y remédier. Avec des courants d’opinion éclairés au sein de l’Union européenne, soucieux de normes juridiques et d’autres pays engagés pour faire reculer la loi du plus fort, il est encore possible de penser un nouvel ordre international juste.
Par le passé, sans l’appui de sa population, l’Urss de Staline a commis des crimes dans des goulags éloignés, l’Allemagne nazie exécutait ses victimes dans des régions cachées et les forces coloniales en Afrique massacraient dans des montagnes ou forêts isolées.

 

La transgression israélienne est commise à ciel ouvert, soutenue par la population israélienne qui s’est radicalisée, intoxiquée par la propagande et traumatisée par des actes désespérés de la résistance palestinienne. Cela devrait interpeller la conscience.
Par le dialogue avec les forces de paix au sein des communautés juives de par le monde, il faut essayer de stopper le sionisme extrémiste. On ne doit pas désespérer de sauver le cours de l’histoire, et préserver le vivre-ensemble. Le Monde musulman et l’Occident sont condamnés à la coexistence.

 

 Il ne s’agit pas de se focaliser sur ce drame de la colonisation en Palestine, mais de comprendre qu’il bloque toute possibilité d’un ordre mondial juste et qu’Israël entre les mains des extrémistes sionistes est la partie immergée de l’iceberg du monde dominant inique. Israël à obtenu que son statut au sein de l’UE et de l’Ocde soit rehaussé. De la part des USA et de certains pays européens un soutien financier, militaire et diplomatique sans précédent est accordé à Israël. C’est un blanc seing à l’impunité.


Cependant, tout n’est pas perdu. Réagissant à la déclaration américaine, la chef de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton, a dit constater «avec regret que les Israéliens n’ont pas été en mesure d’accepter une prolongation du moratoire comme le demandaient l’Union européenne, les Etats-Unis et le Quartette… la colonisation est illégale au regard du droit international et constitue un obstacle à la paix».

 

En outre, un rapport de l’UE avertit que la politique d’Israël «met gravement en danger» un règlement israélo-palestinien à deux Etats. «Si les tendances actuelles ne sont pas arrêtées de manière urgente, la perspective de Jérusalem-Est comme future capitale d’un Etat palestinien devient improbable». Plus encore, 26 anciens responsables européens, comme Javier Solana prédécesseur d’Ashton, l’ancien MAE, français, Hubert Védrine, et le Britannique Chris Patten fustigent l’intransigeance des Israéliens, demandent à fixer un ultimatum et de s’adresser à l’ONU. 

Aider Obama


Il faut restituer le problème dans le contexte de la grave crise économique mondiale et la montée des populismes et extrémismes de droite: cela pollue les démocraties qui se raidissent tant vis-à-vis des migrants que des problèmes de décolonisation. Des spécialistes (1) de la finance internationale constatent que récemment, a eu lieu un événement important, passé inaperçu. En effet, Ambac Financial, le grand assureur obligataire américain, s’est inscrit sous protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites aux Etats-Unis.


L’inscription en faillite du groupe devant l’US Bankruptcy Court de Manhattan est considérée comme le signe précurseur d’une catastrophe économique à venir. Les fonds sont souvent les biens de richissimes en relation avec des lobbys qui soutiennent le sionisme.
C’est un signe précurseur que le système financier international risque de s’effondrer. Face aux risques majeurs de crash, tous les chantages s’exercent. La crise systémique actuelle met en évidence le défaut structurel du capitalisme: la concentration de capitaux dans les mains de quelques acteurs et les lobbys sionistes excellent pour profiter de la situation.

 

Ils obtiennent tout de leurs clients, en même temps ils sont pyromanes.
Au vu de l’impuissance des USA et de notre marasme interne, il ne reste qu’à se réformer pour viser le moyen et long terme et à court terme aider Obama par la riposte en deux volets: la reconnaissance massive de l’Etat palestinien et le boycott mondial d’Israël. Car la souveraineté des Etats et la liberté des peuples, affaiblies et relatives, sont en danger.

 

En liaison avec des pays conscients des enjeux et les mouvements démocratiques, il est urgent de mettre en place les voies de pression, afin de changer le rapport de force et clarifier la conception du monde que l’on veut. La communauté internationale ne doit pas être l’otage d’une idéologie suicidaire: le sionisme extrémiste allié au capitalisme sauvage.(*)  Mustapha CHÉRIF (*)

est Spécialiste du dialogue des civilisations

(1) Gilles Bonafi

 

LA XÉNOPHOBIE ET LE FANATISME

LA XÉNOPHOBIE ET LE FANATISME
La course vers l’abîme

Par Mustapha Cherif
 

 

De nouveau, Barack Obama, à l’occasion de sa visite en Indonésie, a réitéré son respect des musulmans. Plus personne ne croit les intentions. De simples paroles ne peuvent cacher la réalité. Les faits contredisent les intentions. La déception est immense face à cette rhétorique, qui semble un voeu pieux. L’Occident a un passé antisémite. Il a fallu une guerre, l’horreur de l’Holocauste pour que la banalisation de l’antisémitisme dans la société s’estompe nettement; aujourd’hui, c’est le musulman qui est dans l’oeil du cyclone. «L’Occident face à l’Islam», tous les jours une certaine presse occidentale met de l’huile sur le feu et les actes contre les lieux de culte musulmans et les discriminations se multiplient. Les citoyens sont choqués, lassés par l’alarmisme et la dichotomie inappropriée qui exacerbent les crispations. Nous sommes en colère contre les extrêmes de tous bords. La colère est saine, nous devons alerter l’opinion internationale, car le déferlement des discours de la haine sont en train de dépasser toutes les limites. Nous assistons à la mise en pratique du mot d’ordre funeste du choc des ignorances. Ceux qui se disent développés, civilisés et modernes ne savent pas garder raison, ils bafouent le droit à la différence et le respect d’autrui. Ils alimentent le fanatisme. Xénophobie d’un côté, fanatisme de l’autre peuvent transformer notre monde en enfer.

Riposter sagement
A ce jour, les citoyens, de toutes croyances ou non-croyances ne sont pas dupes et ne tombent pas dans le piège de la confrontation et des polémiques. Mais demain, la propagande xénophobe peut créer des désastres et entraîner le monde entier dans une guerre civile totale. Dans un monde en crise morale et économique, marquée par le désespoir, alors que la société a besoin d’apaisement, ce sont surtout des «élites» médiatiques qui s’agitent et donnent la parole aux extrémistes. Quand on prétend informer et contribuer à résoudre les problèmes, il est contradictoire de les poser de manière sciemment tronquée. L’air du temps délirant perturbe, mais il nous faut informer et riposter sagement afin que la vie suive son cours et que nul ne puisse empêcher les êtres humains de se rencontrer, de partager et de s’estimer.
Des médias occidentaux donnent la parole aux extrémistes du dénigrement qui redoublent de férocité. Qu’ils cherchent, à partir de l’Islam, comme de toute autre source, de se concocter une religion hybride, pour eux seuls, un «self Islam», conforme à la logique faustienne ou à leurs fantasmes, c’est leur affaire, libre à eux. Ce n’est ni les premiers, ni les derniers individus qui folklorisent et infantilisent la pratique de la foi. Certes, ils se prévalent de l’Islam, se présentent comme «intellectuels musulmans» et en même temps ils le dénigrent de manière schizophrénique. C’est un signe de dérèglement, ne leur donnons pas d’importance. Ces «nouveaux intellectuels», dits de culture musulmane, qui se flagellent, affirment que «l’Islam est foncièrement violent», que «Dieu» s’est définitivement retiré, que l’au-delà est une fiction et le Coran un texte sacralisé archaïquement, semblent souffrir. Les plus virulents adversaires de l’Islam ne parlent pas comme eux, avec une telle désinvolture et surtout un tel masochisme. C’est une faille incommensurable. On se demande s’il faut en rire ou pleurer, ou s’il faut leur porter un quelconque regard? Il faut les ignorer et que les croyants prient pour eux. De par leur position de dénigrement, ils sont sollicités par des médias occidentaux qui, n’en croyant pas leur chance, s’accrochent à eux, les définissent comme «courageux», en vue périodiquement de sortir l’antienne de l’Occident («civilisé») face à l’Islam («barbare»).
Ces médias cultivent la religiophobie, excluent tout autre interlocuteur que les «révoltés» contre leur communauté et n’ont plus d’arguments que la répétition de mensonges insidieux, adeptes de l’idée qu’en les répétant, il en restera toujours quelque chose. Surfant sur l’exaspération face à des comportements fondamentalistes marginaux mis sur le devant de la scène, ils gomment la frontière abyssale entre Islam et extrémisme, amplifient la culture de la peur et sponsorisent ceux qui renient leur «origine», sous prétexte de «moderniser» l’Islam.

Les extrêmes se nourrissent
Pour ces «intellectuels musulmans» extrêmes, mi-consciemment, mi-inconsciemment, c’est la spirale de la surenchère: qui dira le plus du mal de l’Islam et des musulmans? Par eux, les musulmans sont sommés de se nier, sinon ils sont diabolisés. De par leur aveuglement ces «intellectuels» décrédibilisent la logique, pourtant incontournable, de la critique, de l’interprétation et de la réforme. De plus, il ne s’agit pas pour nous de remettre en cause le droit de critiquer, la religion, y compris avec virulence et de manière infondée. Nul de sensé ne peut soustraire la religion à l’examen critique, mais vouloir stigmatiser, heurter, injurier gratuitement, de manière obsessionnelle et ouvertement discriminatoire, n’est pas digne d’une société démocratique.
L’immense majorité des croyants accepte la critique sans limite, prouve le mouvement en marchant, vit avec son temps, sait ce qu’elle croit et ce qu’elle veut et refuse le dénigrement outrancièrement offensant, la stigmatisation et l’amalgame. Elle refuse tous les extrêmes. Elle sait que les extrémistes, qui rejettent la critique, instrumentalisent la religion et s’enferment dans le repli, sont une infime minorité qui apporte de l’eau au moulin d’autres extrêmes: ceux qui dénigrent de manière pathologique et contribuent à l’invention d’un nouvel ennemi. Les dérives ne sont pas d’un seul bord, les extrêmes se nourrissent. L’immense majorité des croyants sait que les extrémistes, de tous bords, ne peuvent pas tromper tout le monde tout le temps. De plus, ce qui est si grand et si haut, en l’occurrence pour les croyants leurs références fondatrices, parle de lui même et ne peut être atteint. Par la hauteur de vue et le bel-agir, le besoin de partage et le vivre-ensemble l’emporteront. En Palestine, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, partout, le cortège de violences aveugles suit l’envahisseur et l’occupant.
Ignorance et arrogance s’entremêlent. Ces abcès métastasent le monde. Les puissants de ce monde semblent ne plus rien maitriser ni leur économie, ni leur appétit insatiable de puissances, ni l’avenir. Comme un train fou, sans pilote, le système dominant est devenu sauvage et cannibale. Au coeur de sa stratégie, la haine du musulman pour faire diversion.

Rétablir la confiance
L’islamophobie, comme hier l’antisémitisme, n’est pas une vue de l’esprit, mais une tragique réalité qui présage de lendemains néfastes. Nous devons appeler à la résistance pacifique, énergique et plurivoque.
Du dedans, il nous appartient de rétablir la confiance, en réformant nos sociétés, en condamnant fermement les violences aveugles, en affichant notre solidarité avec les croyants discriminés d’autres religions. Les citoyens européens de confession musulmane doivent adapter leurs pratiques culturelles et identitaires au contexte du pays où ils vivent, en se méfiant du repli sur soi et en se tenant à distance des intégrismes. Les non-musulmans doivent reconnaître le droit à la différence, pas seulement à peine tolérer l’autre, mais rechercher le vivre-ensemble, le dialogue et refuser les amalgames. Ils doivent se souvenir que le problème est éthique, moral, l’injustice étant le principal problème. Les décideurs politiques européens doivent se garder de positions électoralistes, d’exploiter les peurs et de stigmatiser les musulmans. La xénophobie, le sentiment antimusulman, la haine et l’agressivité qui sous-tendent la terreur des puissants, scient la branche sur laquelle les sociétés développées sont assises. Les voyous sont ceux qui ruinent le vivre-ensemble et mettent le feu partout, les politiciens et les pseudo-intellectuels qui utilisent la peur pour faire diversion et s’enrichir. Ils nourrissent la haine des uns et le terrorisme des autres.
L’insécurité est le résultat d’un système qui refuse de reconnaître les causes des problèmes. Le monde dominant entraîne toute la planète vers le désastre, s’il ne se corrige pas. On se dirige tout droit vers l’abîme, si tous les hommes de bonne volonté ne s’unissent pas pour mettre fin à la xénophobie et au fanatisme, à tous les délires.

(*) Philosophe
intellectuels@yahoo.fr

Mustapha CHÉRIF (*)

Laura la musulmane

LES CONVERSIONS À L’ISLAM

 
Laura la musulmane

Par Mustapha Cherif

L’islam à notre époque est souvent mal représenté. Ses adeptes sont aujourd’hui plutôt sous-développés, ne savent pas communiquer, si peu cultivés et nuisent à ce qu’ils croient défendre. Mais en même temps, le troisième rameau monothéiste, la religion révélée pour le monde entier et la dernière phase de l’histoire de l’humanité, avance et de nouveaux musulmans éclairés rejoignent ses rangs.
Aujourd’hui de plus en plus d’Occidentaux se convertissent à l’Islam; déçus par l’immoralité, la sauvagerie du système consumériste dominant et par les contradictions des autres religions. Pour un musulman qui quitte l’Islam, dix étrangers se convertissent à lui. En Europe, environ cinq cents personnes par jour se convertissent à l’Islam. Lors du pèlerinage, comme en ce moment, chacun constate combien le nombre d’Occidentaux qui participent au grand rassemblement spirituel, est en progression. L’Islam apporte une réponse claire, raisonnable et vivante aux questions fondamentales. Il rend serein, heureux et fort celui qui prend conscience de la vérité spirituelle de la vie, fondée sur le principe que tout est relatif sauf l’Absolu, signification de la première partie de la profession de foi: «Il n’y a pas de dieu sauf Dieu.» Et la deuxième partie de la shahada, le témoignage, signifie que le lien à Dieu passe par le chemin tracé par Son Envoyé, l’homme universel, miséricorde pour les mondes, le bel exemple à suivre, qui parachève et accomplit l’histoire des révélations: «Et Mohamed est son Prophète.» Une récente conversion édifiante montre que rien ne peut occulter la vérité quand elle se manifeste à un être sincère et juste: «Je m’appelle Lauren Booth et je suis musulmane.» Ce sont avec ces mots que la belle-soeur de Tony Blair s’est présentée devant une assemblée de musulmans à Londres, il y a quelques jours, le 23 octobre 2010.

Un visage éclairé, une voix juste
Sa belle chevelure blonde à peine dissimulée sous un discret foulard, la journaliste et soeur de Cherie Blair, a fait une émouvante promesse aux participants de la conférence annuelle Global Peace and Unity: «Je ne tolérerai pas que l’Islam soit présenté comme une religion agressive et violente.» Elle touche par là à l’essentiel: la propagande anti-islam veut faire croire que l’Islam est violent, alors qu’il vise la paix et la justice.
Certes, les usurpateurs du nom, qui instrumentalisent l’Islam, les criminels intégristes, qui parlent en son nom et portent atteinte à son image, sont les premiers qui apportent de l’eau au moulin des xénophobes. Le mal est d’abord interne au monde musulman, et les violences actuelles en Irak, au Pakistan et ailleurs en sont la dramatique démonstration. Cependant, non seulement la cause est surtout due aux agressions extérieures et ingérences, mais rien ne peut justifier la haine contre l’Islam qui n’a rien à voir avec la folie des hommes assoiffés de pouvoir et aveuglés par le sentiment de vengeance. L’occupation de l’Irak, de la Palestine et les politiques qui manipulent, produisent des extrémistes et puis considèrent les musulmans comme les nouveaux ennemis. La question centrale de notre temps est celle de la justice.
Lauren Booth par ce «Je ne tolérerai pas que l’Islam soit présenté comme une religion agressive et violente», lance ainsi, un avertissement à tous les islamophobes et sans doute à l’ex-Premier ministre Tony Blair son beau-frère, qui a passé sa carrière politique à attaquer l’Islam et les musulmans de manière directe ou indirecte. Cette lucide et courageuse femme de 43 ans, a critiqué sa politique au Proche-Orient par le passé, notamment lors de la guerre qu’Israël a menée contre le Liban et le Hezbollah libanais en 2006.
Elle lui a adressé une lettre cinglante en septembre dernier dans laquelle elle l’accuse ouvertement de s’aligner sur Israël et de fermer les yeux sur le sort des Palestiniens. Tony Blair, qui avait suivi aveuglement Bush dans sa croisade contre l’Irak, aujourd’hui est soi-disant «émissaire de la paix au Proche-Orient» pour le Quartett. Il est favorable aux thèses sionistes et ne perd pas une occasion de prêcher la ligne belliciste face à l’Iran et ses ambitions nucléaires. C’est le cynisme de la politique de certaines puissances occidentales.
Laura est claire, elle lui reproche sa vision antimusulmane: «Ta vision globale est que les musulmans sont fous, dangereux et qu’il vaut mieux les éviter», conclut-elle dans sa plaidoirie. Cette militante des causes justes est considérée comme une pasionaria de la cause palestinienne. Lauren Booth a pris part à plusieurs missions humanitaires dans la bande de Ghaza et tente d’alerter sur les conditions dramatiques dans lesquelles vivent les Palestiniens sous l’apartheid sioniste. Elle a décidé de se convertir à l’Islam après avoir visité nombre de pays musulmans et partagé des moments de recueillement dans des mosquées. Elle a connu son éveil spirituel en septembre dernier, dans une mosquée.

Une vérité irrésistible
Dans le journal, où elle écrit, le Daily Mail, elle précise: «Une joie spirituelle foudroyante m’a envahie. Je savais que je n’étais plus une touriste de l’Islam, mais une voyageuse au sein de sa communauté.»
Cette nouvelle voix est représentative de la situation: malgré tous les mauvais musulmans qui trahissent l’Islam, tous les complots, toutes les campagnes de désinformation et la puissance matérielle de ceux qui pratiquent le culte du veau d’or, la vérité spirituelle coranique reste irrésistible. Elle humanise, rend clairvoyant et digne.
Cette conversion soulève des réactions meurtrières et haineuses: «Une femme choisissant de devenir le visage acceptable d’une bande de voyous qui lapident des femmes adultères, c’est la quintessence du syndrome de Stockholm», a écrit la chroniqueuse de droite Julie Burchill. Cela montre que Laura dérange et touche au coeur de la question: l’aveuglement d’une partie des décideurs et de l’opinion occidentale qui n’arrive pas à regarder la réalité en face. Le musulman est aujourd’hui David qui résiste à Goliath l’Israélien.
Plus encore, face aux dérives du libéralisme sauvage, de l’athéisme dogmatique, la faillite des idéologies et des Eglises marquées par la collusion, l’Islam est la figure d’une autre version de l’humain qui a du sens. Le mauvais comportement d’une partie de ses adeptes, l’archaïsme des régimes islamiques et l’état de décadence dans lequel se trouve nombre de sociétés musulmanes, ne peuvent changer la réalité: le Message coranique est au-dessus des affres de notre temps et s’adresse au coeur et à la raison de l’humain universel. Lauren Booth a condamné l’arrogance et la condescendance de nombre d’Occidentaux envers les musulmanes. Dans une lettre ouverte, elle dénonce le fait que trop de non-musulmans ne comprennent rien aux vertus de la femme musulmane: «Croyez-le ou non, elles peuvent être éduquées, travailler le même nombre d’heures que nous et assumer leurs responsabilités de citoyennes.» Cette nouvelle voix de la cause des croyantes, ajoute qu’elle se réjouit d’avoir abandonné l’alcool grâce à sa nouvelle religion. «Il y a tant de choses à apprendre, à aimer et à admirer dans l’Islam.»
Certains polémistes, pratiquant l’amalgame et la confusion, lui reprochent de ne pas parler des violations des droits de la personne dans des pays islamiques. Nul ne peut nier que la démocratie et l’Etat de droit sont faibles en rive Sud, mais c’est un problème politique et non point spirituel. De plus, la situation dans le monde musulman est hétérogène, diverse, on ne peut pas généraliser et uniformiser. Dans tous les cas, le témoignage et la ferveur ouverte de Laura symbolisent bien le fait que la foi musulmane s’adresse à tous les peuples, aux hommes et aux femmes de tous les temps. Encore une fois, apprendre à vivre ensemble de manière juste et à respecter le droit à la différence, est l’exigence de toujours. Bonne fête de l’Aïd el Adha, à Laura et à toutes les musulmanes et musulmans, moment du souvenir d’Abraham, père des croyants monothéistes, qui ont confiance en l’avenir.

(*) Professeur des Universités
www.mustapha-cherif.com

Être intellectuel

Dans un monde en crise

Être intellectuel

Par Mustapha Chérif

 Au pays de Novembre, l’intellectuel rêve de liberté, de démocratie, d’émancipations, de progrès, sans perdre son âme. Tel est l’algérien, par delà la diversité d’opinions. La glorieuse révolution de Novembre a libéré le territoire et tout le monde attend que celle du citoyen atteigne un point de non retour. Le contexte mondial ne favorise pas la réalisation plénière de nos rêves. D’où l’importance de ne pas rêver coupé du réel. La démocratie et l’indépendance ne sont pas qu’un slogan, destiné à faire croire aux peuples qu’ils prennent leurs décisions. Certes, l’avenir révolutionnaire est passé, mais il n’indique aucun renoncement aux changements et encore moins à l’exigence de justice et de savoir. Gardons en mémoire la bravoure de nos ainés libérateurs.

Il faut prendre la mesure de l’avenir comme « révolution », pour faire renaitre, de façon agissante et inspirée, le désir et les pratiques d’émancipation. Tout intellectuel algérien, quelque soit sa lecture, ne peut que se ressourcer au Message fondateur du 1er Novembre 1954. La Révolution est une venue au monde d’une nation, plus encore l’Algérie, terre d’un peuple forgé par le courage, ne fait pas exception. Rien ne serait plus indigne, en termes de fidélité, que d’ignorer les acquis et les difficultés qui ont eu lieu pour affronter la marche du temps. D’autant que toutes les promesses de l’indépendance ne se sont pas réalisées. 

Conjugaison entre authenticité et modernité

 La situation mérite toute l’attention des intellectuels, des créateurs et des chercheurs soucieux d’intérêt général.  Crise au vu du faible niveau culturel, de l’incivisme, de la situation des intellectuels, de la fuite des cerveaux, de la crise des valeurs, de l’état de l’éducation. Dans le monde, les messages et les images qui assaillent les peuples sont ceux du cynisme et de la course à la richesse à tout prix, qui saccagent les structures mentales, les cultures et les identités. C’est un des traits des incompétences et du libéralisme sauvage que produire de la révolte anarchique et de la croissance spéculative, une pandémie de misère et de déchéance. L’Algérie pays de la culture de la résistance peut contribuer à éclore une voie digne de l’élévation de la condition humaine.

Partout dans le monde, c’est aujourd’hui plus qu’un risque, de voir opposer  à cette modernité déviée de son sens de progrès pour tous, une réaction d’un côté obscurantiste et rétrograde et de l’autre de la perversion et de l’immoralité. C’est le ressentiment contre la modernité pervertie et les régimes corrompus qui sont une des sources des extrémismes, de la haine du progrès et de l’authenticité, de la culture, des sciences et des révolutions.

La  réaction rétrograde s’exprime dans une mystification univoque d’un passé présenté comme sans ombres, qui oublie ou tient pour négligeables les progrès scientifiques actuels, de l’instruction, de l’information, des connaissances, de la santé publique, du transport et aussi de la liberté – même si le bénéfice de tous ces acquis est injustement distribué. Si bien qu’au plan mondial, les inégalités, l’avantage et le progrès des uns poussent au désespoir et à la désolation les autres. Le projet de se replier sur la religion mal interprétée et si superficiellement vécue,  ou  sur le national chauvin, face aux injustices et aux misères du monde, est aussi chimérique que de vouloir l’individu sans le commun, le cœur sans la raison, le passé sans le futur.

Puisqu’il faut écarter l’hypothèse du pseudo-retour, et puisque la situation de notre époque est intenable – cynisme et immoralité moderniste face au fanatisme, il faut un autre tracé commun de l’avenir. L’Algérie en est capable. Le projet d’une telle pensée est inscrit dans l’Appel du 1er Novembre. Certes le ni-ni n’a pas dans la politique de bons antécédents. Les troisièmes voies ont illustré des impasses: impuissances des réformistes, mystifiantes synthèses de choix contraires, bricolages aspirant à tout avoir ensemble, et  tout évité: capitalisme et communisme, autorité et liberté, alliance et indépendance.

Pourtant le double refus est légitime : de la modernité pervertie et du passé sclérosé, du libéralisme sauvage et du socialisme paralysant, du monde hégémonique et des replis. Avec méfiance et vigilance, le travail de l’intellectuel, attaché à la hauteur de vue, recherche un chemin d’avenir, celui de l’attachement à la patrie, à la symbiose, la synthèse qui n’est jamais donné d’avance, entre authenticité et modernité, entre progrès et morale, entre origine et devenir, entre discipline et responsabilité.

 L’intellectuel attentif sait que l’Algérien peut faire des miracles et reste attaché à une autre vue de l’avenir, qui récuse les deux  fantasmes tragiques, l’extrémisme politico-religieux et la marchandisation du monde, tous deux deshumanisants. Dès qu’il s’agit d’inventer une autre voie, entre le passéisme fermé et le désastre du Marché Monde marchons prudemment, en alerte. Nous ne devons rien céder sur l’essentiel. Lier les différents versants de la vie est non négociable : liberté et engagement, démocratie et responsabilité, valeurs spécifiques et universalité, politique et éthique, unité et pluralité, souveraineté nationale et mondialité.

En tant qu’algérien, notre histoire, les problèmes du présent et les appels de l’avenir, exigent de nous une réponse juste. On ne peut se permettre ni d’abandonner, de se laisser à la lassitude, au mutisme, à l’immobilisme, ni de s’engouffrer dans la voie de l’activisme qui confond vitesse et précipitation et n’agrée pas notre conscience. Malgré la complexité de la tâche, la mesure est la marque de  la crédibilité.

 Nation apaisée

L’intellectuel se doit de s’inspirer de normes crédibles et d’une mémoire vivante.  L’intellectuel algérien ne fait pas exception, il se sent encore plus concerné par le devenir collectif, car l’Algérie depuis prés de deux siècles a souffert. Elle a subit le martyr durant les 132 ans de la nuit coloniale, puis malgré des acquis déçu par 40 ans de système unique, ensuite plus d’une décennie de terrorisme et l’affaiblissement des liens sociaux, le tout marqué par le réveil de clivages stériles. L’intellectuel doit sans cesse se rappeler les martyrs, s’incliner en leur mémoire,  éveiller les consciences, sans syncrétisme, ni relativisme aider à l’unité, au rassemblement et à la formation d’une Nation apaisée, traversée par le souffle de l’être commun. Tout en favorisant le sens  du dialogue face à ce qui peut entraver les libertés, la diversité, les singularités et les individualités.

Refuser les divisions belliqueuses et infondées, et favoriser la diversité et l’articulation entre des valeurs multiples tel est l’enjeu. Notre pays de par son histoire et sa géographie et surtout ses ressources humaines peut être un pays phare. Il  est au carrefour des cultures et se veut, de par son patrimoine, communauté médiane, qui lie islamité, arabité et amazighité, sans oublier ses autres dimensions méditerranéennes, africaines, et son universalité.

L’action permanente est de tenter de traduire les aspirations du peuple, lui redonner de l’espérance et de la joie qu’ils lui manquent tant. Recréer des espaces de convivialité est une priorité. Assumer la vocation d’intellectuel, comme trait d’union critique constructive, entre les citoyens et les pouvoirs, au côté du respect de la loi et de ceux, sans distinction, qui subissent oubli et marginalisation. Il s’agit de comprendre la sagesse, la colère et les silences de ceux qui n’ont pas la parole, de dénoncer les formes de fermeture et de mépris et d’énoncer des horizons d’espérances. Les problèmes du monde sont d’abord des problèmes moraux. Par le travail et la libération des énergies nous ne pouvons que rejoindre le rang des pays émergents et reconstituer les classes moyennes.


Le vivre ensemble

L’intellectuel algérien, sur le fond, s’interroge sur le devenir de la société qui est malade et qui souffre. Elle a des difficultés à s’impliquer et à assumer les transformations. La nation, la collectivité aujourd’hui est une réalité à reconstruire. Il ne suffit pas  de rechercher la bonne gouvernance. La situation d’épuisement de notre sombre époque, le gap qui sépare de plus en plus les pays développés et les autres, à l’exception d’une dizaines d’émergents, les nihilismes, la « désignification », les tentatives d’ingérences, les dysfonctionnements, appellent à une vision stratégique.  Il faut tenter d’énoncer du « sens » et de former un citoyen responsable, c’est-à-dire avant tout cultivé, pour forger une société du savoir. C’est l’arme par excellence.

 Sur les plans éthique et politique, l’intellectuel algérien tente d’avoir  des positions objectives et courageuses face au besoin d’un Etat de droit, d’une société instruite et à un rapprochement  entre les peuples mutuellement bénéfiques. L’Algérien doit tenter de bâtir inlassablement ces projets. La collectivité politique cohérente, juste et ouverte semble difficile à réaliser. Pourtant, il ne faut pas renoncer. L’homme est né libre est partout il est dans les fers, disaient Ibn Khaldoun et Rousseau, chacun à sa manière,  faisant allusion aux limites et entraves produites par la société-communauté et la lutte pour le pouvoir.

 Pourtant, tout le monde – et le philosophe en particulier – sait que la vie est impossible sans l’Etat qui érige une société civilisée. La modernité se fonde sur l’idée d’autonomie du sujet, du citoyen, de l’individu, allié à l’être commun, c’est indissociable.

L’intellectuel algérien dans notre sombre époque tente de comprendre les séismes politiques internes et internationaux, de se hisser à la hauteur de ce qui est requis, de rester en phase avec le réel, de reposer la question avec prudence et réalisme, de retracer, un mouvement qui ne relève de la pensée que parce que d’abord il appartient à l’existence. Il faut s’impliquer sereinement, faire montre d’une audace et d’un esprit critique stimulants, car les questions, comme celle du rapport entre la société et l’Etat et le droit à participer à la vie publique, ne sont ni simples, ni épuisées. Sans le respect des institutions il est impossible de progresser, sans la participation du citoyen non plus.

Pour assumer, il faut être en accord avec sa conscience et sa volonté libres. Aujourd’hui, dans le contexte de l’autoritarisme incompétent, de la mondialisation hégémonique, de la techno-science, du libéralisme, des archaïsmes religieux, et des démagogies, cela est plus facile à dire qu’à faire. D’où l’importance de débattre et relire  nos sources. La possibilité de la nation éveillée, du peuple éclairée, en Algérie comme ailleurs, n’est pas donnée d’avance, mais c’est l’alpha et l’oméga. Le débat nous invite à rechercher une nouvelle civilisation du « vivre-ensemble », pour notre patrie, non coupée du mouvement du temps, sans imaginer revenir à des formes anciennes de communauté, ou céder, par lassitude, aux individualismes et à la rupture des liens sociaux.

Vivre en solitaire égoïste, en exilé dans son propre pays, non concerné par la communauté, est voué à l’échec, chacun mourant lâchement tout seul à petit feu. Il s’agit aujourd’hui de se tourner vers l’avenir, de prendre la parole, de rassembler, de reconstituer une société équilibrée, consciente de ses devoirs  et de ses droits.

L’Algérie, « belle et rebelle », trait d’Union entre le Nord et le Sud, l’Orient et l’Occident, malgré des dérives et déceptions, est capable de symbioses nouvelles et de prodiges. Il faut la force de la passion du pays, il n’y a rien de plus beau. Sans cette passion, l’intellectuel aurait déjà renoncé. Nul être conscient ne peut renoncer à ce qui nous  met au monde : la patrie. Par cet attachement incomparable, il est possible de sortir des incertitudes.

  Mustapha Cherif

 Mail : intellectuels@yahoo.fr

Réponse à Angela Merkel : le fond du débat !

Par Mustapha Cherif*



 

Le penseur allemand Goethe en 1810 écrivait : « J’ai une grande estime pour la religion prêchée par Mohammed parce qu’elle déborde d’une vitalité merveilleuse. Elle est la seule religion qui me paraît contenir le pouvoir d’assimiler la phase changeante de l’existence – pouvoir qui peut la rendre attractive à toute période… J’ai prophétisé sur la foi de Mohammed qu’elle sera acceptable à l’Europe de demain. » Cette vision éclairée est perdue de vue. Le débat sur l’islam en Europe dérape.Que se passe t-il ? Même si tous les Européens ne confondent pas islam et fanatisme, on constate un emballement inquiétant. Des responsables politiques, notamment de pays qui ne sont pas quittes avec leur passé et qui devrait êtres vigilants, opposent abruptement les valeurs des Lumières ou les valeurs chrétiennes à celles de l’islam. Pourtant, la civilisation musulmane, issue du troisième rameau monothéiste et de la culture gréco-arabe, les partage. Ces valeurs furent bafouées par le colonialisme, les totalitarismes et, aujourd’hui, les non- croyants dogmatiques. Les discriminations que subissent des citoyens européens musulmans, la politique des deux poids et deux mesures, l’impunité d’Israël en Palestine de par la mauvaise conscience des Européens, perturbent le lien islam-Occident.

Il faut mettre fin au fantasme de la citadelle assiégée. Nous avons le devoir d’éduquer à l’acceptation de la diversité. Les préjugés, de part et d’autre, doivent disparaître. L’immense majorité des musulmans accepte la critique sans limites et nul ne peut nier que se posent pour tous les peuples des problèmes d’articulation entre unité et pluralité, d’« intégration » pour une minorité et que des fondamentalismes soient visibles, mais l’heure est grave. Les polémiques virulentes qui traversent tous les courants politiques au sujet des citoyens européens musulmans sont alarmantes.

 

 

La responsabilité est partagée

Il est temps de faire triompher l’amitié, de mettre fin au populisme érigé en politique officielle. Le malentendu persistera tant qu’on n’aura pas extirpé la principale racine du problème : la méconnaissance. Musulmans, chrétiens, juifs, humanistes, apprenons à nous connaître et à faire notre examen de conscience. La responsabilité est partagée. Est une hypocrisie que l’empressement avec lequel des responsables européens condamnent des actes islamophobes et antisémites, alors qu’ils procèdent d’un climat de défiance auquel ils ont contribué. Des fondamentalistes crient à l’offense, alors qu’ils ont déformé l’image de l’islam.L’amplification de la peur, l’exploitation avec cynisme des dérives des fondamentalistes jettent l’opprobre sur tous les musulmans. La propagande du choc des civilisations gagne du terrain. Le rejet des musulmans stigmatisés est non plus un épiphénomène, mais une diversion aux impasses du système dominant. La question de l’intégration est utilisée à des fins électoralistes. Ce n’est plus le radicalisme qui est dénoncé. Les références fondatrices, le Coran et le Prophète [PBDSL] sont attaqués. La xénophobie, d’une part, et l’intégrisme, d’autre part, déforment l’image de l’islam, alors qu’il professe le refus de toute idolâtrie et le respect des différences.

Que peut faire le citoyen européen musulman pour empêcher la confrontation nuisible pour tous ? Il doit s’engager avec les hommes de bonne volonté pour la reconnaissance de l’altérité. Comme celles de l’antisémitisme, les causes de l’islamophobie sont anciennes : l’ignorance, les situations de crise, des stratégies d’invention d’un bouc émissaire et les fondamentalismes. Les leçons de Hannah Arendt, juive allemande, semblent être oubliées : « Le premier pas sur la route qui mène à la domination totale consiste à tuer en l’homme la personne juridique. » Le citoyen musulman est visé comme nouvel ennemi. Il doit faire son autocritique, ne pas tomber dans les provocations, reprendre confiance, passer du refus des amalgames à l’énonciation de voies pour le vivre ensemble.

 

 

Être au rendez-vous de l’Histoire

Premièrement, prendre la parole pour contribuer au discernement, malgré le verrouillage des champs médiatiques. Se démarquer des courants agressifs qui nuisent à ce qu’ils croient défendre, en montrant que le fondamentalisme est l’anti-islam et l’antihumanisme.Deuxièmement, s’engager en politique. Œuvrer aux côtés de ceux qui défendent les causes justes. C’est avec les démocrates que l’avenir sera préservé. Ce qui est en jeu, c’est la démocratie, pas seulement le sort des musulmans. L’islam réintroduit le débat de fond, celui sur la question du sens et de la justice, dans une société qui a besoin d’équilibre, car malgré les prodigieux progrès technoscientifiques se profile la déshumanisation.

C’est l’ère de la dégradation intellectuelle, du recul du droit, de la crise de la modernité européenne et de la tradition sclérosée en Orient. Cependant, risques et opportunités s’entremêlent. Les peuples sont confrontés au risque et à la mise en demeure de se dépasser : « Là où il y a danger, là aussi croît ce qui sauve », dit le poète allemand Hölderlin. Les citoyens européens de confession musulmane sont au confluent des périls et des opportunités.

Troisièmement, compte tenu du choc des ignorances, il est vital d’introduire l’enseignement du fait religieux, de la civilisation et de la langue de l’autre dans les établissements scolaires, et les animateurs cultuels doivent être formés à la langue et aux cultures du pays.

Quatrièmement, le dépassement de faux clivages est vital. Rassembler est la tâche de l’heure. Le droit d’exprimer collectivement la foi doit être protégé, sans agir de manière outrancière, afin de réduire le communautarisme.

Cinquièmement, se rendre compte que les mauvaises interprétations de nos sources nourrissent le sentiment antimusulman. Ceux qui s’attachent à la gestuelle et réduisent la foi à des aspects rigides se trompent. L’’intégrisme est un contre-exemple de l’islam. Les signes extérieurs ne sont pas la loi religieuse. Des bricolages exégétiques renforcent le refuge contestataire. Mais il y a des croyants sincères qui recherchent l’approfondissement de leur foi.

Par des paroles justes, des actions réfléchies, le souci du dialogue, on sera au rendez vous de l’Histoire. Être musulman, c’est être pieux, juste et logique, ligne civilisée et médiane. Des citoyens de confession musulmane, au chômage, notamment les jeunes, souffrent. Il est impérieux de les écouter, en leur offrant une formation. Il s’agit non pas de survivre, ni de se renier, mais de vivre avec les autres et d’accepter l’évolution de l’identité.

Durant des siècles, la coexistence entre des populations aux parcours culturels différents caractérisait le bassin méditerranéen. Les dérives ne peuvent occulter la réalité. Les musulmans d’Europe participent sans complexe à la vie de la Cité. Ils prouvent leurs qualités et n’ont aucun problème à vivre avec les non-musulmans. Ils savent que leur religion fonde la sécularité et la vie sous la forme du savoir. Le philosophe allemand Hegel dans Leçons écrit : « Les sciences et les connaissances, en particulier celles de la philosophie, sont venues des Arabes à l’Occident ; une poésie noble et une imagination libre ont été allumées auprès des peuples germaniques. »

Il n’y a aucune opposition de principe entre les civilisations. Ce n’est pas seulement à l’« autre » de s’adapter. Nous refusons l’arrogance avec laquelle on parle du musulman, comme s’il était susceptible de n’accéder à la dignité que s’il s’occidentalise sans conditions. Nous escomptons des responsables européens le sens de la clairvoyance, afin que le débat sur le vivre-ensemble ne soit pas dévié. De la pertinence de la réponse dépend l’avenir du monde.

* Mustapha Cherif, philosophe, professeur des universités et auteur d’ouvrages sur le vivre-ensemble et le dialogue des cultures, est membre du Forum mondial islamo-catholique.

 

 

Les dérives des extrêmes !

Les dérives des extrêmes

Un hebdomadaire français titre à la Une « L’Occident face à l’islam », de nombreux citoyens sont choqués, lassés par cet alarmisme et la dichotomie inappropriée qui exacerbent les crispations. Ils sont en colère contre les extrêmes de tous bords. Il faut savoir garder raison, rester serein , tenir au droit à la différence et au respect d’autrui et proposer des solutions pratiques à cette  situation.  La base, les citoyens, de toutes croyances ou non croyances, malgré des inquiétudes et des interrogations légitimes, ne sont pas dupes et ne tombent pas dans le piège de la confrontation et des polémiques. MAIS ON NE SAIT PAS DE QUOI SERA FAIT DEMAIN.

Alors que la société a besoin d’apaisement, ce sont surtout des « élites » médiatiques qui s’agitent et donnent la parole aux extrémistes. Quand on prétend informer et contribuer à résoudre les problèmes, il est contradictoire de les poser de manière sciemment tronquée. L’air du temps délirant perturbe, mais au fond la vie suit son cours et nul ne peut empêcher les êtres humains de se rencontrer, de partager et de s’estimer.

Des médias donnent la parole aux extrémistes du dénigrement qui redoublent de férocité. Qu’ils cherchent, à partir de l’islam, comme de toute autre source, de se concocter une religion hybride, pour eux seuls, un « self islam », conforme à la logique faustienne ou à leurs fantasmes, c’est leur affaire, libre à eux. Ce n’est ni les premiers, ni les derniers individus qui folklorisent et infantilisent la pratique de la foi. Certes, ils se prévalent de l’islam, se présentent comme « intellectuels musulmans » et en même temps ils le dénigrent de manière schizophrénique. C’est un signe de dérèglement, ne leur donnons pas d’importance.

Ces « nouveaux intellectuels », dits de culture musulmane, qui affirment que « l’islam est foncièrement violent », que « Dieu » s’est définitivement retiré, que l’au-delà est une fiction et le Coran un texte sacralisé archaïquement, semblent souffrir. Les plus virulents adversaires de l’islam ne parlent pas comme eux, avec une telle désinvolture et surtout un tel masochisme. C’est une faille incommensurable. En outre, ils ne cessent de répéter qu’ils sont « illuminés », qu’il faut les laisser travailler et qu’ils vont révolutionner le monde spirituel. On se demande s’il faut en rire ou pleurer, ou s’il faut en porter un quelconque regard ? Il faut les ignorer et que les croyants prient pour eux.

De par leur position de dénigrement, ils sont sollicités par des médias qui, n’en croyant pas leur chance, s’accrochent à eux, les définissent comme « courageux », en vue périodiquement de sortir l’antienne de l’occident (« civilisé ») face à l’islam (« barbare »). Ces médias cultivent la religiophobie, excluent toute autre interlocuteur que les « révoltés » contre leur communauté et n’ont plus d’arguments que la répétition de mensonges insidieux, adeptes de l’idée qu’en les répétant il en restera toujours quelque chose. Surfant sur l’exaspération face à des comportements fondamentalistes marginaux mis sur le devant de la scène, ils gomment la frontière abyssale entre islam et extrémisme, amplifient la culture de la peur et sponsorisent ceux qui renient leur « origine », sous prétexte de « moderniser » l’islam.

Pour ces « intellectuels musulmans » extrêmes, mi-consciemment, mi-inconsciemment, c’est la spirale de la surenchère : qui dira le plus du mal de l’islam et des musulmans ? Par eux, les musulmans sont sommés de se nier, sinon ils sont diabolisés. De par leur aveuglement ces « intellectuels » décrédibilisent la logique, pourtant incontournable, de la critique, de l’interprétation et de la réforme. De plus, il ne s’agit pas pour nous de remettre en cause le droit de critiquer la religion y compris avec virulence et de manière infondée. Nul de sensé ne peut soustraire la religion à l’examen critique, mais vouloir stigmatiser, heurter, injurier gratuitement, de manière obsessionnelle et ouvertement discriminatoire, n’est pas digne d’une société démocratique.

L’immense majorité des croyants accepte la critique sans limite, prouve le mouvement en marchant, vit avec son temps, sait ce qu’elle croit et ce qu’elle veut et refuse le dénigrement outrancièrement offensant, la stigmatisation et l’amalgame. Elle refuse tous les extrêmes. Elle sait que les extrémistes qui rejettent la critique, instrumentalisent la religion et s’enferment dans le repli sont une infime minorité, qui donnent de l’eau au moulin à d’autres extrêmes : ceux qui dénigrent de manière pathologique et contribuent à l’invention d’un nouvel ennemi. Les dérives ne sont pas d’un seul bord, les extrêmes se nourrissent. L’immense majorité des croyants sait que les extrémistes, de tous bords, ne peuvent pas tromper tout le monde tout le temps. De plus, ce qui est si grand et si haut, en l’occurrence pour les croyants leurs références fondatrices, parlent d’eux mêmes et ne peuvent être atteint. Par la hauteur de vue et le bel-agir, le besoin de partage et le vivre ensemble l’emporteront.

Mustapha Cherif