La résistance face à l’hégémonie

LA GUERRE EST TOTALE

La résistance face à la crise de l’hégémonie

Par Mustapha Cherif

29 Octobre 2009 –

Jamais le monde n’a connu une telle crise multiforme, la guerre est totale, politique, économique et culturelle. Les relations internationales ne sont pas démocratiques et la majorité des pays le sont si peu. Les citoyens décident de moins en moins de leur avenir. Des oligarchies, des centres et des lobbys décident pour eux, y compris dans les pays dits développés qui se basent sur la légitimité des institutions et la prolifération des normes juridiques.
L’époque est marquée par les manipulations, la loi du plus fort et l’unilatéralisme. Des puissances émergent, sur la base de la croissance économique, mais ne sont pas des modèles de démocratie, différents du système dominant. Malgré les progrès scientifiques et des frémissements pour réduire la sauvagerie du libéralisme, il n’y a pas d’ordre juste, ni de civilisation. Le principe de l’accumulation de richesses et de croissance au profit d’une minorité est synonyme d’inégalités et de paupérisation. Le contraste est choquant entre l’opulence des sociétés riches, bénéficiaires de la rente, et la misère des sociétés dominées. Ou bien la démocratie est universelle et a un sens, ou bien elle n’est qu’un slogan qui occulte que les décisions sont prises par des cercles restreints.

Le droit au débat public

Dépossession des peuples de leurs richesses et de leur souveraineté caractérise la mondialisation. Des anciennes formules totalitaires «tout est religieux» et «tout est politique», on est passé à «rien n’est religieux, rien n’est politique, tout est marchandise». Rien de décisif ne se fera sans démocratie. Les musulmans sont au centre de polémiques et prennent la figure du dissident réfractaire à la démocratie. Pourtant, en Islam tout exige d’édifier la démocratie, toujours à venir. L’opposition entre l’Orient et l’Occident n’a pas lieu d’être. Un monde multipolaire et démocratique permettra aux pays soumis à des archaïsmes de s’engager sur le chemin des réformes et aux différences de s’exprimer dans le respect mutuel.
La symbiose, hier donnée naturelle, sera-t-elle possible demain? Comment s’ouvrir au monde, sortir du sous-développement, des despotismes, des fanatismes et des compréhensions fermées du monde? Comment faire face à l’hégémonie, à la crise de la modernité, au «désenchantement», à la «désignification» et au libéralisme sauvage? Comment faire face à la loi du plus fort, à la recolonisation sous d’autres formes et à la déshumanisation, autrement que par la consolation dans la religion? Comment saisir qu’il y a encore du sens dans le partage et que ce n’est plus sous l’expression de ce que nous avons connu comme «indépendance»?

Les peuples sont face à leur responsabilité pour produire des progrès sur le chemin de la construction d’une civilisation authentique, libérée de la domination du libéralisme sauvage et des idolâtries sous toutes leurs formes.
Il faut réinventer «la démocratie», c’est elle qui manque. Certains prétendent que le peuple ne sait pas toujours ce qu’il faut faire et que la politique a peu de lien avec la morale. Mais la démocratie, qui n’est jamais parfaite et définitive, est la condition du développement et de la paix. On veut nous faire croire que le monde unipolaire et unilatéral est en train de disparaître, alors que la mondialisation est «occidentalisation». Le modèle dominant ne peut être imposé. Nous avons le droit au débat public et à la participation à la décision. Pour créer une civilisation, qui fait défaut, le monde doit s’organiser sur les plans politique, économique et culturel. Les peuples ne sont pas dupes. Ils refusent et l’hégémonie arrogante et la réaction aveugle à l’oppression. Le monopole des pouvoirs conduit à des catastrophes.
Les pratiques des religions comme idéologies crispées, en contradiction avec les textes, ne permettent pas de faire face à l’exigence du vivre-ensemble. L’altermondialisation s’essouffle, faute de doctrine politique. Le monde entier constate à quelles postures antidémocratiques conduisent, à la fois, les dérives fanatiques d’adeptes d’idéologies, comme le sionisme radical qui agit dans l’impunité et le libéralisme sauvage, d’un côté, et celles d’extrémistes «politico-religieux», d’un autre côté. L’autre différent est stigmatisé, défiguré, diabolisé. Dans ce contexte, la lassitude et le mutisme sont contre-productifs, même si le retrait est une figure de sens. Est-on capables de saisir ce qui se profile et faire face aux défis du devenir?

Les leçons des révolutions

Premièrement, comprendre les expériences politiques des peuples. Cela s’appelle l’interconnaissance.
Deuxièmement, sans relativisme, favoriser le dépassement des différences, comme celles entre le Nord et le Sud, car le Nord est partout et l’Orient et l’Occident sont imbriqués.
Troisièmement, témoigner pour défendre le vivre-ensemble. Les discours sur le prétendu «choc des civilisations», la haine, raciale et religieuse, les fanatismes, l’imaginaire de la peur et du dénigrement et l’hégémonie par le Marché sauvage troublent l’époque.
Le système dominant confisque la parole, divise pour régner, s’oppose au changement et pratique le double standard. Les leçons des révolutions spirituelles révélées qui responsabilisent et mettent fin aux idolâtries, les révolutions citoyennes, américaine de 1776, française de 1789, russe de 1917, des luttes de libération, de la chute du mur de Berlin et des résistances au nom de la liberté, ne peuvent passer aux oubliettes. Les luttes victorieuses de libération du monde arabe, de l’Asie et de l’Afrique, à leur tête celle de l’Algérie, qui ont fait l’histoire du XXe siècle, ne peuvent être ignorées.
Tous ceux qui sont attachés au droit ont besoin de nos voix pour le règlement négocié des conflits et injustices.

Des musulmans attendent des puissants de sortir de la politique des deux poids, deux mesures. Des non-musulmans attendent de comprendre pourquoi des «musulmans» ont, aujourd’hui, des difficultés à bâtir des Etats de droit? Le monde musulman est hétérogène et s’étend sur plusieurs siècles et continents. Au vu des discours hâtifs et cyniques, qui s’inventent des ennemis, la question du vivre-ensemble est pressante. Comment réapprendre? En étant solidaires de manière non sélective des peuples et groupes qui souffrent, en déconstruisant le regard que nous avons les uns sur les autres et en oeuvrant pour que la démocratie ne soit pas un mirage qui justifie la domination. Certains affirment que le monde est menacé par le retour du religieux fermé, ou au contraire par la marginalisation des valeurs abrahamiques et morales. Alors que les deux dérives sont nuisibles. Le pillage des ressources naturelles du Sud perpétré par les sociétés opulentes du Nord, bloque toute perspective de développement digne de ce nom pour les peuples concernés et constitue le problème fondamental sur le plan économique. Dans cet esprit, la «crise de l’énergie» n’est pas le produit de la raréfaction des hydrocarbures ni les conséquences de la pollution. La crise est à la fois le résultat du monopole en matière de décision politique et d’accès aux ressources naturelles de la planète.
Les revendications des «écologistes» ne posent pas assez le problème de fond, celui de la propriété et de la circulation juste des biens. Malgré le silence des peuples et l’apparente absence de mobilisation, la résistance des nations du Sud est bien réelle. Les citoyens savent qu’il y a différentes voies pour résister.
La crise actuelle n’est pas seulement une crise économique, mais la crise du système dominant, capitaliste, athée et individualiste. Sur le plan géopolitique, la crise est celle de l’hégémonie des Etats-Unis et de l’Occident. Malgré tous ses paradoxes et ses limites, le monde musulman résiste, à tout le moins sur le plan moral.

Un nouveau monde

Nous devons dépasser les formules telles que «la paix et l’amitié». Il faut repenser la portée du mot «démocratie», pour rechercher, de manière publique et commune, le juste, le vrai et le beau. Oeuvrer au changement en vue de dépasser les discours peu engagés dans le réel et empêcher que la mauvaise direction prise, soit irréversible. L’Algérie, riche de son expérience, peut y contribuer. Sur le plan politique, la constitution d’une instance internationale de la démocratie sous l’égide de l’ONU sera salutaire pour la démocratisation des relations internationales et des pays. Sur le plan économique, l’humanité a besoin d’un ordre mondial juste, basé sur la négociation. Sur le plan culturel, traduire les politiques de l’exception culturelle, du dialogue et de la circulation des savoirs. Un ordre démocratique, en somme une commune civilisation qui allie justice et sens, passe par l’échange. Un point de départ: ne pas accepter les deux impasses: la loi du plus fort et la réaction aveugle. Nul ne peut réduire la mondialisation de la déshumanisation et de l’insécurité sans conjugaison entre politique et démocratie.

(*)Mustapha Cherif

intellectuels@yahoo.fr

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