Le retour de la bête immonde

L’EXTRÊME DROITE EUROPÉENNE
Le retour de la bête immonde

Par Mustapha Cherif

Des partis de gauche, des citoyens de confession musulmane et d’autres associations antiracistes en France, appellent à un rassemblement ce jour samedi 18 décembre, contre la haine des groupes d’extrême droite français et européens, qui se tient à Paris. Des groupes d’extrême droite appuyés par des extrémistes laïcs et dogmatiques ont décidé de se rassembler pour soi-disant «défendre la laïcité et les valeurs de la civilisation». Le nazisme, le fascisme et le colonialisme ont laissé des traces, que certains nostalgiques veulent actualiser. Profitant de la crise économique et morale qui secoue l’Europe, la bête immonde ose distiller le venin contre les musulmans. L’amplification de la peur, l’exploitation avec cynisme des dérives des fondamentalistes jettent l’opprobre sur tous les musulmans. La propagande du choc des civilisations gagne du terrain. 

Corriger nos actes et discours

 


Après les caricatures vulgaires sur le Prophète, le vote suisse sur l’interdiction de minarets, la multiplication des profanations de mosquées et cimetières musulmans, le débat sectaire sur l’identité, la montée des discours extrémistes et racistes dans toute l’Europe et les discriminations que subissent les musulmans des quartiers défavorisés, la vigilance s’impose. Ce ne sont plus des phénomènes isolés, mais une vague de fond populiste, politicienne et électoraliste qui contredit les valeurs monothéistes et celles des Lumières, et met en danger le vivre-ensemble et la paix. Dans le monde musulman, on doit se réformer, corriger nos actes et nos discours afin de ne pas apporter de l’eau aux moulins des nouveaux racistes.


En France, terre d’Asile et pays des droits de l’homme, Marine Le Pen, qui rêve de pogroms et de rafles, qui vise par la surenchère a devenir chef de l’extrême droite raciste, en termes électoralistes les plus abjects, polémique virulente, compare les musulmans français aux occupants allemands de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’idéologie nazie est une des sources d’inspiration de ce parti de la haine. C’est une véritable insulte à l’histoire de France et aux milliers de musulmans morts pour la libérer. Le sentiment antimusulman s’amplifie dans un contexte de chômage, de crise morale et de manipulations tous azimuts. Le musulman est le bouc émissaire. Des comportements marginaux de musulmans prêtent le flanc et servent de prétexte aux xénophobes. Ce n’est plus le radicalisme qui est dénoncé. Les références fondatrices, le Coran et le Prophète sont attaqués.


Cependant, le peuple français n’est pas dupe. Toute la classe politique française a condamné les propos hideux et provocateurs de Marine Le Pen, et commence à comprendre que pour le cas regrettable de la prière hebdomadaire du vendredi qui déborde sur les lieux publics, la faute incombe à ceux qui refusent de faciliter aux musulmans l’aide nécessaire pour édifier leurs lieux de culte. Il faut y apporter des réponses concrètes et dignes par la construction de mosquées. C’est le rôle d’un Etat républicain de régler ces problèmes et non de laisser se développer la stigmatisation de populations défavorisées et marginalisées. Et 24 organisations ont demandé aux autorités d’interdire le projet de rassemblement d’extrémistes. Le programme de la réunion, la liste des organisateurs et les personnages annoncés démontrent que cette initiative vise à favoriser l’expression de thèses xénophobes, racistes, islamophobes et fascisantes. La Mairie de Paris condamne cette rencontre et demande à la Préfecture de police «de bien vouloir prendre toutes les mesures nécessaires» afin que la réunion «ne puisse avoir lieu» car elle «ne peut qu’engendrer haine, xénophobie et trouble à l’ordre public».


Il est nécessaire que les humanistes et les chrétiens français et européens fassent barrage à la montée de la xénophobie. Il y a des amalgames, des crispations et des interrogations de la part de chrétiens à cause de la violence inadmissible que subissent les chrétiens au Moyen-Orient. Il est impérieux de rafraichir les mémoires et de rappeler que l’Islam n’a rien à voir avec ces dérives.
Certes, l’instrumentalisation des Ecritures saintes est un problème qui pose des questions graves aux musulmans et aux chrétiens. Quiconque pourra toujours manipuler les textes saints pour justifier l’inadmissible, mais l’extrémisme est l’antireligion.

A qui profite le crime? A ceux qui cherchent à faire diversion aux problèmes politiques du monde. Ce n’est en aucun cas une question théologique. Les versets du Coran qui appellent à la légitime défense correspondent à des circonstances bien précises qui ont peu à voir avec la situation actuelle. Tout comme était infondée l’interprétation de la Bible que des chrétiens pratiquaient durant l’Inquisition, les guerres de religion, de colonisation. C’était aussi de l’usurpation et du fondamentalisme de type blasphématoire. 

Aucune opposition entre les civilisations

 


Sur le plan historique, l’Islam et la chrétienté, par le passé, se sont parfois affrontés, mais les peuples ont surtout partagé, coexisté et fécondé une lumineuse civilisation autour de la Méditerranée. L’Islam a su mettre en pratique une convivialité réelle pendant des siècles entre juifs, chrétiens et musulmans. L’Islam a plutôt respecté et protégé les chrétiens et les juifs, alors que la violence des croisés et du système colonial a été sans borne. Les chroniqueurs occidentaux décrivent la sauvagerie des croisés et leur mépris de l’adversaire. En revanche, tous les historiens reconnaissent la noblesse de Saladin lorsqu’il chassa l’occupant en épargnant les populations chrétiennes.


Des chrétiens considèrent qu’après le VIIIe siècle l’Islam a remplacé la chrétienté en rive Sud de la Méditerranée, mais cela s’est fait plus par le dialogue et la conduite droite que par la contrainte. La colonisation, dont les effets pervers n’ont pas encore disparu, de son côté, a tout fait pour tenter de christianiser les musulmans mais a échoué. Les régimes d’apartheid sont tous des produits de mouvements politiques occidentaux et sionistes, qui contrastent avec la cohabitation interculturelle et interethnique dans le monde musulman où, juifs, musulmans et chrétiens ont bien cohabité jusqu’au début du XXe siècle. Il n’y a aucune opposition de principe entre les religions et civilisations.


Le décret conciliaire sur les religions non chrétiennes adopté en 1965 par le Vatican est clair, il contient un appel sage aux fidèles des deux religions à dépasser les controverses du passé et à s’estimer: «Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté.»
Prendre prétexte de la violence aveugle commise par d’inauthentiques musulmans, comme les récents attentats ignobles contre des chrétiens à Baghdad, pour stigmatiser l’Islam, procède d’un reflexe irrationnel, qu’il faut dénoncer.

Les musulmans sont plus menacés par les extrémistes que les chrétiens, un million d’Irakiens sont morts depuis 2003. S’il est vrai que des chrétiens, dans des pays musulmans, sont parfois soumis à des épreuves, la cause est à chercher d’une part dans l’ignorance, d’autre part dans la politique internationale actuelle inique et non pas dans une lecture littéraliste du Coran. 

Le droit à la différence

 


Reconnaître en Europe le droit à la différence, ne peut porter atteinte à l’identité ou à des principes culturels. Les citoyens européens de confession musulmane dans le respect des lois ont le droit démocratique d’exprimer pacifiquement, publiquement et en commun leur foi. L’Islam est séculier, porteur d’un sens élevé de l’humain et les musulmans européens sont une richesse humaine et respectent les lois et valeurs de leur société. Une infime minorité d’intégristes, ignorante, ne peut changer la réalité.


Pour l’Europe, terre des droits de l’homme, ce serait se renier que remettre en cause le droit à la liberté religieuse. Même si tous les Européens ne confondent pas Islam et fanatisme, on constate un emballement inquiétant. Des responsables politiques, notamment de pays qui ne sont pas quittes avec leur passé et qui devraient être prudents, opposent abruptement les valeurs des Lumières ou les valeurs chrétiennes à celles de l’Islam.
Vouloir interdire aux musulmans de vivre leur foi, librement et paisiblement, conduirait au totalitarisme. La rencontre d’autrui, lorsqu’elle est respectueuse de l’altérité, est facteur de civilisation On sort de l’humanisme et du christianisme si on laisse faire la xénophobie. Le sentiment antimusulman est une forme de continuité de l’antisémitisme. En ces temps de crise et de repli, il annonce des lendemains sombres. L’antisémitisme occidental a conduit à l’innommable. Le remplacer par l’islamophobie est plus que dangereux.


A tous les chrétiens d’Occident et de partout, attachés au Message de Jésus, il est important de rappeler le commandement: «Tu aimeras ton prochain comme toi- même», qui est aussi nôtre, et le mot d’ordre du Concile Vatican II: «Le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, Miséricordieux, futur Juge des hommes au dernier jour.» Aux humanistes, de partout, il est urgent de rappeler la Déclaration universelle des droits de l’homme. Aux musulmans d’Orient et de partout, on doit de même leur rappeler ces valeurs, le principe coranique-clé et immuable, «Nulle contrainte en religion» et le mot prophétique: «Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.»
L’heure est à la solidarité non sélective. Ensemble, confrontés aux mêmes défis, tous les hommes et femmes de bonne volonté doivent dire non au retour de la xénophobie. Le devenir est commun, ou ne sera pas.


Mustapha CHÉRIF

 

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