Il ne suffit pas de tolérer autrui

CHRÉTIENS ET MUSULMANS

Il ne suffit pas de tolérer autrui

 

Par Mustapha Cherif

Les attentats contre des chrétiens en Irak et en Egypte sont des crimes absolument inadmissibles. De la relation islamo-chrétienne dépend, en partie, l’avenir du monde. Les valeurs abrahamiques, évangéliques et celles des Lumières sont trahies en Occident par la montée de la xénophobie et la volonté d’hégémonie du monde. D’un autre côté, la culture civilisée et humaniste de l’Islam que le Prophète (Qsssl) a légué est trahie par des extrémistes et des régimes archaïques qui n’ont rien à voir avec la religion.

Une machination

La haine, vouée à l’échec, ne peut faire écran au partage, à l’amitié et à la symbiose entre les communautés et les peuples. Les attentats ignobles contre des chrétiens au Moyen-Orient sont calculés. Les commanditaires et leurs exécutants n’ont aucun respect pour la vie et la dignité humaine. Face à l’islamophobie, certains tentent de doper la christianophobie. C’est un piège.

Il est urgent de faire un front commun contre tous les délires mortifères et pour le vivre-ensemble. Nulle communauté n’est l’unique victime. Partout des flambées d’intolérance sont visibles, comme les lâches attentats contre des chrétiens irakiens et des coptes en Egypte. Cependant, comme le présument des observateurs avertis, la violence en Irak procède d’une machination politique.

Dans ces drames, ce qui est en jeu, n’est pas la race ou le culte. Il faut protéger la vie, que la personne soit chrétienne ou musulmane. Les Etats et les grandes puissances, en commençant par arrêter d’agresser, doivent protéger indistinctement les droits humains. Notre solidarité ne doit pas être sélective. Il s’agit de défendre tout être humain contre les abus et les intolérances.
Le sentiment antimusulman en Occident rappelle l’antisémitisme. La politique des deux poids, deux mesures est la preuve qu’ils sont considérés comme le «nouvel ennemi». L’hostilité envers la religion en général et autrui différent, est un phénomène lié surtout à la crise sans précédent que vit l’humanité.


Des buts occultes

La xénophobie enfle. Et le regain contre nature de violence antichrétienne, en quelques endroits en Orient, après quinze siècles de coexistence plutôt paisible, regain que toutes les opinions islamiques et toutes les instances musulmanes condamnent fermement, vise plusieurs buts occultes. Il faut se demander à qui profite le crime?
Le premier but, c’est la tactique de l’épouvantail, faire diversion à l’injustice. Deuxièmement, chercher à justifier le sentiment antimusulman en Occident. Troisièmement, cautionner la logique du choc des civilisations pour faire oublier la faillite du libéralisme sauvage.Quatrièmement annihiler toute perspective de démocratisation dans les pays arabes. Cinquièmement, imposer une situation de guerre larvée en divisant les chrétiens et les musulmans, après avoir opposé les sunnites et les chiites.
Les chrétiens d’Orient, qui sont une partie inséparable de l’identité culturelle des musulmans et réciproquement, ont le droit à la sauvegarde, à la liberté religieuse, en fidélité aux principes coraniques et aux recommandations du Prophète de l’islam (Qsssl), qui prônent une fraternité universelle excluant toute discrimination.

 

 N’oublions pas qu’il y a 150 ans, l’Emir Abdelkader, au nom de l’humanisme musulman, sauvait des milliers de chrétiens à Damas d’une mort certaine. Que des imposteurs, ignorants fanatisés et manipulés tombent dans le piège et détruisent leur demeure de leurs propres mains n’est pas surprenant. Cependant, l’immense majorité des musulmans et des chrétiens, éprise de paix et d’hospitalité, sait discerner et ne confond pas. Ces forces du discernement doivent être renforcées afin de faire barrage à la désinformation et à l’instrumentalisation.
Les citoyens doivent être conscients de leur double appartenance: nationale et planétaire.

Nous devons rester liés à l’humanité tout entière. On doit sortir de la vision sectaire et égoïste qui domine à cause de l’inculture, sortir du visage arrogant de l’homme prétentieux, qui se croit seul sujet de l’univers, voué à être le maître du monde et qui pratique la violence vis-à-vis d’autrui. On doit mettre fin aux murs de séparation de ceux qui considèrent qu’ils sont les seuls détenteurs de la vérité, qu’ils représentent l’espèce humaine civilisée et qui négligent l’unité et la diversité humaine.


Au lieu d’assumer sa mission spirituelle de témoin du monothéisme, le monde musulman donne l’impression qu’il s’oppose au pluralisme et à la liberté de conscience. Au lieu d’assumer raisonnablement sa fonction d’avant-garde du monde, une contradiction traverse l’Occident: sa prétention à détenir le seul modèle émancipateur et sa volonté d’accaparer les richesses, marquée de surcroît par la montée, en temps de crise, de courants xénophobes qui refusent l’altérité, le droit à la différence.
Le multiculturalisme bénéfique et l’hétérogénéité naturelle de l’humanité sont confrontés à la volonté d’uniformisation et d’hégémonie du système dominant. Le monde entier semble en dérive.


La mondialisation injuste suscite des tensions. L’autre, notre semblable, différent par la religion et le parcours, est au sein de chaque société. Races, religions, cultures se côtoient au niveau de toutes les échelles, locales et internationales, mais le nivellement imposé par le marché monde et la vision unilatérale produisent partout des impasses et des tentatives de repli.
En Orient, faute de bonne gouvernance et de réactivation de la culture du pluralisme et de l’ouverture, les contradictions et paradoxes sont aggravés par la misère et les manipulations de ceux qui instrumentalisent la religion.


Tout cela nourrit la propagande du choc des civilisations et renforce l’illusion de détenir la seule vérité face à la barbarie. Alors que, malgré des différences, rien n’est vraiment antinomique entre l’Islam et l’Occident, dans l’imaginaire occidental, avec ses fantasmes et ses affabulations, le musulman personnifie la menace contre les «Lumières». Dans le fantasme de certains musulmans, l’Autre est un agresseur. Des concepts alibis sont mis en avant comme celui de «communautarisme», reflétant à la fois l’impuissance à comprendre l’être commun et le penchant à vouloir enfermer l’autre dans des ghettos s’il n’imite pas le dominant.

 La puissance d’influence des médias et des industries culturelles dominantes impose la banalisation de la haine de l’autre diabolisé, avec des explications infondées, simplistes et culturalistes, notamment au sujet des résistances, légitimes ou aveugles, générées par les injustices des politiques aventuristes.


En Europe, la «laïcité» est instrumentalisée pour agiter le spectre xénophobe et islamophobe. Nous ne sommes pas dupes de la manœuvre politique qui se cache derrière l’invention d’un nouvel ennemi. Toute atteinte à la dignité humaine doit être condamnée fermement. Considérer que le musulman est inapte à la démocratie est une hérésie, une posture qui constitue une véritable insulte aux Européens de confession musulmane, qui militent démocratiquement, mais aussi à tous les citoyens attachés à la civilisation et à la modernité.


C’est ce type de faux débat qui alimente la peur, créé à partir d’une réalité déformée. Ce qui est inadmissible réside dans le fait que des citoyens de confession musulmane sont pris comme boucs émissaires, ne disposent pas de lieux de culte en nombre suffisant et sont discriminés en matière d’emploi, de logement et de promotion sociale. Tout comme des chrétiens sont soumis parfois à rude épreuve dans des sociétés à tradition musulmane. On doit sortir de nos points d’aveuglement respectifs. 

Le vivre-ensemble


Le recul du droit, l’immoralité du système dominant et les intégrismes, dans un contexte de désignification du monde, mènent l’humanité vers l’abîme. Les défis sont les mêmes pour tous. Les êtres épris de paix et de justice doivent unir leurs efforts pour faire reculer les iniquités et les manifestations de haine. Le mutisme face à l’injustice et à l’arrogance nourrit partout la bête immonde.


Chrétiens, musulmans, humanistes, chacun est face à ses responsabilités pour alerter afin que nul amalgame ne soit fait. Il ne suffit pas de tolérer autrui, avec condescendance, mais défendre en Orient et en Occident le respect du droit à la différence et du pluralisme, tout en respectant l’ordre public. Ce n’est point un vœu pieux, car il n’y a pas d’alternative au vivre-ensemble, pour retrouver de la civilisation qui fait défaut.


Mustapha CHÉRIF

 

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