L’islamophobie : un piege !

L’islamophobie : un piege !

Un leurre, un contre-feu, une diversion

Par Mustapha Cherif

 

Un leurre, un contre-feu, une diversion, en l’occurrence l’invention d’un « nouvel ennemi » est en train de prendre une  dimension démesurée. Le sondage  IFOP-le journal le Monde, qui révèle que 40 % des français et allemands considèrent l’islam comme une menace et plus de 68% jugent que les musulmans n’arrivent pas à s’intégrer, est loin d’être une surprise.

Depuis des années nous tentons de sonner l’alerte, d’éveiller les consciences, d’attirer l’attention de tous pour éviter le contre-sens. Mais des médias et des forces politiques préfèrent les pyromanes. La thématique anti-islam et la banalisation du discours sur les prétendus dangers de l’islamisation font politiquement recette. C’est un piège qui occulte les stratégies en cours et les enjeux de demain.

La présence de l’islam dans les pays européens suscite  une crispation des opinions publiques. Des représentants du culte musulman tétanisés demandent aux pratiquants de tenir compte du contexte. Pourquoi des Occidentaux ont peur des musulmans? Il n’y a pas de hasard au sentiment. Ces délires infondés ou inquiétudes légitimes ont une pluralité de causes. La responsabilité est partagée.

La responsabilité des musulmans

La première cause réside dans le fait qu’une minorité parmi les citoyens européens de confession musulmane et d’autres à travers le monde trahissent l’islam et alimente la diversion. Comme hier pour les chrétiens, quand les guerres de religions et l’inquisition ont suscité un sentiment anticlérical et antireligieux, le terrorisme des faibles, l’apparition de courants fondamentalistes et la remise en cause de la liberté de conscience par des extrémistes nourrissent le sentiment antimusulman.

Le monde musulman, par-delà son hétérogénéité, empêtré dans le repli, les luttes intestines et la décadence, a des difficultés à se réformer, à réaliser la ligne médiane qui lie authenticité et progrès. Il cherche rarement à remédier intelligemment à ses contradictions et à mettre fin aux discriminations que subissent chez lui ses propres minorités. Dans ce contexte, sous prétexte que la question est politique ou mafieuse et non religieuse, il sous-estime les effets sur la mémoire collective occidentale de la peur du terrorisme des faibles, le poids des attentats du 11 septembre et d’autres comme ceux de Madrid et Londres.

Le monde musulman est faible, en déclin depuis au moins cinq siècle. Il présente une image négative au monde. Le déclin a commencé après la destruction de Bagdad par les Mongols en 1258. La date symbole de la fin de l’ère musulmane triomphante est 1492 correspondant à la chute du dernier émirat de Grenade en Andalousie. L’influence de l’esprit islamique éclairé va se réduire, même si la chute de Constantinople, qui va devenir Istambul, a lieu en 1453 et marque la fin de l’empire byzantin, ainsi qu’une nouvelle ère pour l’Empire ottoman.

L’Europe qui s’opposait prépara son éveil, qui va connaître l’apogée au XIXe siècle. Les résistances, comme celle héroïque de l’Émir Abdelkader, et les tentatives de renaissance ne purent freiner le déséquilibre. Le repli sur le formalisme et le fidéisme, ruinent l’image des musulmans. Des musulmans ont perdu de vue la signification véritable du Message révélé et la voie du Prophète. Ils s’attachent à la gestuelle et s’enferment dans le superficiel et la fermeture.  Ces musulmans oublient que l’exigence de liberté de conscience est coranique. Leur posture n’a rien à voir avec la lumière du Coran qui précise « nulle contrainte en religion », appelle à la réflexion et informe que le respect du droit à la différence, le savoir lié aux finalités et la liberté responsable sont la base de la cité civilisée.

Au cours du XX eme, jusqu’à nos jours, l’instrumentalisation de la religion sous forme d’idéologies sectaires, comme armes et l’utilisation de la violence aveugle, dans le cadre de la lutte pour le pouvoir, par tous les courants qui s’y rattachent, des « frères musulmans » aux « salafistes » et leurs émules les « talibans » et autres « chiites » radicaux exportateurs d’une pseudo-révolution,  trace le tableau d’une tragédie sans nom. 14 siècles d’une civilisation lumineuse, hospitalière et savante sont déformés depuis une trentaine d’année par les usurpateurs du nom, qui instrumentalisent l’Islam. Ils sont les premiers qui apportent de l’eau au moulin des xénophobes.

Le problème est d’abord interne au monde musulman, et les violences en Irak, au Pakistan et ailleurs en sont la dramatique démonstration. Aujourd’hui, environ 80% des musulmans du monde vivent sous des despotismes, dans la paupérisation et la fragilité et 40% sont illettrés. Ce monde est hétéroclite, faible et ne peut représenter une réelle menace. En décadence, sous-développé et dépendant, il est utilisé comme épouvantail. Il doit faire son autocritique. Rien ne peut justifier la haine contre l’Islam, qui n’a rien à voir avec la folie des hommes ignorants, assoiffés de pouvoir, aveuglés par le sentiment de vengeance et surtout manipulés. Accepter les critiques, sans conditions, se réformer, et ne pas tomber dans le piège est vital.

La responsabilité occidentale

La deuxième cause a trait à la stratégie du système dominant occidental qui a besoin d’un épouvantail pour faire diversion, en vue de tenter de réaliser la totalité de son hégémonie pour le siècle à venir. Après la chute du Mur de Berlin en 1989, la politique belliciste et le terrorisme des puissants qui manipulent, se sont réinventés un ennemi, pour faire écran aux visées et injustices. Cela terni l’image des musulmans et trompe les opinions. L’amalgame entre Islam et extrémisme, pierre angulaire de la propagande antimusulman, fonctionne sur le matraquage de médias et d’industries culturelles liées à des cartels d’intérêts qui diabolisent les musulmans.

Ce n’est pas une ruse difficile à mettre en pratique, car l’islamophobie et l’ethnocentrisme occidental sont anciens. Depuis 14 siècles l’Islam est déformé par des non-musulmans. Les xénophobes puisent dans l’imaginaire qui occulte le fait qu’entre l’Occident et l’Islam l’échange était plus décisif que les divergences.
L’amnésie et l’invention d’un adversaire ruinent les relations entre les communautés. Il ne saurait y avoir d’entente avec celui que l’on traite d’entrée de jeu comme un ennemi potentiel, dont on regarde avec suspicion les signes d’appartenance, en commençant par se demander si on peut ou non l’accepter.

Les xénophobes prétendent que l’Europe va s’islamiser et stigmatisent les musulmans pour faire peur et imposer le spectre d’un changement de population et de culture en Europe. Avec indécence la propagande haineuse surfe sur l‘ignorance, la crise morale et économique. Goebbels le nazi, pratiquait le même type de propagande et d’amalgame. Il ciblait les juifs, propageait des fausses informations à leur sujet, et flattait les pires instincts de tous les courants prêts à se conduire en loups. Les musulmans aujourd’hui courent le même risque que le juif hier, alors que le vécu paisible et bien intégré de l’immense majorité est ignoré.

La stratégie islamophobe, mise en place il y a plus de vingt ans par les néoconservateurs, est dopée par les odieux attentats qui donnent du crédit à la propagande du «choc des civilisations». Ce n’est plus le radicalisme qui est dénoncé, ce sont les références fondatrices, le Coran et le Prophète, qui sont accusées. L’extrême droite prolifère et les tenants du laïcisme sectaire et dogmatique considèrent que la religion est une idéologie d’asservissement. Des chefs d’états et de gouvernements occidentaux, des personnalités, avec virulence et cynisme, stigmatisent les musulmans. Dans le cinéma américain les scénaristes ont fait du musulman le «méchant».

 Des journaux publient des opinions dignes des temps des croisades, de la colonisation et des années trente: «Je hais l’Islam», «la talibanisation des sociétés musulmanes se généralise», «la logique de violence de l’Islam» et «le choc des civilisations est en train de triompher…à cause des musulmans». Des intellectuels, notamment sionistes, tiennent des propos sur la manipulation politique des peurs, jadis propagande de fascistes. Des intellectuels d’origine musulmane, dénigrent de manière schizophrénique leurs racines.

Le musulman, comme le juif hier, est présenté comme une menace pour les sociétés occidentales.Tout cela signe la victoire de l’ignorance, de la désinformation et de la provocation. Des intellectuels conscients reconnaissent que c’est le surgissement d’une islamophobie qui formate inexorablement la société européenne. Des penseurs occidentaux, montrent que l’islamophobie est le prolongement de l’antisémitisme. Cependant la propagande de ceux qui pratiquent l’amalgame l’emporte.

L’islamophobie est liée au fait que l’Occident, malgré sa puissance et des acquis prodigieux, est confronté aux impasses de la déshumanisation, de la désignification et de la marchandisation de l’existence et vise pourtant à se mondialiser. Les musulmans sont pris comme contre-feux et boucs émissaires. D’autant que l’Islam reste le témoin de la spiritualité, l’autre version de l’humain perçue comme concurrente, qui résiste à la déshumanisation et à la volonté d’hégémonie totale. L’Occident vise l’occidentalisation du monde, qui est un pari impossible, car cela demande d’abandonner des valeurs qui ont fait leur preuve, pour une appartenance problématique.

Poser la question en ces termes ne signifie pas qu’il faille amplifier la théorie du complot, mais il est clair que la situation se complique lorsque les nostalgiques de la nuit coloniale, les religiophobes qui nient les valeurs abrahamiques et les sionistes œuvrent pour empêcher tout rapprochement entre les deux mondes. Insidieusement depuis  l’occupation par la force de la Palestine en 1967,  puis ouvertement après la chute du mur de Berlin en 1989, et brutalement depuis 11.09.2001, des puissances occidentales, inspirées par le sionisme, au prix de manipulations sophistiquées, déplacent les problèmes du monde, masquent leurs échecs et impasses par l’idée d’un « nouvel ennemi ». La culture de la peur est fabriquée et amplifiée.

 

Surfant sur l’exaspération face aux comportements fondamentalistes mis sur le devant de la scène, ils gomment la frontière entre islam et extrémisme et sponsorisent ceux qui renient leur « origine », sous prétexte de « moderniser » l’islam. Le délire se répand partout, avec la prolifération de partis extrémistes qui font de la croisade contre les musulmans leur mot d’ordre. L’occupation de l’Irak, de la Palestine et les politiques qui manipulent, produisent des extrémistes et puis considèrent les musulmans comme les nouveaux ennemis.

Il reste un avenir

Les musulmans n’exigent pas seulement que leur différence soit tolérée. Ils demandent davantage qu’un simple «droit de survivre», mais le droit de vivre avec. Il faut penser à un ensemble commun et non à des substituts et projet de demi-mesures. L’ordre de la tolérance est insuffisant, seul l’ordre de la reconnaissance ouvre la possibilité d’une vie commune juste et non biaisée. D’autant que la complémentarité saute aux yeux.

Est une grande hypocrisie que l’empressement avec lequel des responsables occidentaux condamnent des actes islamophobes et antisémites, alors qu’ils procèdent d’un climat de défiance auquel ils ont contribué. Des régimes islamiques et des fondamentalistes crient à l’offense alors que, de leur côté, ils ont peu fait pour présenter le vrai visage de l’Islam, ni défendu la dignité des musulmans. Au contraire, par leurs réactions irrationnelles, ils ont déformé son image.

 

Malgré des comportements inadmissibles, crispés et provocateurs chez une minorité de musulmans, la réalité sociologique des citoyens musulmans en Europe montre leur aptitude à vivre le progrès et la sécularité. Cela gêne les extrémistes de la laïcité, du libéralisme sauvage et du sionisme. Ces trois courants dogmatiques et populistes incitent à la chasse aux musulmans. Les xénophobes et autres racistes, qui contredisent les valeurs des Lumières, sont aujourd’hui choyés au lieu d’êtres rappelés à l’ordre par les lois de la République.

 

Des chantres de la provocation basent leur carrière intellectuelle  sur la haine des musulmans. Ils monopolisent les médias parce qu’ils vivent dans un monde cynique où c’est devenu banal de haïr l’autre pour ce qu’il est. Il serait temps que les Européens, les Français, se souviennent des principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et ceux du monothéisme et prennent conscience que l’islamophobie est une diversion. Ce n’est pas seulement les musulmans qui sont ciblés, mais le sens de l’humain qui sous-tend toute vraie civilisation.

 

Si la tendance à l’hostilité vis-à-vis de l’Autre différent se renforce cela signifiera que l’humanité éprouve les limites extrêmes de sa tendance au vivre-ensemble, que la banalisation de la haine se généralise et que la diabolisation d’autrui ont atteint des cimes, que la pulsion de vie et le besoin de partage qui poussent les hommes à s’unir, se sont épuisés, abdiquant. On sort de l’humanisme et du christianisme si on laisse faire la xénophobie en Occident. On sort de l’islam, si on laisse faire le fanatisme et la réaction aveugle. Cela devrait aller de soi que nul ne peut se prévaloir des religions pour légitimer des violences. Raison de plus pour dialoguer et ne pas s’abandonner à la lassitude.

 

L’arrogance que l’Occident a à s’approprier, de manière injustifiable, des valeurs comme la démocratie, la sécularité et la raison, et sa politique des deux poids et deux mesures et de la loi du plus fort aggravent la situation.  Il fabrique de la terreur, manipule, amplifie les faiblesses des musulmans et les errements d’extrémistes pour faire effet d’épouvantail. En riposte, dialoguer, communiquer et instruire pour bien montrer que les musulmans, contrairement aux apparences  fabriquées, ne sont pas une menace est incontournable, en vue d’éclairer l’opinion publique internationale.

L’image dépréciative des musulmans, des Arabes et des Turcs est ancienne, mais elle a pris des proportions alarmantes à cause de calculs étroits. Des Occidentaux sont piégés par les discours de la désinformation, qui profitent des errements de régimes archaïques et d’extrémistes. L’Occident se forge une identité contre l’autre. Le leurre, le contre-feu, la diversion de la peur et du « choc des civilisations » fonctionnent. Pendant ce temps, la vraie bataille fait rage sourdement sur des fronts décisifs : la technoscience, la finance et l’économie. Les enjeux pour les rapports de force demain. La Chine sait de quoi il en retourne.

Sur le plan moral, l’islam ce méconnu, dont certains de ses adeptes ignorants et sous-développés lui nuisent, en même temps il avance et de nouveaux musulmans éclairés rejoignent ses rangs lorsqu’ils le découvrent. Si 40% des européens le considèrent comme une menace, cela signifie que la majorité des européens ne confond pas islam et fanatisme. C’est-à-dire que 60 %  ne le perçoivent pas négativement, malgré les manipulations, le matraquage et les mauvais exemples.

 

Le mauvais comportement d’une partie de ses adeptes, l’archaïsme des régimes islamiques et l’état de décadence dans lequel se trouve nombre de sociétés musulmanes, ne peuvent changer la réalité: le Message coranique est au-dessus des stratégies de domination et des affres de notre temps, il libère l’humain universel. Nul ne peut nier que la démocratie et l’Etat de droit sont faibles en rive Sud, mais c’est un problème politique et non point spirituel.

 

Aujourd’hui de plus en plus d’Occidentaux discernent, s’intéressent à l’islam et se convertissent même, touchés par sa logique et déçus par l’immoralité, la sauvagerie du système consumériste et par les contradictions des autres religions. En ce XXI siècle, nul ne pourra tout seul retrouver une nouvelle civilisation universelle. Les pays musulmans et  occidentaux sont face à leur responsabilité.  Il ne faut pas se tromper d’adversaire. Si on sait éviter les pièges, les combats d’arrière garde et les faux débats, il reste un avenir.

 

MC

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