Archives pour la catégorie Non classé

Inventer la civilisation mondiale


Inventer la civilisation mondiale

Par Mustapha Cherif
15 Octobre 2009 -

70 ans après la Seconde Guerre mondiale, 50 ans après le temps de la décolonisation et 20 ans après la chute du mur de Berlin, l’humanité se débat dans des problèmes complexes. La sauvagerie, la loi du plus fort et l’unilatéralisme dominent. On nous dit que des nouvelles puissances émergent, sur la base d’une forte croissance économique. Mais sont-elles des modèles d’indépendance et différentes du système dominant? Actuellement, il n’y a pas d’ordre mondial juste, ni de civilisation. Il y a de l’injustice, de l’inégalité, de la violence. Les impasses, malgré les progrès scientifiques, dominent. Les musulmans sont au centre de polémiques et prennent la figure du dissident, méconnu, déformé et incompris. Tous les problèmes se posent en même temps. Le plus grave c’est l’opposition entre l’Orient et l’Occident qui n’a pas lieu d’être. Seul un monde multipolaire permet aux différences de s’exprimer et de vivre dans la complémentarité et le respect mutuel.
Quel rapport entre la souveraineté des peuples et la mondialisation? Entre la puissance économique et les rapports de force? L’alliance et plus encore la symbiose entre les civilisations sont-elles encore possibles? Comment résister, rester libre et s’ouvrir au monde? Comment sortir du sous-développement, de l’ignorance, des despotismes, des totalitarismes, des fanatismes et des compréhensions fermées du monde? Comment faire face à l’hégémonie, répondre à la crise de la modernité, au «désenchantement», à la «désignification» du monde, et au libéralisme sauvage? Comment faire face à la loi du plus fort, au risque de recolonisation sous d’autres formes, à la déshumanisation, autrement que par la dénonciation?

Responsabilités

Comment saisir la «fin» du cycle des civilisations et qu’il y a encore du sens à venir, à découvrir dans le partage? Comment comprendre que ce n’est plus sous l’expression de ce que nous avons connu comme «sens» et comme «indépendance»? Il faut se demander qu’est-ce qu’une société libre, indépendante, et qui tire profit des avancées internationales? D’autant que les traditions ne peuvent être des systèmes alternatifs qui auraient à prévoir une réplique à toutes les interrogations. On doit assumer nos responsabilités, car la joie de vivre, l’indépendance et le droit à la différence sont remis en cause. Les gens de partout ont besoin de bonheur.

Le premier élément de réponse réside dans le fait qu’il faut changer le mode de vie stressant et angoissant fondé sur la fuite en avant. Retrouver l’art de vivre qui arrive à maitriser les besoins, dépassant la posture de la course pour les richesses matérielles. Inventif, affirmatif, constructif, il faut oser penser la politique liée à la morale. On veut nous faire croire que le monde unipolaire, unilatéral et marchand est en train de faiblir, alors que la mondialisation est occidentalisation, avec ses inconvénients et ses avantages. Nous refusons que ce modèle dominant soit imposé, sans que nous ayons le droit à notre souci de tri. Nos intérêts et valeurs doivent êtres pris en compte. C’est à l’échange, à la synthèse, au droit à la différence, que nous appelons. Pour tenter de créer une nouvelle civilisation, le monde doit débattre et s’organiser sur les plans politique, économique et culturel. Faire l’impasse sur une de ces dimensions c’est déséquilibrer les sociétés.
La culture dominante coupée du sens de la justice et de l’éthique montre ses limites.

C’est le moment de refonder des liens avec tous ceux qui restent attachés au droit comme fondement des relations entre les peuples. Les pratiques des cultures religieuses comme idéologie, qui s’inscrivent dans les crispations et l’obscur, en contradiction avec les textes, ne permettent pas de faire face à l’exigence de justice et de vivre ensemble. L’altermondialisation s’essouffle, faute de doctrine politique claire et transculturelle. Le mutisme est contre-productif, même si le retrait, la distance, le recul sont une méthode légitime, comme figure de sens. Faire face aux défis du devenir est urgent, premièrement par une mémoire vivante: la redécouverte et la compréhension des expériences historiques majeures, comme celle de l’épopée de Novembre, des textes et des réalités politiques évolutives. Le monde a changé. Il est possible de sortir de l’attentisme si l’intelligence prévaut et prend acte.

Deuxième élément de réponse: sans relativisme, favoriser le dépassement de différences comme celles entre le Nord et le Sud, car le Nord est partout et l’Orient et l’Occident sont imbriqués. La ligne médiane, la symbiose des cultures autour de réponses face aux menaces sont une voie. Le monde entier constate à quelles catastrophes conduisent, à la fois, les dérives fanatiques d’adeptes d’idéologies meurtrières comme le sionisme qui agit dans l’impunité et le libéralisme sauvage, d’un côté, et celles d’extrémistes religieux, d’un autre côté. Il s’agit de monstruosités, qui utilisent les manipulations et la propagande à grande échelle. Un mouvement de refus de ces courants doit voir le jour: le premier dominant (la cause des problèmes) et le deuxième réactif (les effets).
Dans ce contexte, pour faire diversion aux problèmes d’injustices, des discours pratiquent l’amalgame, ne discernent pas entre religion et déviations, entre résistance légitime et violence aveugle et brandissent les mots d’ordre de libéralisme. L’autre différent est défiguré, diabolisé. Les peuples ne sont pas dupes, ils refusent, à la fois, l’hégémonie arrogante et la réaction aveugle au désordre du monde. On ne peut plus se contenter de dénoncer les dérives, puis de garder le mutisme. Les dégâts sont trop importants pour ne pas s’interroger. La responsabilité est collective.

De la démocratie

Les relations internationales ne sont pas démocratiques. Les questions de justice sont pressantes et nombreuses. Nul esprit, soucieux de contribuer au vivre-ensemble, ne peut se dérober au devoir de témoigner. Les discours de propagande sur le prétendu «choc des civilisations», le retour de la haine, raciale et religieuse, de la xénophobie, les fanatismes, l’imaginaire de la peur et du dénigrement, les amalgames et l’hégémonie par le «Marché sauvage» troublent l’époque. Face à la complexité de la situation, aux désordres, à la crise que traverse l’humanité, les citoyens du monde, ont pour devoir de débattre, de s’opposer aux mouvements de la fermeture et des divisions, de dépasser les divergences et répondre aux défis.

Le système dominant mondial divise pour régner, s’oppose à tout changement et pratique le double standard. La voie de la synthèse universelle, adaptée aux incertitudes, peut se régénérer, en dépassant des clivages anciens. Il s’agit de mettre fin à l’uniformisation et à l’unilatéralisme, aux extrêmes et d’enclencher une nouvelle dynamique des relations internationales, notamment celles entre l’Orient et l’Occident.
L’Algérie, à la riche histoire à ce sujet, peut être un trait d’union. L’adoption de règles du droit international sur la base du multilatéralisme est la voie. L’actuel président des USA qui a créé un nouveau climat dans la politique internationale et tous ceux qui sont attachés à un ordre fondé sur le droit, prendront acte de la démarche qui favorisera le règlement négocié des injustices, le dépassement de l’alignement et le renouveau de mouvements transfrontaliers constructifs.

Des musulmans attendent des puissants de sortir de la politique des deux poids, deux mesures. Des non-musulmans attendent de comprendre pourquoi des «musulmans» ont des difficultés à respecter l’exercice du libéralisme et à réagir de manière subjective? Nous avons pour devoir de répondre à ce type d’interrogations. En précisant que le monde musulman est hétérogène, s’étend sur plusieurs siècles et continents. Au vu de tant de discours hâtifs et cyniques, qui s’inventent des ennemis, discriminent, les questions de la justice du vivre-ensemble sont prioritaires.

Quel regard portons-nous sur nous-mêmes, la crise mondiale et le recul du droit? Comment réapprendre à vivre ensemble? En déconstruisant le regard que nous avons les uns sur les autres. Certains, affirment que la société moderne est menacée seulement par le risque du retour du religieux fermé, ou au contraire par seulement la marginalisation des valeurs abrahamiques et morales. Alors que les deux tendances sont nuisibles.
Nous devons mettre fin aux oppositions stériles et aux amalgames; en dépassant les formules telles que «rechercher la paix et instaurer l’amitié». Il s’agit de résister, de pallier la méconnaissance, à la marginalisation des valeurs morales, aux injustices et à la désignification du monde et sa marchandisation. Les mots «paix et amitié» sont stéréotypés; il faut voir au-delà: repenser la portée des mots «civilisation», «justice», et «droit».

Les citoyens veulent de la justice et non de la compassion et des consolations. Sur le plan politique, la constitution d’une «instance internationale de la démocratie» sous l’égide de l’ONU, sera salutaire pour faire avancer le caractère démocratique des relations internationales et des pays. Sur le plan économique, l’humanité a besoin d’un ordre économique juste, basé sur la négociation, les aspects énergétiques et écologiques étant prioritaires. Sur le plan culturel, soutenir la création. Traduire en pratiques les politiques de l’exception culturelle, du dialogue des cultures, de la valorisation des métiers artistiques et culturels et de la circulation des savoirs.

Pour dépasser les discours si peu engagés dans le réel, il y a lieu de rechercher un nouvel ordre juste et une nouvelle civilisation mondiale qui allient justice et sens. Cela passe par l’échange pour aboutir à des symbioses. L’autocritique et le droit à la critique constructive sont incontournables, dans le respect mutuel. Reste à ne pas accepter les deux folies: la loi du plus fort et la réaction aveugle. La voie de la rectitude, médiane, du juste milieu, signifie réfuter ceux qui mènent l’humanité dans la mauvaise direction. Le but est réinventer un nouveau monde civilisé, avant qu’il ne soit trop tard.

Mustapha CHERIF

Derniers jours pour s’inscrire…au Master !

Universitat Oberta de Catalunya

l’université à domicile, la premiere d’Europe par Internet

Pour la première fois dans le monde un Master International en Etudes Arabes et Islamiques par Internet, Master de l’Université Ouverte de Catalogne, établissement d’Etat qui délivre des diplômes officiels, est ouvert fin Octobre 2009. Master interdisciplinaires et en plusieurs langues. Pour la première année en langue française, puis en 2010, au choix, en Espagnol, Catalan, et en 2011 en Anglais et Arabe. Formation à la fois fondamentale et appronfondie en islamologie, ouverte aux préoccupations de notre temps: faire reculer l’ignorance, les incompréhensions et l’islamophobie, réapprendre à vivre ensemble et relever les défis communs. De surcroît avec les meilleurs spécialistes et chercheurs autour de la Méditerranée. Ce Master permet une offre variée qui vise l’excellence. En Europe en particulier on constate un recul de l’enseignement en islamologie et en civilisation. Dans le monde musulman l’enseignement est souvent soumis à des approches traditionnelles. La voix d’un islam digne de ses plus hautes traditions, d’un islam non pas « modéré » – qualificatif faible- mais celle d’un islam universel, celui de l’interprétation, du savoir, de la hauteur de pensée : est peu entendue. L’avenir des relations entre l’Islam et les pays occidentaux, l’intensité des rapports entre les deux rives de la Méditerranée , l’obligation de faire progresser la connaissance pour faciliter la compréhension et le dialogue des civilisations, tout cela exige de donner la priorité à un enseignement scientifique et objectif de la religion et de la civilisation de l’Islam. L’étudiant intéressé peut choisir sa spécialisation et suivre aussi les autres cours pour obtenir une postgraduation ou le master complet. Quiconque peut suivre sans conditions la formation du Master, cependant pour obtenir le diplôme, conformément aux normes européennes, il faut disposer d’un niveau de bac + 3, ou équivalent. Ecrire à :

Le Coran

5 ECTS

Octobre

Le Prophète

5 ECTS

Mars

Le droit islamique

Méthodologie

5 ECTS

Octobre

La pensée classique

Raison et donné révélé

5 ECTS

Mars

Histoire des sciences dans le monde musulman

5 ECTS

Octobre

Soufisme et

spiritualité

5 ECTS

Mars

Ethique économique et finance islamiques

4 ECTS

Histoire de la civilisation islamique

4 ECTS

Littérature classique

et humanisme

4 ECTS

Les Arts islamiques

2 ECTS

Le Réformisme

Tradition et progrès

4 ECTS

La pensée moderne

Islam et modernité

4 ECTS

Islam et droits humains

2 ECTS

Information,

Communication et dialogue

4 ECTS

La démographie du monde musulman Mythes et réalités

4 ECTS

Sociologie des musulmans en Europe

4 ECTS

Géopolitique des Relations Euro-Arabe

4 ECTS

Les opinions dans le monde arabe contemporain

2 ECTS

Langue Arabe 4 ECTS

4 ECTS

Mémoire

6 ECTS

Master International Etudes Islamiques et Arabes. Derniers jours pour s’inscrire…Consultez site www.uoc.edu , et écrivez au mail:

Ramadhan Mabrouk

??? ???? ?????? ??????

????? ??? ?????? ?????? ??? ???? ??? ????? ???????. ???? ???? ??  ?????? ????  ??? ????? ????? ?????? ???? ???????? ?????  ??????  ???????  ????????

??? ????? ?? ?????? ??? ????? ?????? ??????? ????????? ??? ?????? ???????? ??????? ????? ???????? ?? ?????? ?? ??? ????? ??????.

??? ??? ????? ????

Que veut le peuple?

L’AVENIR DE LA JEUNESSE
Que veut le peuple?

Par Mustapha Cherif
11 Juin 2009 -

Le peuple algérien veut sortir de la malédiction, de la sinistrose, du pessimisme

Il veut vivre paisiblement, s’engager pour le pays, en sortant enfin de la fuite en avant et des égoïsmes.

Les événements se suivent et ne se ressemblent pas. L’imprévu, l’incertain, guettent toujours, si on ne prête pas attention à ce que veut le peuple. Sur le plan national, un événement heureux a été enregistré ce dimanche 7 juin 2009. Le match Algérie-Egypte, qui a pris des allures de phase finale de Coupe du monde, mérite un commentaire. Le regard de sociologue et philosophe nous oblige à tenter de discerner et lire un événement de masse.
Tout le monde s’accorde à reconnaître que la patrie de Jugurtha, de Massinissa, de l’Emir Abdelkader, de Lalla Fatma Nsoumer, de Novembre, et tant d’autres jeunes Algériens qui ont fait l’histoire, recèle encore des potentialités sur tous les plans, notamment humains.
Même si les épreuves que connaît l’Algérie, depuis au moins deux siècles, sont traumatisantes et handicapantes. Ainsi, ce match de football n’est pas seulement question de sport et de l’heure du renouveau qui a sonné pour les Verts. Le stress, les violences, les problèmes que subissent les Algériens depuis des décennies, ont en fait un peuple à fleur de peau, à la limite de névroses et maux inquiétants. Nous devons réapprendre à être à son écoute, il veut vivre paisiblement, s’engager pour le pays, en sortant enfin de la fuite en avant et des égoïsmes. Il s’agit de l’avenir de la jeunesse.

Les jeunes ne veulent pas sombrer
Le stade de Blida, et toutes les rues d’Algérie, ce jour du 7 juin, traduisait des symptômes qui ne mentent pas: le peuple algérien veut sortir de la malédiction, de la sinistrose, du pessimisme. «One, two, three, viva l’Algérie!!», les courses de voitures des supporters, les drapeaux qui flottent presque partout, la manière ensuite presque délirante dont la joie éclata, montrent que le citoyen algérien recèle encore des richesses insoupçonnées, mais en même temps, il semble au bord du désespoir. Il ne veut pas sombrer, il croit encore en son pays, il cherche la lumière. La névrose qui traverse nombre de nos concitoyens, qui ont besoin de protection, de repères et d’espérance montre que nous sommes face à un problème de société. La compréhension étroite et stérile de la religion et les dérives ont aggravé la situation de recul et de déculturation.
Comme en réaction à la mal-vie, les jeunes de l’Equipe nationale portés par tout un peuple, ont été traversés par la magie de l’instinct de conservation, par le miracle algérien. La deuxième mi-temps verra des Algériens hypermotivés, décidés à renverser le sort, avec la ferme intention de redresser la situation. Il ne s’agit plus de tactique, ou de plus malins, mais d’une onde surhumaine et juvénile qui dépasse le football. Des journalistes sportifs l’ont compris, ils décrivent avec justesse la réalité psychologique sur le terrain: «Plus de mordant, plus d’envie, plus d’engagement et surtout beaucoup plus de rage. Une rage bien à l’algérienne cette fois. Celle qui nous fait faire des miracles par moments, comme celui de marquer des buts aux meilleures équipes du monde.» Le beau jeu que les Verts développeront alors ne nous réhabilite pas seulement avec celui des années fastes, mais surtout fait renouer le peuple algérien avec le refus de la malédiction. Le peuple veut un peu de joie et de bonheur d’être algérien. La classe politique, aux yeux des jeunes, se trouvant en même temps disqualifiée, dépassée, usée. Le peuple sait que malgré des acquis, la société est profondément malade, et semble fataliste, mais ce match, malgré son côté éphémère, montre qu’il reste un avenir. Les Algériens, pourvu qu’on leur fasse confiance, peuvent surmonter toutes les épreuves. Ce qu’ils n’admettent pas c’est le refus du dialogue et la marginalisation. Mais, de par leur comportement pessimiste, ils se marginalisent encore eux-mêmes. Pourtant, un peu de joie et de progrès, c’est possible.

Tournés vers leur patrie
Qui l’eut cru? Les joueurs de Saâdane dominèrent et montrèrent qu’ils étaient capables de faire autant ou mieux que leurs aînés au point de tenter l’impossible. Des pulsions de vie que personne ne pouvait contenir tant la clameur du stade les stimulait: les jeunes étaient, un moment, en train de faire mentir la dénomination de harraga. Ils ont allumé le feu de la passion de mouiller le maillot pour la patrie, dans le coeur des joueurs, un seul désir: gagner, au sens de survivre, vivre! Qui le veut, le peut. C’est cette maxime que l’on doit réapprendre à la jeunesse. On doit aussi prendre acte que le football est un catalyseur, un des facteurs de mobilisation de la jeunesse. Quand saura t-on enfin donner tous les moyens à la Fédération nationale de football, et mettre en oeuvre ce que tant d’entraîneurs souhaitent depuis des décennies: des écoles de football et un grand centre de regroupement digne de ce nom?

Eduquer, responsabiliser
Le peuple, mi-conscient mi-inconscient, est ensuite sorti, pour crier sa joie, qui cache à peine sa douleur trop longtemps refoulée de subir trop de mauvaise gestion de la chose publique, trop de fermetures et de dégradations, ce n’est pas la même joie comme en 82. L’équipe nationale n’a pas seulement réalisé une victoire historique face au détenteur de la Coupe d’Afrique, elle n’a pas fait uniquement honneur au football algérien, elle a enclenché un début d’exorcisme contre toutes les formes d’impasses et d’échecs. C’est pour cela que nombre de journaux ont titré «Magnifique!» et que des commentaires disent à l’unisson: «C’est un grand jour pour l’Algérie…nous n’avons jamais gagné de cette façon. Ce n’est pas une simple victoire…» Un simple match de football révèle l’état d’une société. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement tous les sportifs algériens qui ont vu qu’il était possible de se décomplexer et encore moins les seuls footballeurs, mais toute la jeunesse algérienne. L’après-déclic, l’après-victoire sont le plus dur, sur le plan psychologique. Il ne faut pas décevoir ce cri du coeur, ces gestes forts, ces signaux éclatants. C’est aussi à cause de ces moments que nombre de citoyens algériens à l’étranger regrettent leur exil. Et souhaitent tant partager un retour de l’Algérie sur tous les plans: «L’ambiance, l’Algérie me manque vraiment», disent -ils. Faisons en sorte que les yeux des jeunes et des élites, résidents ou expatriés, soient toujours tournés vers leur patrie. Elle le mérite infiniment.
Il restera, plus que jamais à redoubler d’efforts tous pour éduquer, former et sensibiliser la jeunesse sur le respect de la vie commune. Le comportement du citoyen s’est dégradé. Le sport est un vecteur d’apprentissage de l’esprit d’équipe et du renforcement du lien social. L’éducation tournée vers l’avenir doit prévoir la découverte pour tous des principes de la morale et de l’importance de la règle de droit dans l’organisation des relations sociales, au travers de principes modernes comme: «La liberté de l’un s’arrête où commence celle d’autrui», ou juridiques «nul n’est censé ignorer la loi», «on ne peut être juge et partie». C’est la formation du patriotisme, de la citoyenneté et de la sociabilité. Autonomie de l’individu et lien social pour s’adapter sans cesse à la diversité et à la vie collective sont le but de toujours. L’école, tout le monde le sait, est en crise, en retard, c’est une responsabilité de tous, gestionnaires, pédagogues, parents, société civile, politiques, médias. Il est temps, sans imitation aveugle, qu’on tire les leçons des expériences pédagogiques passées et des autres pays pour forger l’école de demain, libérer la société, s’arrimer au progrès universel, en cherchant à retrouver le sens de la communauté médiane, car «science sans conscience n’est que ruine de l’âme». Gagner un match de football c’est bien, mais gagner la bataille de l’éducation, de la ressource humaine, de la compétence, c’est inestimable. Trop d’interférences, de bureaucratie et d’incompétence bloquent l’entrée dans le XXIe siècle. Cette rencontre de football démontre qu’il n’y a pas de fatalité. Bien plus, l’Algérie peut donner l’exemple d’un développement équilibré qui garde une mémoire vivante de ses épopées et se tourne résolument vers l’avenir, guérissant ses traumatismes, et maîtrisant ses pulsions. Y a-t-il plus beau pays que l’Algérie? Y a-t-il plus belle histoire de lutte de libération et de peuple attaché à la liberté? Y a-t-il plus belle jeunesse que la nôtre si on sait lui faire confiance? Le peuple connaît la réponse et veut le démontrer tous les jours.

(*) Professeur en relations internationales
www.mustapha-cherif.net

Mustapha CHERIF (*)

La sauvagerie ou la civilisation, il faut choisir

CE QUI SE PASSE EN PALESTINE


La sauvagerie ou la civilisation, il faut choisir


14 Mai 2009 -

Le problème des Palestiniens signifie que le monde dominant refuse le vrai débat et encourage la violence. Elle était belle cette image du pape portant le kefeih, foulard palestinien offert par une jeune chrétienne arabe. On aurait cru rêver. Un premier symbole, signe que le pape n’oublie pas les déshérités et opprimés. Les trois premières journées du voyage délicat de Benoît XVI au Moyen-Orient ont été une réussite. Sa présence à la Mosquée Hussein était aussi un moment fort. Les Jordaniens et leur hôte du Vatican, dès les premières prises de parole, ont su trouver les mots justes pour rappeler combien il est non seulement nécessaire de dépasser les malentendus, de vivre dans le respect de l’autre, mais que cela est possible, comme le démontre la réalité à Amman et dans d’autres pays arabes.

Il n’y a pas d’alternative au vivre ensemble

Trop de préjugés et de calculs politiciens empêchent de voir que le vivre-ensemble est une réalité historique depuis très longtemps. Ce sont les interférences de notre temps qui perturbent. Le pape et nos amis chrétiens doivent savoir qu’il s’agit d’une confrontation entre la sauvagerie et la civilisation. Les réactions parfois aveugles de la résistance palestinienne ne doivent pas cacher la réalité monstrueuse du système colonial israélien. La colonisation se poursuit, les actes de guerre continuent, l’impunité de l’entité sioniste s’aggrave et personne ou presque ne proteste énergiquement et n’agit concrètement pour faire pression. La trahison, l’hypocrisie, la désinformation battent leur plein, sous prétexte de realpolitik, dans un monde où la question de la démocratie est incontournable. Les relations internationales ne sont pas démocratiques. Les pays arabes archaïques, dans une situation pathétique, acceptent les faits accomplis et sont humiliés. Pourtant, la cause est juste et concerne toute l’humanité. L’amitié entre les peuples et les communautés devrait être le but de tout citoyen éclairé. C’est un devoir. Eduquer, informer, se cultiver est la tâche de toujours pour faire reculer les violences.
De notre point de vue, et celui de nombreux historiens chrétiens et musulmans, c’est grâce aux principes et à la culture de l’Islam dominant que perdure depuis 15 siècles le christianisme en Orient, dans toutes ses composantes. Si une autre religion était dominante, dans cette région pas comme les autres, la diversité des cultes n’existerait peut-être plus. C’est ce fond que l’on doit garder en vue, par-delà des hauts et des bas…Si depuis 15 ou 20 ans les minorités chrétiennes souffrent ou s’exilent, c’est dû surtout aux problèmes politiques imposés à tous par des puissances étrangères. Politiquement, depuis 5 siècles ce sont les peuples musulmans (et partant leurs frères arabes chrétiens avec eux) qui subissent colonisation, domination et hégémonie…leurs réactions à cette situation est parfois négative et irrationnelle, mais l’extrémisme et le désespoir se nourrissent des injustices et des ignorances. Dialoguons et essayons de contribuer au règlement des causes des impasses, c’est-à-dire les injustices! Se voiler la face, ou renvoyer dos à dos l’oppressé et l’oppresseur, est voué à l’échec. Il n’y a pas d’alternative au vivre-ensemble. Les musulmans de leur côté doivent assumer leurs responsabilités afin que l’Islam de toujours, celui de la coexistence et du sens de l’ouvert, soit retrouvé, et non point l’instrumentalisation de la religion et sa version fermée qui font tant de ravages et défigurent la spiritualité. L’immense majorité des musulmans n’est pas dupe et reste attachée à la civilisation. La rencontre avec l’autre est une expérience salutaire pour travailler à réinventer une civilisation commune qui nous fait défaut aujourd’hui. Les faits historiques montrent que c’est possible. Nous avons, croyants et non-croyants, une responsabilité commune à l’égard de la survie même de l’humanité.
Les injustices, c’est d’abord le fait que depuis soixante ans les Palestiniens voient leurs droits légitimes niés et leur dignité bafouée. Des accords de «paix» d’Oslo aux différentes négociations, les Palestiniens n’ont rien obtenu, ils vivent dans un camp de concentration. La ville sainte de Jérusalem, El Qods, est bafouée et meurtrie à cause de la soldatesque israélienne et la colonisation rampante. Israël passe son temps à gagner du temps, réprime les Palestiniens, multiplie les assassinats de civils palestiniens, détruit les infrastructures, poursuit sans cesse les colonies de peuplement et radicalise sa politique du fait accompli, assuré de l’impunité, avec la complicité des grandes puissances. Il y aura de l’espoir le jour où les sociétés arabes se réformeront et s’allieront avec tous les pays épris de droit pour faire reculer à la fois, la domination du Nord sur le Sud, la loi de la jungle et les extrémismes de tout bord, qui sont un désastre pour les peuples.

Le monde est dans une impasse sans précédent. Les extrêmes se nourrissent, la crise économique et morale bat son plein, et la politique des deux poids, deux mesures s’amplifie. Le problème des Palestiniens signifie que le monde dominant refuse le vrai débat et encourage la violence. C’est une question politique et non religieuse. Depuis sa création Israël viole le droit international, les résolutions des Nations unies et méprise les condamnations de la communauté internationale. Après la guerre de 1967, elle multiplie la colonisation. Au mépris de la morale, des conventions de Genève et des principes des droits de l’homme et des peuples, Israël dans les faits, tue des Palestiniens, sabote toute possibilité d’un Etat palestinien et pousse des groupes à commettre des attentats suicide. Il manipule, opprime et rend impossible la solution des deux Etats. La construction d’un mur qui enferme la population de Cisjordanie et soumet la population de Ghaza à un apartheid suscite une situation de désespoir. Cette politique contredit le judaïsme et toutes les valeurs spirituelles. C’est un fascisme, allié au libéralisme sauvage. Cependant, la supériorité des armes n’a jamais mis à l’abri d’une défaite politique. C’est avant tout une guerre psychologique, une guerre de l’information qu’il faut gagner.

Un mépris pour la vie

Dans ce contexte, les Palestiniens sont à l’avant-garde de ce combat. Ils sont presque seuls désarmés et poussés à bout. Ils continuent cependant à essayer de défendre leurs droits légitimes. Sans la reconnaissance de leurs droits à un Etat viable dans les frontières de 1967, il n’y aura aucun avenir de sécurité ni de paix dans la région et dans le monde entier. Complices, des puissances étrangères renvoient dos à dos victimes et bourreaux et par là encouragent la politique sioniste, répressive et coloniale. Le mutisme de la majorité des intellectuels occidentaux, des humanistes et des croyants est incompréhensible. C’est un mépris pour la vie des opprimés, un acte suicidaire, car un jour, ce sera le droit de chacun à vivre libre dans le monde entier qui sera remis en cause. Cela a déjà commencé. Des signes d’européocentrisme et d’islamophobie faussent le débat et empêchent la réflexion. Ce qui se joue en Palestine concerne l’avenir de la liberté dans le monde. La mauvaise conscience des Occidentaux et les intérêts étroits qui lient Israël aux puissants bloquent toute perspective d’un nouvel ordre international juste et pacifique. Que faire pour mettre fin à cette guerre raciste qui ne sert personne, surtout en temps de crise économique qui peut aboutir à une nouvelle guerre mondiale? La fixation, pour faire diversion, sur le nucléaire iranien est symptomatique. Ce qui nous permet d’espérer, réside dans le fait que des croyants et des non-croyants continuent d’analyser le réel tragique de leur point de vue multidisciplinaire et indépendant pour s’attaquer aux problèmes créés par les injustices, les ruptures et les oppositions: comment humaniser un monde qui est en crise et violent, et qui, contrairement aux suppositions, risque de devenir encore plus violent faute de justice? L’Europe et les chrétiens et même les juifs conscients doivent assumer l’immense responsabilité historique qui est la leur dans cette guerre contre la civilisation. Les politiques en Europe et les autorités morales comme le Vatican, ont pour devoir de concilier les positions et surtout de contribuer à la décolonisation, afin que tous puissent coexister dans la liberté et la dignité. Les forces attachées à la justice dans le monde doivent protester et s’opposer à la sauvagerie d’un système qui nourrit l’extrémisme et met en péril l’avenir. La sauvagerie ou la civilisation, il faut choisir.

(*) MC est Professeur en relations internationales.
www.mustapha-cherif.net

LA FAILLITE DES UNS ET LA LUCIDITE DES AUTRES

LE MONDE ARABE ET LA TURQUIE
Le chaos moyen-oriental
05 Février 2009 -

Les pays arabes et musulmans se débattent dans des problèmes sans fin et apparaissent comme les derniers sous-développés politiques de la planète.

La colonisation et le blocus se poursuivent, les bombardements continuent, l’impunité d’Israel s’aggrave et personne ou presque ne proteste énergiquement et n’agit concrètement pour faire pression. La trahison, l’hypocrisie, la désinformation battent leur plein, sous prétexte de realpolitik, dans un monde où pourtant les questions de la souveraineté, de la survie et de la démocratie sont incontournables. Les relations internationales ne sont pas démocratiques. Les pays arabes acceptent les faits accomplis et sont humiliés. Alors qu’il était connu pour son intelligence aiguë et son nationalisme arabe, le secrétaire général de la Ligue des Etats arabes, Amr Moussa, à Davos lors du Forum mondial, a eu un comportement indigne et défaitiste en restant à la tribune en présence du président israélien, au moment où le Premier ministre turc quittait avec éclat la salle pour dénoncer la censure, le cynisme et la manipulation au sujet de Ghaza. Où va le monde arabe qui semble avoir vendu son âme, acceptant une descente aux enfers programmée?

La Turquie est démocratique
Les pays arabes et musulmans se débattent dans des problèmes sans fin et apparaissent comme les derniers sous-développés politiques de la planète. Les pays arabes en particulier, malgré leur hétérogénéité et différences, semblent pour la plupart incapables de se réformer et de sortir des dépendances, des impasses et autoritarismes dans lesquels ils se trouvent. Ce qui permet les interventions et ingérences externes. La dégradation est alarmante. Pourtant, un exemple émerge et démontre qu’il n’y a pas de fatalité: la Turquie, lieu de deux civilisations: Byzance et Ottomane. La modernisation de la Turquie sur qui circulent des préjugés, à cause de sa candidature à l’Union européenne, a commencé au XIXe siècle pour aboutir en 1925 à une accélération de l’histoire fondée sur la modernisation que Ibn Badis à l’époque avait lui-même applaudie. Sous l’autoritarisme sévère de Kamel Atatürk la Turquie s’est engagée vers l’industrialisation et une sécularisation à outrance. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce pays devient l’un des 51 membres fondateurs de l’ONU.

Le multipartisme fut autorisé en 1946 et la volonté de se moderniser était forte. Très tôt, la Turquie pose sa candidature pour devenir membre associé de la CEE en 1957 et en 1963 un Accord d’association est signé. Et les années 80 vont être décisifs en ce qui concerne la démocratisation, contrôlée intelligemment par les militaires. Le dernier changement constitutionnel, en 1999, a permis d’équilibrer les pouvoirs et de renforcer l’Etat de droit. Le pluralisme en Turquie est, aujourd’hui, une réalité. Les élections sont un exercice réel d’expression de la volonté citoyenne et le Parlement n’est pas une chambre servile d’enregistrement, d’âpres débats y sont tenus. Cela aussi se reflète dans le paysage médiatique: vingt-quatre chaînes de télévision en majorité privées et deux cent trente stations radio émettent. Les débats sur tous les sujets sont monnaie courante et ainsi, les élites et la société pratiquent la diversité d’opinions comme une richesse et se sentent concernées par tous les défis internes et externes. De ce fait, la Turquie est devenue la 18e économie du monde. Vingt milliards de dollars d’investissements étrangers directs sont enregistrés chaque année par ce pays. Son taux de croissance est de l’ordre de 6,5% et la fuite des cerveaux est faible, même si une forte diaspora existe en Allemagne. Depuis l’acceptation de sa candidature en 1989, la Turquie tente de s’adapter aux standards européens sur les plans économique et juridique, tout en respectant ses valeurs historiques et culturelles propres. Il a fallu attendre 1996 pour que l’union douanière entre l’Union européenne et la Turquie entre en vigueur. Sur le plan de sa diplomatie elle préserve une ligne d’équilibre, par exemple, membre de l’Otan, mais refus de faciliter l’utilisation de ses bases militaires lors de la guerre d’Irak, la Turquie s’oppose à la guerre, le Parlement refuse de permettre le stationnement des troupes américaines sur le sol turc. Aujourd’hui, alors qu’elle a des accords militaires avec Israël, elle est à la pointe de la dénonciation de la politique criminelle de l’entité sioniste, consciente que son propre devenir est en jeu face à cette guerre d’hégémonie. Le contexte a changé et l’arrogance de l’Occident irrite de plus en plus la Turquie qui reste un passage obligé de la circulation des sources d’énergie entre l’Asie centrale et l’Europe.
La Turquie tente de gérer avec réalisme, selon ses stricts intérêts nationaux et non pas selon ses alliances, ses relations de voisinage avec l’Iran. Malgré des divergences, elles s’améliorent face aux menaces communes. Ses difficultés sont, sur le plan externe, l’impasse au sujet de son adhésion à l’Union européenne vu les entraves idéologiques de certains Etats européens et, sur le plan interne, les actions du parti du Kurdistan sécessionniste.
Les offensives turques au Nord de l’Irak sont l’expression d’une guerre perpétuelle contre toute forme de sécession. Les Turcs s’opposent, par exemple, à un rattachement de la ville de Kirkouk (Irak), avec ses riches gisements pétroliers, au «Kurdistan» irakien où réside dans cette ville une minorité turkmène et pour empêcher l’émergence d’un Etat kurde.

Stratégie face à l’hégémonie
Un consensus national est visible autour de ces questions. La force de la Turquie réside surtout dans son sens réaliste de sa politique d’ouverture démocratique interne irréversible, dans un cadre bien balisé, celui de la République et de l’attachement au libéralisme et la priorité donnée à ses besoins économiques et sécuritaires et non à l’exportation de son modèle, même si ce pays reste jaloux de ses relations avec certains pays d’Asie centrale. Certes, au sein de la société, des tensions apparaissent parfois entre les partisans d’une sécularité stricte et ceux soucieux de valeurs spirituelles, mais le clivage est assez bien intégré dans le paysage social et politique, les extrémistes restent plutôt minoritaires. Les violences des années soixante-dix ont quasiment disparu.
Les acquis de la Turquie, par-delà ses limites et contradictions internes, sont encourageants, même si la situation régionale et le renvoi aux calendes grecques d’une éventuelle adhésion de la Turquie, par l’Union européenne, sont en partie responsables d’une certaine dégradation. La Turquie résiste et semble avoir réajusté sa politique extérieure vers la défense de ses stricts intérêts stratégiques et sa zone d’influence, refusant légitimement des compromis à courte vue.
Le refus déguisé de l’Union européenne pour son adhésion comme membre à part entière, la politique sioniste et les contradictions de l’ordre dominant ont amené la Turquie à adopter une politique offensive sur le plan régional pour mettre de son côté de nouveaux atouts, en tant que médiateur. L’Union européenne en 1999 avait pourtant accepté officiellement la candidature de la Turquie lors du sommet d’Helsinki, et souligné la «vocation européenne» du pays, tout en fixant des conditions à son entrée que la Turquie accepta.
A cette situation de quasi blocage, s’ajoute le contexte régional des plus négatifs, les tensions et violences s’accentuent au Moyen-Orient et les incertitudes dominent, à cause des agressions et de la colonisation sionistes, l’occupation de l’Irak et la faillite des régimes arabes.
La Turquie, fière de ses racines et de son histoire, ne veut pas rester les bras croisés. Le jeu démocratique interne et sa bonne santé politique et économique permettent, pour le moment, à ce pays musulman de bien résister et de hausser la voix face aux injustices et manoeuvres de puissances qui ne tirent pas de leçon de l’histoire de la décolonisation, ni des impasses et crises actuelles du monde dominant. Nous assistons à un tournant: la Turquie qui était plutôt spectatrice face au drame palestinien a compris que le sort des peuples était lié à cette question.
Il y aura de l’espoir le jour où les sociétés arabes auront la même vision, se reformeront et s’allieront avec tous les pays comme la Turquie et d’autres épris de droit pour faire reculer à la fois: la domination du Nord sur le Sud, la loi de la jungle et les extrémismes de tous bords, qui sont un désastre pour tous les peuples.

(*) Professeur en relations
internationales
www.mustapha-cherif.net

Obama et les musulmans

BARACK OBAMA S’INSTALLE À LA MAISON-BLANCHE
Les USA et les arabes, quel avenir?

Par Mustapha Cherif
Journal l’Expréssion 25 Janvier 2009 -

Vu de l’extérieur, le monde musulman, notamment au Moyen-Orient, fait peur et pose problème

L’arrivée de Barack Hussein Obama comme président des Etats-Unis d’Amérique, suscite des interrogations au sein des peuples arabes qui ont subi de manière violente la politique aventuriste de Bush. Il est nécessaire de tenter de répondre a quelques-unes de ces questions, liées à l’avenir.

1-Comment apprécier le changement à la tête des USA?
Les Américains ont vécu mardi 20 janvier un moment d’Histoire. Un de ces moments rares qui porte l’espoir d’un autre avenir pour eux et le monde. Un jeune Afro-Américain à la Maison-Blanche démontre que la démocratie est le voeu le plus cher des peuples. Même si tout système prévoit et cadre tout accès au pouvoir et qu’il n’y a pas de démocratie exemplaire, ni de monopole de cette pratique des pouvoirs, ce qui vient de se passer aux USA est un grand événement. En Bolivie, au Venezuela, au Brésil, en Turquie et en Afrique du Sud, des hommes du peuple ont aussi réussi à accéder au plus haut niveau de l’Etat de manière démocratique. Mais cette fois, il s’agit de la première puissance mondiale. Face à cet événement, ceux qui sont privés, comme les peuples arabes, de cet acquis mobilisateur qu’est la démocratie, méditent la leçon. Même si les observateurs avertis savent que les centres de décision aux USA ont préparé et favorisé ce changement intelligent.

2-Quelles sont les conséquences pour le monde musulman?
Ce n’est pas par hasard que la seule communauté dans le monde qui fut expressément citée par Barack Hussein Obama est celle des musulmans. Vu de l’extérieur, le monde musulman, notamment au Moyen-Orient, fait peur et pose problème. Après huit années de présidence catastrophique de Bush, marquées par l’invasion de deux pays musulmans – l’Afghanistan en 2001 et l’Irak en 2003- et un soutien sans faille à Israël, le discours d’investiture du nouvel hôte de la Maison-Blanche a été apprécié par les observateurs. Le ton mesuré adopté par Barack Hussein Obama, qui a promis de nouvelles relations avec le monde musulman, fondées sur le respect mutuel et l’intérêt commun, a été bien accueilli. C’est en effet un discours qui reflète un esprit nouveau, apparemment favorable au dialogue et opposé au choc des civilisations. C’est une nouvelle orientation, au moins sur la forme, qui change de celle qui prévalait depuis 1989, suite à la chute du Mur de Berlin. En outre, la référence d’Obama aux musulmans américains, partie intégrante de la population des Etats-Unis, environ 8%, est rare dans le discours politique américain. Le fait qu’il ait mentionné les musulmans revêt une signification de rupture. Mais je reste préoccupé, car la politique américaine en direction du monde musulman ne changera que si les pays musulmans changent eux-mêmes. De plus, la situation est incertaine car on ne perçoit pas de la part des puissances dominantes dans le monde la volonté de négociations avec les pays arabes.

3- Avec Obama est-ce un changement de politique étrangère?
Il est trop tôt pour se prononcer. Apparemment, seule la méthode diffèrera, si les forces attachées au droit dans le monde ne coordonnent pas leur action pour ramener les USA au multilatéralisme. L’approche d’Obama donne un peu d’espoir, c’est une rupture symbolique, qui rend compte que l’on ne peut pas combattre frontalement un milliard cinq cent millions de musulmans dans le monde. Mais les faiblesses criantes des pays arabes font que les grandes puissances risquent de dicter leur volonté. Même s’il y a un début de prise de conscience que l’on ne peut assimiler l’Islam au fanatisme. Auparavant, des Occidentaux parlaient de supériorité de leur modèle, de confrontation, et d’axe du mal. Ce racisme s’appelle islamophobie. Il met en avant le nucléaire iranien comme péril, occultant les 300 bombes nucléaires israéliennes, il assimile le chaos irakien à la culture locale, il met l’accent sur le croissant chiite comme risque, il entretient l’idée de risques de guerre civile dans les pays arabes comme au Liban, il refuse l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et confond résistance face à l’occupant et terrorisme. Sans discerner les causes, il dope la liste des conflits mythiques ou idéologiques: Occident contre Orient, Modernité contre Tradition, Religieux contre Laïcs, Sunnites contre Chiites. L’invention sournoise ou déclarée d’un nouvel ennemi, a atteint son summum lors de l’agression contre Ghaza.

4-Peut-on parler de la fin de la doctrine du choc des civilisations?
Il faut rester prudent, car les préjugés et les graves dérives contre les Arabes sont toujours là. Obama est élu pour défendre les intérêts des USA et redorer le blason. A décrypter la nature de l’équipe d’Obama, on se rend compte que la plupart sont des acteurs politiques qui ont démontré leur ignorance du monde musulman et leur alignement sur la politique d’Israel, à commencer par la Secrétaire d’Etat. Cependant avec George W.Bush, Israël disposait d’un chèque en blanc, ce qui ne sera plus le cas avec son successeur. Certes, avant son élection, Barack Obama n’avait pas manqué d’exprimer son soutien «indéfectible à la sécurité» de l’entité sioniste et il continue à le répéter. C’est un axe majeur de la politique des USA. Mais il vient de préserver sa marge de manoeuvre pour la région avec la nomination plutôt positive de George Mitchell, expert en négociations, comme envoyé spécial au Moyen-Orient. Cet ancien sénateur est connu pour un rapport qu’il a rédigé en 2001 après le déclenchement de la deuxième Intifada. Ce document préconisait un gel total de la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens. De plus, le général James, Jones, conseiller à la Sécurité nationale, et Robert Gates, le secrétaire d’État à la Défense, ne sont pas considérés comme des «proches inconditionnels» de l’entité sioniste. Dans ce contexte, tout n’est pas perdu. Mais si les Arabes n’aident pas Obama, ne s’unissent pas, et si les sociétés arabes ne bougent pas, les courants racistes et les puissances étrangères influentes, forts de leur suprématie et de leur bras armé l’Otan, chercheront à liquider la question palestinienne, et à recoloniser la région sous des formes nouvelles. Ainsi l’avenir est préoccupant, mais pas désespéré. C’est aux Arabes de saisir l’opportunité Obama pour tenter d’empêcher que des plans démentiels continuent de s’appliquer.

5-Quelle politique attendre d’Obama et son équipe?
Il s’agit principalement de trois points décisifs, même si la prééminence de la première puissance mondiale n’est pas contestable: passer de l’unilatéralisme au multilatéralisme, de la politique du deux poids, deux mesures à l’équité, de la loi du plus fort au droit international. Au centre du malaise mondial: la question palestinienne. C’est sur ce dossier que le nouveau président des USA sera jugé. Personne, ou presque, pour le moment, ne doute des bonnes intentions de Barack Obama, ni de sa volonté de tourner la page de l’ère Bush, notamment sur le plan des relations avec le monde musulman; mais chacun connaît les contraintes. Des intérêts politiques, économiques et culturels sont en jeu. Dans la vision étroite de certains en Occident, l’entité sioniste a pour tâche de dominer la région, contrer tous les pays arabes qui voudraient être vraiment souverains et les empêcher de disposer d’une économie indépendante, notamment de par les richesses énergétiques dont ils disposent. La politique sioniste fait partie d’un projet de domination du Nord sur le Sud, dans une région géostratégique majeure.

6-Pourtant Obama a promis le changement et la solidarité avec les autres peuples?
En effet, un espoir réel est né dans le monde. L’élection d’Obama a été bien accueillie partout dans le monde, comme signe d’une volonté de changement exprimée par la population américaine. Tout un chacun espère y voir la fin de l’approche unilatérale et violente. Ces dernières années, Washington a cherché à se substituer de manière arrogante aux objectifs et aux activités des organisations internationales en usant abusivement de son droit de veto au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Aujourd’hui, les peuples espèrent que les Américains respectent le droit international et changent d’attitude envers le monde arabe et musulman.

7-Comment favoriser ce changement?
Il faut donner l’exemple, favoriser le changement en le réalisant de l’intérieur. Au sujet de la plupart des régimes arabes, la question de fond qui se pose est celle du changement de leur nature, d’illégitimes à légitimes, de gérontocratie au rajeunissement. La question qu’il faut se poser est de savoir si les Arabes ont cette volonté politique pour réaliser des réformes, de nouvelles alliances et saisir l’opportunité. Ce n’est un secret pour personne que les Américains demeurent, même s’ils sont occasionnellement critiqués, les soutiens de la vaste majorité des régimes en place, dépendants des Américains. Les intérêts économiques américains dans ces pays sont majeurs. Malgré la docilité des régimes arabes, les Américains ne cessent de clamer, Démocrates et Républicains confondus, et surenchère oblige, leur support inconditionnel à la politique d’Israël. La triste preuve: la complicité face à la destruction de Ghaza, en toute impunité. Le monde arabe a besoin des USA démocratiques, et non d’USA arrogants, mais il doit donner l’exemple et se réformer pour défendre sa juste cause. L’avenir dépend du mouvement des sociétés, pas seulement de l’aide de la première puissance. Les Américains, dans l’intérêt réciproque, comme le laisse entendre Obama, devraient écouter la voix des peuples arabes, étudier la culture musulmane et ne pas se laisser intoxiquer par les lobbys sionistes.

8-Les lobbys sionistes sont-ils si forts?
L’influence des lobbys sionistes aux USA n’est pas une fiction, même s’il faut nuancer. Le puissant Aipac, l’American Israel Public Affairs Committee, créé il y a 50 ans à Washington, chargé d’influencer le Congrès, est considéré par les observateurs comme l’instrument qui a forgé pendant des décennies la politique étrangère américaine au Proche-Orient. Des cercles, animés par des chercheurs comme Samuel Huntington, auteur de la théorie fumeuse du choc des civilisations, ont souvent inspiré la stratégie à mener. Le système militaro-industriel américain ayant besoin d’un épouvantail pour tenter de dominer le monde, a inventé le concept du nouvel ennemi. Le soutien des Etats-Unis à Israël n’est pas fondé sur des raisons stratégiques objectives, mais s’explique par la pression des lobbies sionistes, des groupes chrétiens fondamentalistes et des néoconservateurs favorables aux idées du «Grand Israël». C’est cela que l’on doit dénoncer, et le démontrer au peuple américain ami. D’autant qu’il existe des juifs américains qui soutiennent certes Israël et son «besoin» de sécurité, mais aussi autant le droit des Palestiniens à un Etat souverain, et veulent deux Etats vivant côte à côte en paix. Ils considèrent notamment que la décision d’envahir l’Irak était une erreur, que les menaces à l’encontre de l’Iran sont contreproductives, et prônent un accord de paix entre Israël et la Syrie. Même si ces voix mesurées restent rares et que les lobbys sionistes contrôlent une grande partie du Congrès américain, les Etats arabes et la société civile doivent redoubler d’efforts pour tenter de se faire entendre.

9-Sur quelles bases repose ce déséquilibre, y a-t-il un espoir de changer le rapport de force?
Alors que la libération de la Palestine est une question politique et non point raciale ou religieuse, le soutien à Israël découle de l’exploitation du traumatisme de l’Holocauste nazi, et de l’idée mensongère que toute critique d’Israël serait de l’antisémitisme et que sans appui, l’entité sioniste serait en danger. Mais malgré la mainmise sur nombre de secteurs clés par des sionistes, notamment des médias et des centres financiers, un nombre croissant d’Américains et de juifs aujourd’hui pensent que la menace d’élimination de l’Etat d’Israël, surarmé, est nulle, et critiquent sa politique coloniale. Il est important de renforcer les courants ouverts pour corriger la politique déséquilibrée. Le nouveau souffle venu de l’Ouest sera salutaire si on compte sur nous-mêmes, sans se fermer. La cruauté de l’agression contre Ghaza, terre symbole des opprimés, doit servir de signal d’alarme sur les faiblesses des Arabes et ce qui se profile. «Les preuves de violations des règles fondamentales du droit international humanitaire sont si accablantes qu’elles doivent faire l’objet d’une enquête internationale indépendante», a estimé le rapporteur de l’ONU sur les droits de l’homme, juriste américain. Il y a des êtres justes, tout n’est pas perdu. Chacun doit se mobiliser pour tenter de changer le rapport de force.

(*) Professeur en relations internationales
www.mustapha-cherif.net

Au nom de Dieu, dialoguons

lemonde_editions-abonnes.1190023193.gif Catégorie DÉBATS

Lettre au pape Benoît XVI d’un musulman qui rappelle le socle commun aux trois rameaux monothéistes. La fraternité spirituelle est possible

Notre responsabilité de croyants exige que nous fassions tout pour empêcher les dissensions entre les fils d’Abraham. Nous devons pratiquer l’interconnaissance et témoigner de la foi qui nous habite. La propagande du choc et des amalgames ne doit pas l’emporter. Vos propos récents sur l’islam ont choqué les musulmans, nombre de chrétiens et de citoyens du monde. Cette situation est nuisible pour tous dans le contexte dramatique des relations internationales.
Nous revendiquons avant tout une fraternité spirituelle et un dialogue entre les trois rameaux monothéistes. Au côté de son frère chrétien, même si des différences existent, le musulman est le seul au monde à reconnaître que Jésus est le Messie, Verbe de Dieu fortifié par l’Esprit saint. Le Coran, qui rappelle l’histoire des prophètes bibliques, tout en s’inscrivant, dans l’acte final de la révélation, dit : ” Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté, mais il a voulu vous éprouver par le don de la différence. ” Et il insiste : ” Dis-leur : je crois à toutes les écritures révélées ; j’ai reçu l’ordre d’être avec vous équitable. Dieu est notre Seigneur, comme Il est le vôtre. Toute dispute entre nous serait vaine, vers Lui tout doit faire retour.
Nous espérons encore que votre position prolongera celle de l’esprit du concile Vatican II, celle de tous ces chrétiens, fidèles à l’Evangile et à l’accueil de l’autre, qui, de saint François d’Assise à Louis Massignon – grand islamologue français, 1883-1962 – et au pape Jean Paul II, ont dialogué avec l’islam. Aujourd’hui, le dialogue interreligieux devrait avoir pour premier but de rappeler des vérités : que notre socle commun est plus important que nos différences, et que celles-ci doivent êtres assumées comme des richesses.
L’islam est méconnu. Depuis toujours, il a été injustement déformé. L’Occident classique a été judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe ; non pas seulement judéo-chrétien et gréco-romain. La falsification ne peut profiter qu’aux extrémistes. L’esprit humain, la fraternité abrahamique, le principe d’ouverture prôné par le Coran et l’héritage évangélique sur l’amour sont interpellés. On reconnaît l’arbre à ses fruits, nous rappelle l’Evangile : l’islam a donné des fruits qui obligent à accorder de l’estime au troisième rameau du monothéisme.
142_mustapha-cherif_lislam.1204045549.jpgVous posez la question de quel Dieu le croyant se réclame. Pour l’islam, depuis quinze siècles, c’est le Dieu miséricordieux, plus proche de l’humain que sa veine jugulaire, dit le Coran. La révélation coranique permet de mettre fin à toutes les idolâtries et à garder ouvert l’horizon de la vie. La révélation s’adresse sans cesse à la raison raisonnable, appelle en permanence à la réflexion, à la pensée méditante. Si, selon le Coran, les anges se prosternent devant Adam, c’est à cause du privilège de la liberté octroyée, comme fondement de l’existence humaine. Quant à la question de la violence, le mot islam est de la même racine que le mot ” paix “, ce beau nom de Dieu. Le Coran précise ” nulle contrainte en religion ” et ” Dieu n’aime pas les agresseurs “. Il appelle à la vigilance et à la légitime défense au conditionnel, pour que la loi du plus fort et des oppresseurs ne soit jamais la meilleure. En précisant : ” Soyez juste, la justice est proche de la piété.
Quant aux défis auxquels l’humanité doit faire face, nous partageons vos soucis sur les effets dévastateurs du relativisme, du scientisme et de l’athéisme, qui sont trois produits des dérives de la modernité. Nous dénonçons l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques et l’usage de la violence aveugle par l’extrémisme politico-religieux. Le fanatisme religieux, que rien ne saurait justifier, est un phénomène étranger à nos valeurs. Il faut en cerner les causes avant tout politiques : l’injustice, le terrorisme des puissants et l’arrogance.
Dieu, ses messages et ses messagers sont innocents de la folie des hommes. Pas plus que l’Inquisition n’est inscrite dans l’Evangile, le terrorisme n’est inscrit dans le Coran. La sortie de la religion de la vie et la difficulté grandissante pour les peuples de vivre libres sont les défis de ce XXIe siècle. L’islam, une des figures spirituelles de la résistance aux dérives de notre époque, peut être un allié. Il nous appartient de rechercher ensemble cette nouvelle civilisation qui nous fait défaut aujourd’hui. Voir dans le troisième rameau monothéiste un hérétique ne peut qu’amputer l’histoire du salut d’une partie vitale d’elle-même.
Mustapha Cherif
Mustapha Cherif, islamologue algérien, a publié ” L’Islam, tolérant ou intolérant ? “, Odile Jacob, 296 p., 2006.
© Le Monde

ENTRE FUITE EN AVANT ET RÉGRESSION

 

 

Le monde arabe en danger
 Les guerres en ce XXIe siècle seront celles de l’eau, de l’air pur et frais, de l’énergie et, culturellement, des symboles sacrés.

Qui se souvient de la nécessité d’un projet de société, d’études prospectives, de vision d’avenir? En Occident, depuis au moins cinquante ans les analyses sur les évolutions, tendances et changements ont priorité. En 1972, paraissait, par exemple, le fameux Rapport du Club de Rome dont le monde intellectuel en rive Sud a entendu parler mais que peu ont vraiment lu. Pourtant, il dessinait le futur sur les plans économique et scientifique. Son cas est d’ailleurs représentatif de la façon dont l’information scientifique et technique se diffuse aujourd’hui dans le monde arabe: nombre de gens entendent parler de ce qui fonde les débats sur l’avenir, l’évolution des relations internationales, la culture, la médecine, l’économie, le dialogue interreligieux et tant de disciplines, mais peu prennent le temps d’aller à l’information spécialisée et de lire avec un esprit critique les travaux universitaires.

Comprendre ce qui se passe
Pourquoi avons-nous abandonné le goût de la lecture et de la recherche prospective? Peu d’ouvrages sur les questions de fond sont publiés. Seule une lecture rapide de médias occupe les esprits. Pourtant il n’y a pas d’avenir sans pensée approfondie. Il nous faut prendre exemple sur les grands travaux et rapports. Au moment de sa création en 1968, le Club de Rome regroupait une poignée d’hommes occupant des postes relativement importants dans leurs pays respectifs (un recteur d’université allemande, un directeur de l’Ocde, un vice-président italien d’entreprise informatique, un conseiller du gouvernement japonais…). Tous souhaitaient que la recherche s’empare du problème de l’évolution du monde pris dans sa globalité pour tenter de cerner les limites du modèle dominant. Ce ne sont pas les membres du Club de Rome qui l’ont rédigé mais une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux USA, constituée à la demande du Club. Le rapport paru en français sous le titre Halte à la croissance traduction du titre anglais: The limits to growth, est un document de synthèse présentant les principaux résultats du travail effectué. Les universitaires du MIT ont essayé, avec l’aide de l’informatique de l’époque, de mettre l’humanité en équations et d’élaborer un système rendant compte de l’évolution du système socio-économique de 1900 à 2100. Leur objectif était de comprendre ce qui se passait.
La première crainte de ces scientifiques portait sur la production de ressources non renouvelables. La seconde, trente ans avant les dérives du système libéral, soulignait que le monde pourrait s’effondrer faute d’être capable de préserver ses ressources et d’épurer les déchets. En prenant une hypothèse de ressources naturelles abondantes, une autre simulation montrait que le système se détruisait alors par la pollution engendrée par la production de sous-produits liés à cette consommation effrénée des ressources naturelles. Nous avons tendance à tort de considérer que notre système va durer. Le point sur lequel le Club de Rome voulait nous alerter en 1972, c’est que, parce qu’il se nourrit de la dégradation du capital naturel et non de ses seuls intérêts, la logique tendancielle du système est son effondrement et non point la croissance perpétuelle. Avec trente-cinq ans de recul, non seulement les ressources énergétiques et le climat se sont dégradés, mais surtout la nature humaine, soumise aux risques des manipulations de toutes sortes, génétiques et politiques, est angoissée et désorientée. Les liens sociaux se sont affaiblis, voire coupés de toute forme de cohérence, les crispations et les justices dominent. L’ensemble marqué par une violence sourde, inouïe et un monde que l’écrivain Orwell avait prévu au milieu du XXe siècle, dans un livre intitulé 1984 où le totalitarisme s’imposait sous des formes nouvelles.
Les batailles, les guerres en ce XXIe siècle seront celles de l’eau, de l’air pur et frais, de l’énergie et culturellement des symboles sacrés. Du point de vue de l’énergie, il n’y a pas grand-chose de nouveau sous le soleil depuis que l’homme a domestiqué le feu il y a 500.000 ans. Les renouvelables sont beaucoup plus anciennes que les fossiles. Quand on parle de nouvelles énergies, on peut dire anciennes énergies. Même le pétrole et le charbon sont connus depuis des milliers d’années. Mais ce qui a changé entre cette époque ancienne et l’époque actuelle, ce sont les utilisations et les ordres de grandeur. Ce sont justement ces ordres de grandeur qui modifient radicalement la nature des problèmes et les conclusions qu’il convient d’en tirer. Tant que l’on ne s’est pas intéressé au nombre de zéros, aux statistiques, aux faits, on n’a pas quitté le niveau de la conversation superficielle. Et lorsqu’on est chargé de gérer l’avenir, il faut aller au-delà et vérifier les détails, les enjeux et les équations, surtout que les incertitudes et les improbabilités sont grandes. Le monde arabe, malgré son hétérogénéité, semble s’enfoncer dans la régression, ou l’imitation de modèles en crise.
Le premier facteur à avoir changé en l’espace de trois mille ans, comme le remarquait déjà Ibn Khaldoun, renvoie à un débat difficile celui de la population. Depuis que notre espèce s’est sédentarisée, la population a été multipliée par un facteur 1000. L’essentiel de cet accroissement a eu lieu depuis le début de la révolution industrielle. Dans 30 ans on sera sept milliards. Question qui mériterait un débat: est-ce rendre service à la pérennité de l’humanité que d’encourager un tel accroissement? Toute la place et l’épuisement de ressources que nous enregistrons aujourd’hui, c’est pour partie autant qui ne sera pas laissé à des êtres humains plus tard. Ensuite vient l’échelle de temps qui nous intéresse lorsqu’on est concerné par le développement durable: combien de temps doit effectivement durer l’évolution considérée? Si la réponse est plusieurs décennies pour atteindre un niveau convenable, la question de la taille de la population est alors centrale.
Le deuxième changement d’ordre de grandeur, qui a eu lieu depuis la révolution industrielle, c’est l’augmentation de la quantité d’énergie consommée par personne. En physique, nous explique un spécialiste «l’énergie est la grandeur qui permet de caractériser un changement d’état d’un système. Elle intervient quand on change une température, une masse, une vitesse, une composition chimique, une nature atomique. Dire que l’homme consomme de plus en plus d’énergie, cela n’est rien d’autre que de dire que chacun d’entre nous possède une aptitude croissante à modifier physiquement le monde qui l’entoure. La consommation d’énergie est ainsi un excellent indicateur agrégé de la pression sur l’environnement». Durant la deuxième moitié du XXe siècle, la consommation d’énergie primaire par habitant a été multipliée par trois. La croissance économique forte de cette période a été corrélée avec une forte croissance de la quantité d’énergie consommée par personne, donc de la pression agrégée par personne sur l’environnement. Le monde développé détruit la nature et réduit les possibilités d’un épanouissement équilibré. Question: allons-nous pouvoir continuer ainsi? Notamment pour les pays du Sud qui dépendent à 97% des ressources énergétiques.

Revoir notre relation à l’ordre mondial
La production cumulée de pétrole, entre le moment où les premiers puits de pétrole en 1859 étaient creusés et le moment où il n’y aura plus personne pour en extraire, ne pourra en aucun cas dépasser la fraction extractible des découvertes cumulées. On peut se demander: à quand alors le maximum de production de pétrole au plus tard – Même s’il est souhaitable, pour des raisons liées à l’environnement, de ne pas attendre le pic de production lié aux contraintes géologiques. En matière d’extraction d’hydrocarbures, nul n’est plus proche des informations primaires que les opérateurs pétroliers et les techniciens qui travaillent dans ce domaine. Ce qu’ils disent mérite donc la plus grande attention. Les plus pessimistes estiment que nous sommes déjà au pic de production, les plus optimistes parlent de 2030. A la vitesse croissante que le monde consomme les énergies fossiles, avec plus 2% d’augmentation par an, seront épuisées toutes les réserves trouvées, charbon compris, dans 50 ans. Nous avons, au plus, tard vingt ans pour nous préparer à une autre vie, un autre système. Demain commence aujourd’hui. Le monde arabe, soumis aux fuites en avant, aux pressions et aux ingérences extérieures, est en danger, pour la plupart des régimes, ni la jeunesse, ni l’élite scientifique ne sont au pouvoir, tout en sachant que la politique est un art complexe. L’arrivée probable en 2009 de Barack Obama au pouvoir aux USA devrait être une opportunité positive pour revoir notre relation à l’ordre mondial, dialoguer et se réformer pour se mettre à l’écoute de la société. L’Algérie a tous les atouts pour être à l’avant-garde du progrès en rive Sud. Non seulement on peut se demander: «Que devient le prix de la ressource dans ce contexte?», mais surtout:
«Comment assurer la bonne gouvernance, préserver nos richesses naturelles des convoitises et développer nos richesses en capital humain?» On ne peut se poser la question du prix des ressources énergétiques sur un marché qu’à partir du moment où il y a un marché. Mais il y a une illusion de marché: la régulation, malgré les efforts des producteurs, se fait de manière sauvage et volatile; quasi-monopole des firmes multinationales, spéculation, rationnement, restriction, fermeture des frontières, conflits. La dernière réunion internationale à Djeddah sur le pétrole en est la preuve. La question du pétrole ne concerne pas seulement des générations futures à venir dans un monde lointain, mais celle d’aujourd’hui. Si le prix du pétrole s’emballe, si cette énergie s’épuise trop vite, si notre monde connaît une récession profonde, la responsabilité incombe avant tout aux sociétés riches et non à celles des déshérités. Sans fuir nos responsabilités, on peut affirmer que les conflits les plus meurtriers du XXe siècle et les causes des inégalités entre le Nord et le Sud ont été le fait des pays riches, pas des pays pauvres. Les pays riches sont à l’origine des problèmes, par exemple du point de vue du stock de gaz à effet de serre d’ores et déjà libéré dans l’atmosphère; ce sont les pays en voie de développement qui seront touchés à la fois les premiers et le plus fortement. Reste en conséquence à se méfier des modèles dominants, tout en assumant nos tâches et en tirant les leçons de leurs acquis et progrès. L’absence de bonne gouvernance, de visions prospectives et la faiblesse des reformes de l’éducation sont une catastrophe pour les pays du Sud.
Toutes les considérations sur la mondialisation n’ont pas assez mis l’accent sur l’alternative en matière d’éducation. Tout comme les études sur les ressources énergétiques ont été faites jusqu’ici sans prendre en compte les menaces que font peser sur le climat, l’écologie et la santé les émissions de CO2, principal gaz à effet de serre. Le développement ce n’est pas seulement celui du PIB, mais du niveau de conscience. Tout comme le climat n’est pas la météo: l’élément principal de variabilité du système, c’est l’atmosphère. Mais quand on s’intéresse à des évolutions sur des échelles de temps long – le siècle par exemple – c’est le global qui domine. S’il n’est pas le seul, l’homme est une des causes de perturbation du système climatique et social. Compte tenu des ordres de grandeur en jeu, il est en train de devenir le facteur dominant de perturbation à l’échelle du siècle. Le comportement est celui des prédateurs. la question du développement durable ne se borne pas à savoir comment faire durer notre monde en l’état. Notre «monde» ne va pas bien et ne va pas durer! La crise est profonde, le monde arabe a besoin de rigueur, de faire un vrai diagnostic de son présent, afin de préparer l’avenir sur tous les plans. Les pays du Sud subissent et improvisent alors que des richesses existent. Si nous attendons que la contrainte de ressources nous force à passer le cap, nous n’aurons alors pas un problème qui en aurait évacué un autre, mais trois en même temps: un problème exponentiel d’environnement, celui des ressources décroissantes et l’hémorragie sans fin des élites. Le tout produisant une insécurité chronique. Tant que l’on n’a pas donné une importance majeure à la double question: valorisation de l’éducation et maîtrise des énergies, on passera à côté du problème, donc à côté des solutions. On doit préserver nos énergies, et développer au maximum nos ressources humaines. Cela ne pourra se faire sans ce qui manque le plus: la participation des citoyens, l’ouverture, le dialogue.

(*) Professeur des Universités
www.mustapha-cherif.net

Mustapha CHERIF (*)