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Le calcul et la vision

RAMADAN ET LE CALENDRIER
Le calcul et la vision
Par Mustapha Cherif

Il est clair que la religion peut être autant source de bonheur que de malheur. Tout dépend de son interprétation et mode d’application. Tout comme les autres dimensions essentielles de l’existence, telle la raison, celle-ci peut être source de progrès ou de barbarie. Pour les matérialistes, la religion est présentée comme seulement ce qui vient interdire et la modernité comme ce qui veut autoriser. Il faut sortir de cette dichotomie. La foi alliée à la raison à travers l’histoire a prouvé qu’elle peut produire de la civilisation. Jeûner durant le mois de Ramadhan, devrait humaniser les comportements. A condition d’en comprendre le sens.
Ramadhan 1431 débutera au plus tard ce jeudi 12 août 2010. La nuit du doute est le mardi 29 Chaabân correspondant au 10 août. Le premier croissant, hilal, de la lune, astre lumineux le plus proche de la Terre, est le repère qui rythme la vie sur terre. La nuit du doute est une occasion pour observer le ciel et contempler sa beauté, surtout en plein été et dans les pays du Sud.

Foi et science

Le Coran institue le sawm sur la base de la vision: «Quiconque d’entre vous qui verra le mois qu’il jeûne pendant ce mois.» Le Prophète (Qsssl) dans un hadith authentique précise:
«Jeûnez quand vous le voyez et cessez le jeûne quand vous le voyez.»
Il faut dépasser la polémique au sujet du calcul et de la vision. La science est objective, ont peut s’appuyer sur ses calculs. Il n’y a rien qui s’oppose à la foi. On constate que les nouvelles générations exigent d’avoir un calendrier qui permette de prédire les mois lunaires avec certitude de façon globale. Aujourd’hui, des scientifiques musulmans répondent par l’affirmatif.
Il y a des raisons pratiques avancées, car l’incertitude sur le début du mois peut causer des problèmes pour les entreprises, pour les administrations et les citoyens. La capacité de planifier ses activités à l’avance est indispensable. Un calendrier «instable», ne permet pas d’être utilisé par les sociétés musulmanes comme un instrument de civilisation moderne, en face du calendrier grégorien devenu planétaire.


De plus, certains aspirent à symboliser l’unité de l’Umma sur la base d’un calendrier commun et fixe, afin de célébrer les temps forts de l’Islam en même temps. Cependant, il ne faut pas confondre uniformisation et cohérence. Il ne suffit pas que le croissant soit visible et de surcroit connu à l’avance en un point de la Terre pour que le début du mois soit décidé dans tous les pays. Le décalage horaire et la position propre à chaque région ne peuvent être occultés. C’est le rapport au lieu de vie de chaque peuple, le lien étroit, à dimension humaine, à la lune et au mouvement des astres qui sont déterminants.
La révélation décrit les phénomènes naturels et cosmiques qui doivent faciliter le rapport à la nature et la connaissance de la marche du temps: «Ils t’interrogent sur les premières lunaisons – dis: ce sont des jalons du temps, à l’usage des hommes, et pour le pèlerinage.» (2:189) Et «C’est Lui qui a fait du soleil un flamboiement, de la lune une lumière, qu’Il en mesure en stations pour vous faire connaître le nombre des ans et le calcul…» (10:5).

Le signe de la lumière

La vision du croissant, ru’yat-al-hilal, n’est pas seulement le moyen de compter le temps. Elle renvoie à un symbole mathal, celui du coeur du croyant qui cherche à s’illuminer de la lumière Divine, et se prépare à revivre la «descente» du Saint Coran, comme s’il était révélé à lui-même. Le signe de la lumière de la Révélation accueillie par le coeur humain, est symbolisé par le croissant lunaire progressif.


Selon les calculs d’astrophysiciens, à qui il faut faire confiance, le croissant de lune à l’oeil nu ne sera pas visible le 10 août. Le constat de la vision permettra de confirmer que le mois de Chaâbane fera peut-être 30 jours. Comme le souligne avec raison l’astrophysicien algérien Nidhal Guessoum: «L’observation du croissant conduit les chercheurs à proposer des solutions de plus en plus compliquées menant tout droit à une impasse. Ces solutions consistent à introduire des technologies et des systèmes d’analyse et de communication, en temps réel complètement démesurés…La solution « Kepler » consiste tout simplement à prendre conscience que l’astronomie d’aujourd’hui est non seulement capable de déterminer la position de la lune à chaque seconde, mais aussi la probabilité de son observation par l’oeil humain dans une région donnée du globe, et cela bien à l’avance.»


Il y a un charme, une dimension du mystère, à allier foi et science, que nul calcul en temps réel ne peut remplacer. La vision confirmative peut se faire à l’œil nu ou par le biais des observatoires. Si elle est confirmée, d’une manière légale, conformément aux recommandations du Prophète, les citoyens doivent suivre les autorités religieuses du pays où ils résident. Les cultures ne sont pas homogènes, il faut accepter la diversité et pratiquer la tolérance. Nulle contrainte en religion. Ramadhan Karim.

Ce mois spirituel est unique, car le jeûne, lié à l’abstinence, est un acte secret qui concerne le rapport personnel intime de l’être humain et son Créateur. Il permet de prendre du recul face à l’éphémère, de faire son examen de conscience et se souvenir que l’être humain est corps et esprit. Ni course effrénée, ni immobilisme, la vie attend de chacun mesure et équilibre. Le Ramadhan est un moment privilégié pour retrouver les conditions de solidarité nécessaires, pour un partage qui transcende la vie de chaque individu en vue du bien de la communauté.

Les dérives sociales et économiques constatées ne peuvent faire oublier le sens profond du mois de Ramadhan, qui est d’apprendre à vivre en fonction de la foi que la vie dernière est meilleure, tout en sachant assumer raisonnablement l’épreuve de l’existence sur terre. Le mouvement, l’équilibre, la mesure sont à la base de la vie créatrice. L’homme doué de raison peut allier calcul scientifique à l’avance et confirmation de la vision à l’œil nu. L’un n’empêche pas l’autre.

(*) MC est Philosophe
intellectuels@yahoo.fr

LA GUERRE CONTRE LES MUSULMANS

LA GUERRE CONTRE LES MUSULMANS


Quel diagnostic, pour quel remède?

La crise mondiale morale et économique montre qu’il faut dialoguer et faire face ensemble aux problèmes. Par-delà son hétérogénéité et des exceptions comme la Turquie, le monde musulman est malade. Il subit, ne sachant pas réagir face à la guerre multiforme, aux désordres, aux injustices. Bien plus, il sape parfois de ses propres mains ses bases. Diagnostic: le monde musulman, depuis au moins 1989 fin de la guerre froide, est visé comme le nouvel ennemi. Il semble résister surtout sous la forme du fondamentalisme qui est une réaction irrationnelle vouée à l’échec. Faute de société du savoir et de systèmes ouverts, c’est un refuge biaisé. Sur le plan international, les puissances dominantes qui pratiquent la politique inique du double standard, deux poids, deux mesures, alimentent le désespoir, ayant besoin d’un épouvantail pour asseoir l’hégémonie. Sur le plan interne, des régimes islamiques archaïques et coupés des masses craignent le changement et se contentent d’une stabilité précaire.


La désinformation bat son plein, la guerre est multiforme, informationnelle, économique et politique. Les problèmes du monde sont globaux, on manque de stratégie globale. Il faut toujours préférer la voie pacifique et scientifique. Les relations internationales ne sont pas démocratiques, les grandes puissances, malgré la prolifération de discours moralisateurs, ne sont pas justes, des régimes dans le monde arabo-musulman sont défaitistes et dépendants. Ils ne veulent pas se réformer. La descente aux enfers s’accélère. Tous les problèmes se posent en même temps: politiques, économiques et culturels. L’heure devrait être à la réflexion commune, à l’interdisciplinaire et à la maturation pour préparer solidairement et rationnellement l’action salvatrice. Est irrésistible ce à quoi on ne résiste pas.

Comptez sur nos propres forces


Pour un intellectuel engagé, le remède ne consiste pas simplement à dénoncer des injustices et à exprimer des opinions critiques, aussi pertinentes soient-elles, mais à énoncer des alternatives, dénouer des nœuds, proposer des lectures de la réalité, afin de favoriser une dynamique de transformation, le rapprochement entre la base et le sommet, pour la prise de conscience et de décision. Des intellectuels, marginalisés, désespèrent. Ce qui pose problème aujourd’hui, c’est moins l’incertitude en tant que telle que la démission, ou les illusions, pour établir la justice et subvenir aux besoins vitaux. Le soutien des puissances pseudo-démocratiques pour aider à sortir du sous-développement économique et des despotismes ne viendra jamais. Les intérêts mercantiles étroits et les calculs politiciens l’emportent sur l’éthique et les principes. Attendre le bon vouloir des Américains et des Occidentaux de changer de politique et de ton à notre égard, est du domaine de l’utopie, du «wishful thinking», si on ne change pas nous-mêmes.


Une nouvelle génération, intègre, compétente et engagée doit se préparer. La longétivité des potentats arabes bat tous les records. Il est choquant que malgré leurs atouts et potentialités, les pays arabes, détenteurs des plus importants fonds financiers souverains dans le monde, plusieurs milliers de milliards de dollars, acceptent l’injustice et l’humiliation que leur font subir Israël et les USA depuis des décennies. Au lieu d’assumer leur responsabilité, la démission alimente les surenchères des extrémistes. Tout le Monde arabe ressemblera un jour à Ghaza meurtrie par le sionisme, prison à ciel ouvert, si des mesures de ripostes politiques, économiques et diplomatiques ne sont pas prises. Il n’y a pas d’alternative à consentir d’énormes efforts. Pour ce faire, il faut se préparer, avoir les idées et les hommes pour bâtir sur le plan interne, comptez sur nos propres forces, les ressources humaines, asseoir une crédibilité, se faire entendre et respecter, en s’en tenant à nos principes et intérêts, quel qu’en soit le coût. Nul de sensé ne peut renoncer à forger une société où authenticité et progrès s’articulent. Ce modèle, le sionisme et les forces du culte du veau d’or le combattent.
L’impunité d’Israël dépasse toutes les limites, mais ce sont les Arabes qui sont faibles.

Le régime sioniste arrogant est dans la logique intégriste terroriste, qui exploite à outrance la shoah, falsifie la question juive et la lutte contre l’antisémitisme. L’indifférence d’intellectuels occidentaux et leurs points d’aveuglement, voire leur complicité, qui n’arrivent pas à voir les impasses, couronnent le tout. Le regain de l’islamophobie, les politiques d’ingérence et de répressions hémiplégiques, le recul de l’interconnaissance et la destruction des structures de l’Etat investisseur, régulateur économique et protecteur au plan social, sont les symboles des impasses de notre temps.


Le quatrième pouvoir, médiatique, en Occident, en passe de devenir le premier pouvoir, est investi par ceux qui réfutent le droit à la différence et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour faire diversion, ils portent leur attention surtout sur les personnages de culture musulmane qui renient et dénigrent leur origine et sur les courants radicaux, pour mettre en avant une image répulsive, archaïque et rétrograde du musulman, figure du résistant face à la deshumanisation et à l’injustice. Ce n’est pas une question religieuse, mais politique. L’Islam peut être vécu en conformité avec le respect des principes de la République et des droits humains universels. Les combats d’arrière-garde de ceux qui instrumentalisent la religion ou la marginalisent et la démission d’intellectuels, retardent l’émancipation et sont en contradiction avec les valeurs spirituelles auxquelles adhère la majorité des musulmans.


Face aux faiblesses et outrances réactionnaires du Sud et à celles provocatrices et immorales du Nord, à la volonté d’hégémonie totale des puissances occidentales, à leur tête les USA, la violence se consolide. La «résistance» se déverse sous la forme de l’extrémisme. D’autant que la «guerre» contre «le terrorisme international des faibles» se transforme en guerre contre les musulmans. Les extrêmes se nourrissent entre eux. Les sociétés musulmanes, qui subissent de façon directe les agressions en Palestine, en Irak, en Afghanistan, pour résister, puisent dans des coutumes tribales sous leur version archaïque. Faute de stratégie rationnelle, cela se transforme en dérives qui font le jeu de l’occupant.

L’hégémonie occidentale totale est impossible


L’Occident n’est pas monolithique. Des courants et intellectuels intègres, y compris juifs, sont engagés dans l’altermondialisation, d’autres dans la recherche d’un ordre mondial plus juste et le souci du multilatéralisme. Le remède: pour le Sud, produire des idées et des richesses et faire jonction pour changer le rapport de force devrait être le chemin. Une synergie est possible. L’enjeu sécuritaire réside aussi dans la définition du terrorisme. On doit travailler cette question au niveau international. L’Algérie pionnière peut y contribuer. D’autant, qu’au niveau arabe et africain, les conventions adoptées, sont le fruit de ses efforts. Le discernement est vital entre des actes inhumains et ceux de politiques de légitime défense, comme ultime recours. La question de la nature et des formes de la résistance, les voies et moyens pour défendre des justes causes et lutter contre l’occupant étranger, se posent.
La violence aveugle, que rien ne peut justifier, d’une minorité mortifère et manipulée, empêche l’opinion publique de constater que la résistance des opprimés et des exclus est souvent pacifique.

Le chemin pris par la majorité, comme en Palestine face au terrorisme d’Etat d’Israël, est celui de la protestation permanente non violente, mais cela n’est pas connu et médiatisé. Tout en sachant que les structures politiques, économiques et sociales que la domination coloniale a produites, ne favorisent pas facilement des ripostes paisibles, éclairées et réfléchies. Les puissants produisent des damnés de la terre désespérés, qui versent parfois dans l’acte isolé pour répondre à la violence inouïe de la domination.
La fuite en avant de régimes arabes et la «cécité» de grandes puissances sont suicidaires. En particulier, ce que l’Occident ne voit pas de l’Occident doit être pensé et dévoilé.

Une partie de ce qui est perçu partout dans le monde, comme un signe de l’arrogance «occidentale», tient à la façon dont elle s’est approprié la raison, la démocratie, les droits de l’homme, le principe d’une société moderne, par opposition à toutes les soi-disant sociétés traditionnelles de toutes les autres civilisations. Et partant de chercher à imposer par tous les moyens, sa version unilatérale et problématique de l’existence et de la vie en société. Situation aggravée par la politique xénophobe qui vise, selon les époques, tel ou tel bouc émissaire, pris comme épouvantail, hier le juif, aujourd’hui le musulman.

L’opinion publique n’est pas dupe


Des médias occidentaux dans un climat de soutien à la poursuite de la politique «coloniale», de terrorisme des puissants et de rapacité, soutiennent inconditionnellement la politique inique d’Israël et font de la tolérance, de la démocratie et de l’humanisme, le trait distinctif propre à l’Occident. Ils nient les autres civilisations et attribuent à leur seule culture ces traits distinctifs. Pour leur propagande, au service de la soldatesque sioniste, à l’avant-poste du libéralo-fascisme, et non point des Lumières, ils sont passés maître dans l’art de la diabolisation du musulman. Mais l’opinion publique n’est pas dupe.


Dans de nombreux ouvrages, des penseurs objectifs, comme Jacques Derrida, Pierre Bourdieu, Jean-Luc Nancy, Pierre Legendre, Amartya Sen, Noam Chomsky, Edgar Morin, Alain Badiou ont montré combien l’idée selon laquelle «la démocratie» serait une conception exclusivement occidentale est dénuée de fondement. Il est clair que les médias dominants préfèrent donner la parole aux pyromanes et non point à ceux qui visent l’universel, l’éveil des consciences et discernent.


Ce n’est pas de l’intérêt des puissances occidentales de pratiquer l’arrogance, la politique inique des deux poids et deux mesures, de favoriser l’impunité d’Israël et de laisser faire des prédateurs. D’autant que l’hégémonie occidentale totale sur le monde est impossible. Les Américains en particulier doivent se comprendre comme ayant des responsabilités pour bâtir un monde où le droit et la réciprocité doivent prévaloir. Ils pourraient réaliser leurs réformes internes, mais tant que leur politique extérieure ne pratique pas le droit et l’équité, l’avenir restera sombre. L’idéologie du choc des civilisations repose sur l’idée fallacieuse que les identités sont cloisonnées et ne sont pas en mesure de se connaître, que sur le mode du conflit. Ce qui est contraire à la vérité historique, d’autant que les problèmes sont d’abord politiques.
Il ne s’agit pas de demander naïvement aux Américains de réduire leur pouvoir, mais de l’utiliser à bon escient, de prendre conscience que l’arbitraire est contre leurs principes et contre leurs intérêts à long terme, et partant, contre la stabilité du monde.

La solution doit être systémique. La peur, face à autrui différent, entretenue, amplifiée et manipulée, notamment par les sionistes, est mauvaise conseillère, elle secrète des agressions et des réactions interminables. Elle produit de la colère chez les opprimés, elle aussi mauvaise conseillère que les apprentis sorciers exploitent.
La loi de la jungle, la pratique de «la fin justifie les moyens», de la violence illimitée l’emportent sur celle de la Cité humaine qui se donne des règles, des balises et des lois. Il est clair que le monde actuel prend une bien mauvaise direction. Il a besoin de responsables, courageux et sages pour fonder de la justice.

Il n’y a pas d’alternative au vivre-ensemble. Le regain de l’islamophobie n’est ni un accident, ni conjoncturel, il présage de sombres lendemains, si les musulmans n’agissent pas intelligemment. Il ne peut y avoir de paix sans justice. L’Algérie de par son histoire, peut contribuer à un monde moins injuste.

(*) MC est Philosophe

L’Amérique et les musulmans


L’Amérique et les musulmans

Par Mustapha Cherif

Il est urgent d’améliorer nos relations avec la première grande puissance, avec le souci de franchise et d’indépendance. Les discours dominants inculquent une perception essentialiste de l’autre. Chacun voit l’autre comme un adversaire, bloc monolithique, ne reconnaît pas le droit au pluralisme et s’enferme. En Orient les termes: l’Occident, la chrétienté, l’impérialisme, se succèdent souvent sans que la distinction soit faite. Alors qu’il faut discerner et savoir que l’Occident n’est plus chrétien, au sens où il l’était il y a des siècles. Nous avons des amis chrétiens, des humanistes, des athées et des croyants de toutes races, cultures et pays. En Occident, la désinformation bat son plein. Les amalgames sont entretenus entre -musulman et fanatique-, même si tous les Occidentaux ne succombent pas à la propagande.

Contrecarrer la désinformation

L’ambition impériale des USA reste perceptible, les divergences entre les religions, les courants d’opinions et les conflits d’intérêts n’ont pas disparu, on constate une recrudescence de la violence et de l’intolérance, une guerre sourde voire brutale est flagrante, mais il est du devoir de tout intellectuel, dans la vigilance, de contrecarrer la désinformation, de travailler à l’amitié, de résister de manière judicieuse, déminer les pièges et éviter les provocations, afin de ne pas donner de l’eau aux moulins des va-t-en guerre, ni de nourrir la logique conflictuelle nuisible pour tous.

Aux USA, malgré des divergences avec des aspects de politiques européennes à courte vue, malgré la diversité ethnique et culturelle et un contexte de modernité libérale avancée, l’islamophobie reste visible. L’islam est méconnu, pris comme cible, stigmatisé. Pourtant l’esprit des fondateurs des USA n’a rien à voir avec l’extrémisme et la xénophobie; bien au contraire. Cependant, la culture des citoyens américains au sujet de l’Islam est faible et caricaturale. La plupart des médias et les industries cinématographiques le présentent de manière univoque, et erronée, comme une religion intolérante, violente et incompatible avec le progrès.

Des exceptions sont heureusement enregistrées: Michael Hart, scientifique américain, dans son fameux livre The 100: a ranking of the most influential persons in history écrit avec courage: «Certains lecteurs seront peut-être surpris de me voir placer le Prophète Mohammad en tête des personnalités ayant exercé le plus d’influence dans le monde…il est le seul homme qui ait réussi par excellence sur les deux plans: religieux et séculier.» D’un autre côté, les musulmans sont inopérants en matière de riposte réfléchie, de communication crédible et performante. Il faut réapprendre à communiquer, à donner l’exemple, afin que les qualités mohammadiennes soient visibles en chaque musulman et connues des Américains.
Des intellectuels conservateurs et sionistes intoxiquent les opinions et enferment l’Islam dans des clichés négatifs. Ils cultivent le ton pamphlétaire, l’acharnement simplificateur et réducteur, l’amalgame contre le musulman. Alors qu’il n’y a pas d’hostilité entre les civilisations, ils cherchent à tout prix à imposer la logique du choc. Ils omettent de prendre en compte les racines communes des religions et civilisations qui existent comme des systèmes de sens aujourd’hui remis en cause.

La puissance médiatique des lobbys nuisibles à l’Islam est telle qu’elle arrive à faire croire aux Américains qu’Israël est «la seule démocratie de la région», alors que c’est un système qui tue des civils, des humanitaires, pratique l’apartheid et la colonisation. Ces lobbys trompent l’opinion internationale en manipulant et en renversant les rôles. Par exemple en ne parlant que du seul prisonnier israélien à Ghaza qu’ils définissent comme «otage» aux mains du Hamas. Cela occulte les 12.000 prisonniers palestiniens détenus dans les geôles israéliennes. L’immense majorité des prisonniers sont des politiques, condamnés pour leur lutte pacifique pour l’indépendance. Israël est un régime qui emprisonne n’importe quel citoyen sans avocat, sans jugement, sans motif, sans limitation dans le temps. Cela devrait rappeler à l’opinion occidentale le comportement de l’occupant nazi.

Assumer nos responsabilités

Paradoxalement, dans ce contexte de la répression, de l’arrogance et de la désignification du monde, l’Islam qui résiste est pris comme bouc émissaire. Pourtant, la raison exige d’analyser de manière objective les causes des réactions parfois aveugles des musulmans, d’analyser le Coran et les sociétés musulmanes concrètes, avec les multiples expériences, interprétations et formes de pratiques culturelles qu’elles produisent, de tenir compte des conditions historiques et de reconnaître les capacités d’humanisation et de civilisation, d’aspirations aux changements et à la liberté, sans renier leurs valeurs, qui traversent ces sociétés.
On doit assumer nos responsabilités afin que les citoyens américains découvrent le fait que la question palestinienne est politique et que l’Islam est la religion qui vise à responsabiliser, à libérer les personnes et à socialiser les rapports humains, sur la base d’un sens précis de la vie humaine et sa destinée. C’est un Message révélé qui ne contredit en rien les valeurs de liberté, d’égalité et de pluralisme, bien au contraire.

La Déclaration d’indépendance des USA est un texte qu’un musulman peut faire sien, car elle rappelle la valeur de la liberté et en particulier la liberté de conscience. Pour les Pères fondateurs de la Constitution américaine, la liberté de conscience est l’essence même de la doctrine américaine.
Comme le notent des chercheurs spécialisés, pour George Washington, le premier président des USA, l’Amérique devait accueillir «les opprimés et les persécutés de toutes les nations et toutes les religions», notamment chrétiens, juifs et musulmans. La terre d’Islam, de Cordoue à Baghdad, en passant par Fès, Tlemcen, Béjaïa, Constantine, Kairouan et Alexandrie, durant des siècles, a été par excellence une terre d’hospitalité et de refuge pour tous les opprimés et persécutés, à commencer pour les juifs.

John Adams, le deuxième président des USA, a affirmé que le Prophète de l’Islam est l’une des plus grandes personnalités de l’humanité soucieuse de coexistence. Thomas Jefferson, troisième président, a appris l’arabe et déclarait qu’il lisait le Coran. Durant son mandat, il a organisé un jour à la Maison-Blanche l’iftar marquant la fin du jeûne du Ramadhan. Les Pères fondateurs ont puisé aux sources des valeurs de diverses civilisations universelles, dont la musulmane, lorsqu’ils ont adopté le système politique des USA, avec leur génie propre ouvert sur le monde.

Benjamin Franklin, savant scientifique et philosophique, corédacteur et signataire de la Déclaration d’indépendance et partant l’un des pères fondateurs des USA, a étudié l’Islam et les grands textes de la culture islamique. Pour exprimer son respect pour l’Islam et son attachement au vivre- ensemble, il a invité le mufti d’Istanbul de l’époque à venir présenter l’Islam aux Américains.

La tolérance du Prophète de l’Islam

En 1763, Benjamin Franklin prit comme exemple le Prophète compte tenu de son comportement hautement humanitaire, notamment envers les prisonniers. En effet, cette année-là des Américains, qui se disaient chrétiens, avaient massacré des Amérindiens innocents. Ces Occidentaux affirma Benjamin Franklin, étaient plus sauvages que les autochtones, en précisant que les Amérindiens auraient été respectés dans leur dignité humaine dans un pays musulman, car, a-t-il précisé, l’Islam montre de l’humanité envers les prisonniers.

Durant la guerre de résistance de l’Emir Abdelkader en Algérie au XIXe siècle ce noble principe fut largement appliqué. Il y a 150 ans à Damas, son acte héroïque qui a permis de sauver des milliers de chrétiens d’une mort certaine, lors d’une discorde communautaire, est en outre une autre preuve de cette dimension exemplaire qui lui a valu la fondation d’une petite ville aux USA qui porte son nom. Comme l’Emir Abdelkader et Voltaire qui ont pratiqué l’humanisme chacun à son niveau et sa manière, Benjamin Franklin défendait le droit au pluralisme et à la liberté d’expression. Il citait souvent un principe: «Sans liberté de pensée, il ne peut y avoir de sagesse; et pas de liberté du peuple sans liberté d’opinion; celle-ci est le droit de chaque homme tant qu’il ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui.»

Il vantait le sens de la tolérance du Prophète de l’Islam, qui respectait le droit à la différence. Il exprimait son admiration au Prophète qui exigeait de ses compagnons un traitement humain des prisonniers. Benjamin Franklin a affirmé son admiration pour Saladin, le sultan au XIIe siècle qui a libéré Jérusalem en faisant preuve de miséricorde. A l’heure où le racisme antimusulman prend de l’ampleur, à cause, à la fois, de calculs politiciens étroits comme diversion aux impasses politiques, aux visées hégémoniques, et des réactions aveugles de ceux, minoritaires, qui usurpent le nom de l’Islam, la vision des Pères Fondateurs des USA mérite d’être soulignée.

Le président Barack Obama, qui renoue sur le plan de la forme avec cet esprit d’ouverture, devrait savoir que les musulmans ne ressentent aucune haine contre autrui et l’Amérique, au contraire, ils aspirent à l’amitié. Ils ont simplement le droit d’être en «colère» face à la politique du deux poids, deux mesures et au vu de tant d’injustices. Le nombre de soldats étrangers en terre musulmane est dix fois supérieur à celui du temps des croisades et les investissements étrangers hors hydrocarbures y sont trois fois inferieurs à toute autre région du monde.
Les musulmans sont convaincus que les paroles ne suffisent pas, ce sont les actes qui, en définitive, font la différence, en particulier au sujet de la Palestine et de la démocratisation des relations internationales. Les deux chambres parlementaires américaines, à la veille des élections de novembre prochain, semblent se bousculer pour montrer leur bonne relation avec les lobbys sionistes. Les Américains attachés à la démocratie, universelle, dans l’intérêt général, devraient pourtant imposer la création de l’Etat de Palestine sur les terres d’avant 1967.

Certes, quelques régimes arabes et islamiques archaïques avaient financé le terrorisme des faibles, mais d’autres pays comme l’Algérie l’ont au contraire combattu. Les musulmans, pour gagner le cœur de tant d’Américains qui sont prêts à les écouter et défendre la justice et aider Obama qui fait des efforts pour améliorer la relation Monde musulman-Occident, commencent à prendre conscience qu’ils doivent aussi sortir de la position victimaire, corriger leur situation, résister raisonnablement et s’ouvrir au monde, sinon l’opinion américaine considérera qu’il n’y a rien de nouveau à l’Est.

Plus d’une année après le discours d’Obama au Caire, les décideurs américains devraient s’attaquer aux causes des problèmes et non aux effets, se souvenir de l’idéal américain des Pères fondateurs, des principes de l’Islam et ses apports à la civilisation, pour lequel ceux-ci avaient un grand respect. Ce lien semble remis en cause, pas seulement depuis le 11.09.2001, mais surtout après Juin 1967 et depuis la chute du mur de Berlin, qui ont ouvert la brèche pour l’invention d’un nouvel ennemi, que des lobbys concoctaient depuis un moment.

L’Amérique que les musulmans respectent et admirent est celle que les Pères fondateurs avaient initiée pour viser l’universel et non l’arbitraire. L’avenir du monde se joue entre l’Occident et le Monde musulman. Il est temps d’engager un vrai dialogue et non des messes pour répéter des paroles lénifiantes coupées de la réalité et qui légitiment des situations de domination. Il n’y a pas d’alternative à l’entente fondée sur le respect mutuel au sujet d’un enjeu d’avenir: la relation entre les USA et le Monde musulman.

MC

La crise mondiale est totale

Mustapha CHERIF : La crise mondiale est totale
27 Juillet 2010 -

Le sionisme, qui agit dans l’impunité totale, le non-droit, exploitant à outrance l’histoire de l’Holocauste, a produit des zones de non -droit, Ghaza et Cisjordanie, et réduit le Palestinien à des infrahumains.

Toutes les sociétés, par-delà leur hétérogénéité, sont confrontées à la crise profonde et multiforme des valeurs, du comportement et de l’éducation. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de l’angoisse et des incertitudes. Violence, corruption et aggravation des pratiques injustes des deux poids, deux mesures sont les reflets de la crise déshumanisante.

La question est d’abord politique. Actuellement, il n’y a pas de projet de société clair et convaincant, ni de modèle satisfaisant. Pourtant, il n’y a pas d’alternative au savoir objectif et moderne et à l’idée d’une humanité qui allie authenticité et progrès. Le savoir scientifique et la pensée sage pour y parvenir sont la voie. Ce n’est pas la solution parfaite, garantie d’avance, mais le chemin de la démocratisation, de la société de la connaissance et du débat est incontournable. La compétence scientifique et intellectuelle et l’engagement ne garantissent pas le bonheur, mais ils sont irremplaçables pour évaluer, analyser et contribuer à mobiliser et décider, en somme sortir des archaïsmes; des illusions et du sous-développement.

Le droit, l’éthique, les fins sont à réinventer
Science sans conscience, comme disait Rabelais, ruine l’âme humaine. Le droit, l’éthique, les fins sont à réinventer.
Refuser de régir la vie sociale et internationale par le droit négocié voue l’avenir à des impasses. Les grandes puissances imposent leur point de vue sans tenir compte des autres, les régimes despotiques de même, les groupes dominants, qui monopolisent les pouvoirs, refusent le partage et l’alternance. La mondialisation rend complexes les possibilités de ripostes, mais les opportunités de s’organiser pour résister aux injustices et iniquités existent. Les sociétés civiles ne sont pas dupes et aspirent au partage et à la coexistence. La fonction du droit et l’anthropologie juridique sont au coeur de l’actualité qui met aux prises le droit et la violence injuste et illégale, le droit et sa réduction à une simple technique comme instrument de domination. Le droit appartient à la civilisation et au domaine de la légitimité et de la légalité.
Des théoriciens du droit reconnaissent qu’il y a danger du discours relativiste selon lequel le droit ne serait qu’une technique. Le libéralisme sauvage présente l’humain dans l’univers indifférencié où la personne est définie comme simple objet et nie le droit des peuples. De ce fait, le sionisme par exemple, qui agit dans l’impunité totale, le non-droit, exploitant à outrance l’histoire de l’Holocauste, a produit des zones de non -droit, Ghaza et Cisjordanie, et réduit le Palestinien à des infrahumains.

L’Occident complice à ce sujet parle de simple allégement au blocus et ne se rend pas compte que dans cette logique arrogante et fascisante toute la planète sera de plus en plus réduite à une zone de non-droit, où seuls des intérêts étroits, des régimes rapaces et des groupes prédateurs influent sur la marche du temps. Les discours de puissants sur la paix et la tolérance sont des leurres. Jamais, comme disait Derrida, le monde n’a été aussi inégalitaire. Tout en comprenant que les attentats du 11 septembre et des comportements irrationnels manipulés, amplifiés et exploités, de ceux qui usurpent le nom de l’Islam, ont produit un choc au sein de l’opinion occidentale, on constate que la guerre contre le terrorisme prend des allures de guerre contre les musulmans. Le système politique américain n’est pas monolithique, mais ses composantes néoconservatrices et droite chrétienne sont islamophobes. Une seule version de l’humain veut s’imposer.Les nouvelles colonisations sont celles du sens unique, de la volonté d’hégémonie, du culte du veau d’or, des chiffres: production, consommation, jouissance à tout prix, caractères génétiques, racisme, sans que le droit et l’éthique puissent intervenir comme valeurs garantes de la dignité humaine et du pluralisme. Il en va ainsi de la déréglementation du commerce, liée à la dictature du Marché et aux technologies de l’information et de la communication entre les mains de firmes monopolistiques. Des critiques avertis savent que des pouvoirs politiques chargés de la souveraineté étatique et du bien commun, cèdent, au nom de logiques économiques et d’intérêts étroits, à une privatisation des institutions, brisent les liens sociaux et produisent de la violence sociale. Le cynisme de ceux qui instrumentalisent le droit, l’économie et la religion ne peut perdurer. Rien ne tient. L’invention d’un nouvel ennemi, l’exploitation de la peur à des fins politiciennes et le retour de la politique de la canonnière auront le plus marqué ce début du XXIe siècle, alors que chacun escomptait un nouvel ordre international moins injuste. Tout est prêt à s’abîmer dans la contradiction et l’échec.
Des scientifiques parlent des traumatismes de l’être humain en souffrance d’une «vérité» qui lui est imposée. Pour les psychologues et psychanalystes, cela produit de la castration, dont Lacan a montré qu’elle était le nom de l’impossibilité à s’humaniser et à pouvoir tout dire et tenter de changer le monde. Malgré leurs promesses, les discours politiques du monde dominant et arabe se révèlent, chacun à sa manière, trompeurs. Les éléments d’un affrontement au sein du monde musulman entre occidentalisés et obscurantistes retardent le processus de changement vers une société ouverte sur le monde, fière de ses racines.

Ni opprimés, ni oppresseurs
Il est urgent de revenir à la compétence intègre, tout en tenant compte de valeurs propres. Sur le plan international, malgré les «bonnes paroles» du président Obama, la loi du plus fort est en train de mener au désastre. Sur le plan interne aux pays arabes, malgré des acquis et potentialités, la fuite en avant, la démagogie et la faiblesse en matière de bonne gouvernance ont atteint leurs limites. Avec des conséquences: violence aveugle, dérives, extrémismes, précarité, fuite des cerveaux, ce qui aboutit à une recolonisation sous d’autres formes et à des schizophrénies. Pourtant, la civilisation arabo-berbère a été lumineuse durant près de mille ans et des luttes de libération comme celle du 1er Novembre furent des épopées. Sans nostalgie, on peut participer à un monde moins inhumain et contribuer à la recherche d’une civilisation universelle juste qui manque.
A défaut de résoudre tous les problèmes, ici et maintenant de manière concrète, de répondre au malaise dans la civilisation, l’intellectuel, le cadre, le citoyen, notamment les jeunes, ne doivent pas s’abandonner à la lassitude, mais être attentifs à quelques pensées dignes et patriotes, de partout dans le monde, qui, loin de démissionner face aux défis de l’homme égaré dans un amas de mensonges, ouvrent une voie pour trouver l’inspiration en vue d’assumer les devoirs et exiger les droits. Inverser le cours des choses exige de la réflexion et de l’action. La gravité de la crise qui affecte tous les aspects de la vie, exige une nouvelle alliance entre les peuples pour jeter les bases d’un contrat civilisationnel. Ni opprimés, ni oppresseurs, telle devrait être la devise de notre temps.

(*) Philosophe
www.mustapha-cherif.net

ORIENT-OCCIDENT Quel avenir ?

ORIENT-OCCIDENT
Le vivre-ensemble est-il possible?
Par Mustapha Cherif

Alors que le monde est un, certains refusent le vivre ensemble. Après maints projets de l’ancienne administration américaine qui visait à liquider toute forme de résistance du monde musulman, plus d’une année après, le président Barack Obama déçoit, ceux qui se sont fait des illusions, il n’a pas atteint le seuil du changement en ce qui concerne les relations entre le monde musulman et l’Occident. L’Europe semble coincée entre sa politique de Voisinage à sens unique et le projet problématique de l’Union pour la Méditerranée. Le dialogue de sourds est total. La crise est mondiale et les intérêts économiques priment sur les valeurs morales et éthiques. L’esprit colonial continue à souffler sur les relations internationales. Le contrôle des sources d’énergie et le refus de pratiquer le droit et l’équité sont les traits de la situation internationale actuelle, malgré les discours de bonne intention.

La politique de la canonnière, toujours


Ce qui se passe en Palestine et la question du nucléaire en Iran reflètent bien le fait que la politique de la canonnière n’est pas révolue. Dans quelle sorte de monde sinistre est-on en train de vouloir nous précipiter, alors que le devenir est commun? Alimenter l’idée que le musulman est le nouvel ennemi, créer des partis politiques fondés sur le seul slogan anti-Islam, interdire la construction de minarets, lancer un débat sur l’identité nationale en visant l’Islam, tout comme refuser de manière obsessionnelle l’entrée de la Turquie dans l’UE, et faire la guerre avec cynisme à des populations musulmanes dans plusieurs pays de l’Orient, généralisent un amalgame fondé sur la haine de l’autre.
Racisme d’un côté, réaction fanatique de l’autre mettent en danger l’avenir. Les musulmans, diabolisés, sont assimilés à des extrémistes incapables de vivre avec les autres. Situation qui ressemble à l’atmosphère préfascisante du siècle dernier.

Les discours islamophobes, les actes de profanation des mosquées et des cimetières sont des signes avant-coureurs, tels qu’on a pu les voir dans les années 30 dans l’Allemagne nazie. L’extrême droite européenne s’est construite depuis des décennies sur l’hostilité par rapport aux musulmans et ce mouvement est en train de déborder pour faire diversion aux impasses morales et économiques. Depuis de nombreuses années, je ne cesse d’appeler au dialogue et d’alerter sur les risques que des idéologues font courir au monde, avec l’invention d’un «nouvel ennemi» sous la figure du musulman stigmatisé. Pour ceux habités par l’ignorance, il est toujours plus facile de diaboliser les couches les plus vulnérables de la société, la nouvelle minorité dans la Cité et de refuser le dialogue, que de faire face aux réalités.

Les pseudos-«nouveaux philosophes» pyromanes ou les «théoriciens» de la politique américaine, chassent sur le terrain des extrêmes droites; tous participent à la construction de l’idée suicidaire d’ennemis supposés saper l’«identité» occidentale et alimentent les préjugés sous toutes leurs formes contre les musulmans. La guerre, intérieure contre les «mauvais européens», extérieure contre «les autres», semble s’installer. La diversion l’emporte sur la raison. La mise en place du G20 est l’arbre qui cache la forêt. Les grandes puissances semblent se contenter de gérer au jour le jour, une situation nuisible pour tous, alors qu’elles sont censées prévenir l’avenir en termes de prospectives. Entre l’Orient et l’Occident, le vivre-ensemble est-il possible? Alors que malgré des moments de conflit, durant des siècles ce fut possible et fécond, en ce XXIe siècle le monde dominant, celui des pays du Nord, ne veut pas partager la prospérité, ni reconnaître le droit à la différence, ni revoir les règles qui régissent le rapport entre les Nations, profitant des faiblesses et incohérences des pays du Sud qui prêtent le flanc.


Pour éviter des lendemains dramatiques, il ne reste qu’une solution, engager des négociations proches à celles qui ont prévalu durant les années quatre-vingts entre l’Est et l’Ouest. Il n’y aura ni paix, ni stabilité, ni civilisation communes dans le monde sans un accord entre l’Orient et l’Occident. La difficulté réside dans l’ignorance et la méconnaissance, aggravée par le fait de vouloir imposer un seul point de vue pour asseoir l’hégémonie. Il y a un recul de l’intelligence, de la connaissance de l’altérité, de l’universalité des valeurs, dont l’Europe intellectuelle hier pouvait s’honorer, sous la figure de grands savants et penseurs du discernement, lucides et critiques constructifs, comme hier Louis Massignon, Henri Corbin, Jacques Berque, Louis Gardet, Jacques Lacan, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Jacques Derrida, Gérard Granel, Pierre Bourdieu. Aujourd’hui, la voix de philosophes et chercheurs éclairés comme celle de Pierre Legendre, Jean Luc Nancy, Edgar Morin, Jean Bauberot, Vincent Geisser, René Major, Alain Badiou, Emmanuel Todd et celle de théologiens et prêtres, d’évêques soucieux de justice, n’est pas assez entendue.

Mais on ne doit pas s’abandonner à la lassitude. Il est possible d’engager des luttes à contrecourant de l’air du temps, à partir de solidarités transfrontalières. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer le caractère inique des relations internationales, le sort des discriminés, mais aussi de changer un mode de représentation ancré dans la subjectivité collective. La société occidentale qui se veut source des Lumières peut intégrer les différences, mais des politiciens et des fossoyeurs du vivre- ensemble veulent lui faire croire que les musulmans cherchent à imposer un changement des paramètres fondamentaux de son modèle. Il suffit de voir la montée de l’islamophobie et les conditions déplorables de vie des musulmans européens pour se rendre compte que les idéologies xénophobes influent. Pourtant, les citoyens musulmans, pour la plupart, sont des citoyens loyaux, paisibles, dignes de ce nom, ne remettent pas en cause le pacte civique, marquent une adhésion sans faille au régime républicain.


L’Islam, deuxième religion en Europe est présent dans l’espace européen depuis longtemps et fait partie du paysage sociologique. Qui peut nier qu’il y a un Islam européen séculier, attaché, entre autres, à l’humanisme et à l’amitié islamo-chrétienne? Ce qui signifie que le vivre-ensemble est possible.
Le citoyen musulman ne refuse pas le partage, l’intégration dans la vie sociale et économique et la saine participation à la vie politique, là où ils sont possibles.
Les régimes politiques archaïques et le rigorisme, de pays arabo-musulmans, qui sont l’anti-Islam, résultat des contradictions de notre temps, sont outrageusement mis en avant pour faire croire que c’est cela les musulmans. La distinction cardinale entre «Islam» et «islamisme» est ignorée.


Les extrémistes et les obscurantistes représentent un dévoiement de l’Islam. Dans un monde occidental qui s’est construit contre la religion, la crainte de l’extrémisme se transforme en un rejet de l’Islam. C’est d’autant plus choquant, que les prétendues pommes de discorde comme: l’idée de la non-confusion entre le spirituel et le temporel et la liberté de conscience sont conformes à l’esprit et à la lettre de l’Islam. Le problème n’est pas uniquement celui du politique. Il est celui, de la norme fondamentale, de l’origine des règles de la conduite humaine, dans des domaines essentiels, la morale, la famille, la communauté. La désignification du monde est un problème. Ceux qui ont des règles de vie tentent de garder vivantes ses valeurs.

Reste à ce qu’elles soient vécues de manière ouverte et non fermées. Il est compréhensible que des citoyens européens s’inquiètent des excès des croyants fermés, mais l’amalgame et la politique des boucs émissaires sont inadmissibles. Il est légitime que les croyants puissent exercer démocratiquement leur mode de vie et leur foi dans des conditions dignes. Certes, des paroles d’apaisement des officiels sont entendues comme «une République laïque qui doit protéger l’ensemble des cultes» et doit «condamner à la fois l’islamophobie et l’islamisme radical». Cependant, le musulman est un bouc émissaire, otage de calculs qui exploitent l’air du temps pour faire diversion. Les êtres justes, doivent faire barrage à l’intolérance et au repli identitaire.

Trop d’inégalités


Le refus du droit à la différence et l’injustice sont les facteurs qui menacent la liberté des citoyens et des peuples. Il y a trop d’inégalités. Dans les zones urbaines défavorisées en Europe, près de 40% des hommes jeunes sont au chômage, soit le triple de la moyenne nationale. L’injustice est flagrante, l’inconscient collectif les a relégués dans ses zones d’ombre inquiétantes. Il y a en Europe des millions de citoyens de confession musulmane qui y sont nés.
Leurs grands-parents ayant émigré depuis plus d’un demi-siècle, pour répondre aux besoins économiques et démographiques de la terre d’accueil, ont contribué au développement, vivent avec des salaires de misère, accablés par un climat xénophobe et des lois répressives qui marginalisent et enferment dans des zones de non-droit. Ce sont eux que des discours haineux visent comme n’étant pas vraiment européens. Cette posture politique de la diversion est immonde, elle contredit les principes des Lumières.


Travaillons au contraire au vivre-ensemble. Alors que des courants xénophobes et conservateurs prônent la poursuite de la logique honteuse de la discrimination et de la guerre coloniale sous des formes nouvelles, l’Europe peut être un phare et existerait vraiment au niveau mondial si elle pouvait prouver qu’elle est capable à la fois de bâtir des sociétés où l’interculturel et le droit à la différence sont respectés et qu’elle peut construire un rapport juste et civilisé entre l’Occident et le Monde musulman. Rien ne semble présager de ce sage chemin. Notre travail est d’expliquer à tous qu’il n’y a pas d’alternative au vivre-ensemble. Informer de façon simple et concrète, en s’en tenant aux faits, les opinions publiques comprendront et feront pression pour rouvrir l’horizon.

Mustapha CHERIF

Le voyageur Nocturne

Le voyageur Nocturne

Par Mustapha Cherif

Ce 9 juillet 2010 correspondait au 27 éme jour du mois de Rajeb 1431. Avant l’Hégire, l’Emigration vers Médine, un événement unique dans l’histoire de l’humanité a eu lieu. Le Prophète de l’islam vécut une expérience que personne d’autre avant lui et après lui n’a put ni ne peut connaître : El Isrâ et Miraj, le voyage miraculeux, nocturne de la Mecque à Jérusalem et l’ascension céleste du Dôme du rocher à l’au-delà. Ce récit spirituel est relaté par le Coran et la tradition prophétique. Durant ce voyage céleste furent prescrites comme don les cinq prières canoniques avec comme valeur cinquante prières.

L’idée de s’inscrire dans l’accueil du monde, de voyage vers l’infini et la capacité de l’être humain à s’approcher de la vérité sont centrales dans ce paradigme. Cette histoire fantastique, privilège incomparable octroyé au Sceau des prophètes, a influencé des auteurs majeurs du monde entier. Les rigoristes et autres extrémistes qui instrumentalisent la religion occultent pourtant ce récit d’un fait surnaturel avéré, tout comme ils réduisent l’importance de la célébration du Mouloud Enabaoui, la naissance du Prophète, événements historiques qui permettent pourtant de se souvenir d’un model excellent pour apprendre à vivre.

Aujourd’hui le recul de la connaissance au sujet des phénomènes coraniques et de la civilisation islamique est préoccupant. En Orient les discours sont souvent superficiels et fermés. En Occident, les grands islamologues ont disparu et les discours dominants ne sont pas favorables au savoir approfondi sur le Coran et l’islam. Pour cette raison et compte tenu des enjeux un de mes prochains ouvrages s’intitulera Lire le Coran aujourd’hui. Parmi mes préoccupations reste le fait de découvrir des essais modernes sur ce sujet, de ce même oued. Parmi la nouvelle génération de chercheurs qui se rattache aux études en islamologie, à partir des sciences humaines et sociales, comme la philosophie et la psychanalyse, un auteur mérite d’être signalé.

Jean Michel Hirt psychanalyste et professeur d’université, spécialiste de psychologie clinique interculturelle, qui a publié plusieurs essais sur le religieux dans la vie psychique vient de nous gratifier d’un ouvrage brillant avec comme toile de fond El Isrâ et Miraj, intitulé  « Le voyageur nocturne », avec un sous titre explicite : « Lire à l’infini le Coran ». Ce livre, publié aux éditions Bayard, ce veut une réactivation de la possibilité d’interpréter à titre personnel, une navigation à travers l’océan inépuisable du Coran.

Hirt renoue, avec finesse, avec la tradition de ces maitres que furent Henri Corbin, Louis Massignon et Jacques Berque. Il aborde la lecture du Coran avec le recul du chercheur soucieux d’objectivité scientifique et en même temps avec le respect que suscite le Livre sacrée. D’emblée il reconnaît que le Coran est trop peu connu alors qu’il énonce un discours passionnant sur les prophètes depuis Adam jusqu’à Mohammed. L’auteur invite le lecteur à un voyage spirituel inédit pour contribuer à tenter de comprendre l’horizon de l’islam et découvrir les enjeux prophétiques proclamés par le Coran. Il déconstruit et réfute les calomnies que l’Occident a longtemps forgé contre le Prophète. Hirt saisit que le Prophète est conscient de sa mission d’Envoyé, réceptacle du Message et qu’il éprouve que la source de la parole révélée ne s’origine pas en lui, comme celle des poètes, mais en « Dieu ». Hirt résume en outre une idée clef : « Tel un océan qui englobe îles et continents, le Coran rassemble en lui les appels et les paroles délivrées aux hommes par les innombrables prophètes… »

C’est à l’universel, à l’interprétation à l’infini et au discernement que l’auteur de cet essai appelle. Il cite avec précisions les versets du Coran qui illustrent les questions du rapport entre le fini et l’Infini, entre le Prophète cette lampe précieuse qui diffuse la lumière et la source de la lumière : L’Absolu. Hirt explique avec justesse qu’un des enjeux décisifs du Coran consiste dans une affirmation : personne ne peut voir le divin, que par le sens lisible contenu dans le livre révélé. Il affirme avec force que lire le Coran avec les yeux de notre temps c’est accéder aux promesses qu’il contient et ouvrir son cœur et sa raison sur l’étendue de l’héritage confié à l’être humain, l’empreinte divine confiée à l’espèce humaine, et faire face au défi du conflit entre la lumière et les ténèbres.

La lecture personnelle d’Hirt est une sorte de parallaxe par rapport aux postures habituelles. Parallaxe est l’incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet. C’est l’impact de changement de position de l’observateur sur un objet observé. Hirt comme les chercheurs qui respectent leur champ d’observation contribue à changer le regard occidental au sujet d’un texte religieux de surcroit méconnu. Comme Hirt me le disait, lors de notre première rencontre, il s’étonne que comme cette terre aride qui ne veut pas de la pluie, l’Occident refuse de découvrir le Coran. D’un autre coté la Rive Sud tarde à renouer avec les belles traditions de l’ijtihad. Le Maghreb en général et l’Algérie en particulier terre de la communauté médiane et riche de son histoire de la dignité et de l’hospitalité peut y contribuer.

Hirt avec la patience du voyageur qui traverse les océans et les déserts, en prenant comme personnage de son essai original la figure d’Ismaël, fait partager sa lecture du Coran, et les significations possibles qu’il en tire, sans jamais prétendre à l’exclusivité de la vérité, mais avec humilité et hardiesse arrive à sortir des lectures idéologiques et orientalistes fermés. Cet effort mérite d’être salué. Il se démarque nettement à la fois des discours islamophobes, qui dénigrent, prétendent désacraliser et mettent sur le dos des mythes et des fictions le texte religieux, et des discours apologétiques intégristes qui n’arrivent pas à faire jaillir le sens profond et confisquent le texte pour leur propres fins.

Il s’agit aujourd’hui d’œuvrer pour que l’obscurantisme d’un coté et l’islamophobie de l’autre reculent. Un seul chemin : la capacité des êtres humains à retrouver du sens qui ne soit pas un trop-plein en prétendant combler le vide et de vivre de manière ouverte et non fermée afin de préserver et de réactiver de la civilisation. La culture supposée de la désacralisation et de l’humanisme est dans une impasse. Le livre d’Hirt nous invite au voyage de l’interprétation pour lever les voiles de l’Altérité. D’autant que le retour de la religion est marqué non pas par des semences du renouveau et de l’inventivité mais des formes rétrogrades, qui n’effacent pas l’image d’un système opposé à la liberté. L’époque en crise devrait amener les uns et les autres à de la vigilance. C’est lorsqu’une forme de vie a perdu sa jeunesse et sa vivacité, voire agonise, que l’acte de penser et l’acte de foi doivent resserrer leur lien.

Hirt est convaincant lorsqu’il constate avec lucidité que le Coran est un livre ouvert qui invite chaque lecteur à se retrouver en chaque prophète. Il se confie en précisant même: «  combien de fois ai-je eu en le lisant (le Coran) la sensation d’être éclairé par le texte, d’être rendu lumineux par l’éclairage qu’il dispense… ». Malgré en Occident, l’air du temps consumériste et le refus de connaître l’altérité des musulmans, dont le socle est le Coran, qu’eux mêmes peuvent perdre de vue, avec ce type d’essai ont peut dire que sous des angles nouveaux les études en islamologie devenues si rares en rive Nord peuvent revivre.

Ce livre « Le voyageur nocturne » est un pont. Il incite à ne pas s’abandonner à la lassitude et à l’indifférence. Il est possible de partager, de comprendre et intérioriser des significations profondes, à se mettre à l’écoute de Voix irremplaçables et d’engager des luttes à contrecourant de l’air du temps, à partir d’un regard neuf et de solidarités transfrontalières. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer l’ignorance et la sécheresse de notre temps, mais de faire l’effort de « Lire », de changer un mode de représentation ancré dans la subjectivité collective au sujet de la source de vie de l’autre différent.

MC

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La reconnaissance d’autrui

La résistance au nazisme et les musulmans d’Europe
Par Mustapha Cherif*

L’appel du 18 juin est un symbole de la France des valeurs d’honneur face à la barbarie. Son auteur, non sans paradoxe, allait comprendre plus tard l’inéluctabilité de la libération des peuples colonisés qui se battaient pour leurs droits. La résistance à l’oppression, les citoyens français de confession musulmane, qui n’ont rien à prouver, savent que c’est cette France qu’ils préfèrent et que le pays des Lumières et des droits de l’homme est une chance réciproque. Notamment au vu de pans de son Histoire, dont la Révolution de 1789, un acquis pour le monde entier. Voltaire, Diderot, Rousseau et tant d’autres figures universelles de la raison qui défendent le droit à la liberté et à la différence sont des maîtres à penser pour tous, tout comme Averroès, Avicenne et Al Farabi.

Terre d’accueil, le pays de Lamartine et de Victor Hugo qui ont écrit de beaux poèmes au sujet du Prophète, est plurielle. Une partie de ses citoyens qui se crispent aujourd’hui face aux musulmans devrait se souvenir que l’esprit du 18 juin, comme celui des Lumières et de la Déclaration des droits de l’homme, ont renforcé le sens des citoyens de confession musulmane à la liberté de conscience et au droit à la critique, afin que le conservatisme et la xénophobie ne l’emportent pas sur l’humanisme et la reconnaissance d’autrui. Ceux-là acceptent les critiques au sujet de comportements fermés et rigoristes des croyants. Ils comprennent que ce n’est pas islamophobe que de s’interroger sur des comportements problématiques.

Les sacrifices des aînés dans les champs de bataille
Ce sont les valeurs d’écoute, de respect mutuel et de dialogue qu’il faut privilégier. Les valeurs universelles de tolérance doivent etre réactiver autour de la Méditérranée . Les citoyens de confession musulmane ne désespèrent pas et savent que l’immense majorité des Français reste attachée aux valeurs de la République, celles de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce que les citoyens musulmans refusent, ce sont les discriminations, les amalgames et la stigmatisation qui se multiplient. Ils gardent en mémoire les sacrifices de leurs aînés dans les champs de bataille. Vivre ensemble est non pas une nouvelle idéologie, mais un concept des Lumières et des valeurs abrahamiques. Personne ne doit perdre patience et chacun doit avoir le courage de garder confiance en l’autre. Tous les jours la preuve est faite que le partage, les similitudes et les convergences sont plus importants que les différences.

Durant la Seconde Guerre mondiale, des centaines de milliers de musulmans ont combattu le nazisme et beaucoup sont morts, les cimetières et carrés musulmans en France en témoignent. La Grande Mosquée de Paris était un lieu de résistance à l’occupation nazie et d’hébergement pour les juifs. En rive sud, les sociétés musulmanes ont protégé des familles juives. Les leaders des pays du Maghreb ont ouvert la voie de la justice à la population maghrébine pour sauver les juifs. Le roi Mohammed V avait protégé les juifs marocains ; les oulémas, comme Ibn Badis en Algérie, demandèrent aux musulmans de protéger les juifs algériens et leurs biens. En Europe, les citoyens de confession musulmane savent que l’amitié judéo-arabe et islamo-chrétienne est un horizon sage, qui a fait ses preuves durant des siècles. Ils ne confondent pas sionistes extrémistes et judaïsme, intégristes chrétiens et christianisme, intégristes laïcistes dogmatiques et humanisme.

Ils ne veulent pas d’une importation du conflit israélo-palestinien. Ce sont ceux qui pratiquent la politique des deux poids et deux mesures et tolèrent ou pire favorisent l’islamophobie qui l’importent. Les citoyens musulmans soutiennent objectivement la cause palestinienne et savent que, dans l’intérêt général, il faut œuvrer pour la fin de la colonisation en Palestine. Sans faire d’amalgame, sachant qu’il n’y a pas d’alternative au vivre-ensemble, sachant que de nombreux juifs dénoncent également les injustices subies par les Palestiniens et sachant enfin que les Juifs d’Europe ne sont pas des Israéliens occupants, pas plus que les musulmans d’Europe ne sont des Palestiniens poussés au désespoir. Les citoyens de confession musulmane s’opposent aux démagogues qui donnent à cette cause une lecture ethnico-religieuse, alors qu’il s’agit là d’un problème politique.

La France moderne a deux visages que l’on pourrait schématiser ainsi : Jaurès et Maurras, la France ouverte sur le monde et la France frileuse qui fige son identité et choisit la répression. Le maréchal Philippe Pétain s’est enfermé dans l’alliance avec l’Allemagne nazie au nom des « valeurs françaises » et la répression en rive sud a redoublé de férocité, juste après la Libération. Pourtant l’appel du 18 juin n’était pas seulement contre l’Allemagne, l’ennemi « héréditaire » hier de la France, mais était pour la liberté.

Où est la vraie France ? Les citoyens de confession musulmane croient à celle de la liberté, en sachant que celle de la xénophobie est minoritaire, mais portée par l’extrême droite qui déborde de ses champs et intoxique la société. La figure du musulman bouc émissaire a remplacé celle du juif. Les citoyens de confession musulmane sont choqués de tant d’accusations et de préjugés, ce qui, légitimement, doit les amener à dénoncer le moindre incident islamophobe. De plus, ils ont le droit d’exprimer aussi leur fidélité à d’autres appartenances. L’un n’empêche pas l’autre.

La lutte contre l’Allemagne nazie n’était pas une tradition nationale, mais était contre le nazisme, le racisme et l’antisémitisme. L’islamophobie d’aujourd’hui s’inscrit dans une double dérive, celle de l’opposition fabriquée entre le monde chrétien et le monde musulman qui remonte au Moyen Âge, et que l’on peut lire à travers des écrits antisémites et islamophobes, et celle de la xénophobie française qui s’est développée au XXe siècle. Cette dernière dérive s’est renforcée lorsque l’immigration est venue des colonies, comme le montre l’usage inadéquat de l’expression « seconde et troisième génération » encore usitée pour parler des citoyens de confession musulmane devenus français depuis déjà si longtemps.

S’unir contre le retour sous de nouvelles formes de la « bête immonde »

Depuis la chute du Mur de Berlin et que la crise mondiale morale et économique s’est enclenchée, certains s’inventent un nouvel ennemi pour faire diversion. On peut considérer que cette nouvelle dérive réunit, d’une part, le courant chauvin, soucieux de fermer ce qu’ils suppose être l’ethnie française, et, d’autre part, un courant laïciste extrémiste et dogmatique, qui voit dans tout musulman un barbare.

Commémorer le 18 juin 1940 mérite de rappeler la communauté de destin et le fait que les citoyens ont pour tâche de s’unir contre le retour sous de nouvelles formes de la « bête immonde », des atteintes à la dignité humaine et de la xénophobie. Se souvenir que, durant la nuit coloniale, au cours du XXe siècle, en 1914-1918 et en 1940-1945, des musulmans sont morts pour la France et pour la liberté aux côtés d’autres résistants. Ce sont des repères et des liens historiques exceptionnellement forts à méditer. Se souvenir c’est contribuer à la reconnaissance d’autrui et à la paix dans le monde.

* Mustapha Cherif

20 ANS APRÈS BERLIN, OBAMA UN AN APRÈS

 

 

20 ANS APRÈS BERLIN, UN AN APRÈS OBAMA

12 Novembre 2009

La chute du mur de Berlin en 1989 a fait rêver le monde entier autour de l’idée de rupture, de monde nouveau et de démocratie. Depuis la fin du XXe siècle, les progrès scientifiques, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont fait croire que les frontières vont s’estomper pour laisser place à un village planétaire égalitaire. L’élection du président américain, Barack Obama, a cristallisé des espoirs dans le monde entier pour faire reculer l’unilatéralisme et la violence. Malgré «la libération» de peuples de l’Europe de l’Est et ces trois symboles du changement, il n’y a pas eu de rupture qui instaure un nouvel ordre international juste, aucune avancée du droit. L’opinion publique espérait des changements qui ne se sont pas produits et Obama semble plier face aux lobbys. Cependant il faut continuer à garder espoir qu’il réalise la justice et le droit. Des analystes affirment que le monde est actuellement en recomposition, alors qu’il se ferme. L’émergence de nouveaux pôles de puissance est relative et ne signifie pas la fin du monopole du monde occidental et des Etats-Unis.

Le monde n’est pas multipolaire. Il n’est pas en voie de multipolarisation, malgré les fissures, le passage du G8 au G20, le projet d’élargissement du Conseil de sécurité et l’internationalisation de nombre de processus. Malgré la puissance de la Chine, il est faux d’affirmer que la situation actuelle reflète un transfert du pouvoir de l’Occident vers l’Orient, de l’Europe et de l’Amérique vers l’Asie et que dans les vingt ans à venir, sera mis fin à quatre siècles d’eurocentrisme. C’est au contraire le monde qui s’occidentalise. En conséquence, la déception et des dysfonctionnements des comportements collectifs vont s’accélérer. Même si personne ne regrette le passé et que les observateurs avertis ne se faisaient pas d’illusions, sachant que le rapport de force n’évolue que sur la base de positions et actes concrets, la déception est réelle mais l’espoir persiste. Malgré des opportunités, comment nier que la direction à toute vitesse que prend le monde n’est pas la bonne? L’arrogance et l’injustice continuent à dominer, sous des formes subtiles. Même du temps de la colonisation au visage si hideux et ensuite de la guerre froide, l’horizon mondial n’a pas été autant porteur d’incertitudes. La volonté d’hégémonie, le double langage et la loi du plus fort, malgré le style «soft», vont radicaliser les opinions, rendre sourds les damnés de la terre et avoir des conséquences incalculables.

Le monde s’occidentalise

Même si les relations internationales ne reposent pas seulement sur le conflit israélo-palestinien et le traitement des musulmans comme nouvel ennemi, ces deux questions sont devenues majeures. Elles illustrent les impasses dans lesquelles se trouve la communauté internationale. Elles concernent la position des USA au sujet de la cause palestinienne. Malgré le soutien que lui ont apporté les États-Unis et les pays de l’UE, Israël n’a pu éviter que le rapport de la commission présidée par le juge sud-africain, Richard Goldstone, un juif, soit adopté par 144 pays de l’Assemblée générale de l’ONU. La résolution n’est pas contraignante, mais augmente la pression. Ce que les USA négligent, réside dans le fait qu’a ce compte-là c’est la dimension morale du rapport qui sera gravée dans la conscience du monde.

Ainsi, la position de la première puissance au sujet du rapport onusien «Goldstone» sur la situation des droits de l’Homme en Palestine et les récentes déclarations de la secrétaire d’Etat, Clinton, au sujet de la colonisation israélienne, montrent que la politique extérieure américaine n’a pas changé, dénoncée par la majorité des pays du monde. A quoi sert de dénoncer l’extrémisme, les atteintes aux droits de l’homme et les crimes de guerre aux quatre coins de la planète si ces principes sont bafoués dès qu’il s’agit d’Israël? Résultats: la crédibilité des USA est revenue à son niveau le plus bas, les extrémistes sont dopés et la logique du vivre-ensemble, à laquelle tant de peuples sont attachés, risque de s’effondrer. Aucun forum, pression, matraquage médiatique ou déclaration diplomatique de circonstance n’y changeront rien. Comment peut-on encore demander de parler de dialogue des civilisations, de rejet de la violence et de processus de paix? Aux yeux des peuples concernés, ces mots d’ordre servent comme arme entre les mains des puissants pour dominer et réfuter toute forme de résistance. Même le président palestinien Mahmoud Abbas, l’hyper-modéré est désespéré face à la position américaine. La mise en cause du système de domination, des forces qui le commandent, va passer par un regain de légitimité de la violence. Le monde entier se retrouve fragilisé.

Au début, le président Obama a inquiété des Israéliens lorsqu’il affirmait vouloir mettre fin à l’occupation israélienne conformément au droit international et des résolutions de l’ONU. Puis l’Administration Obama provisoirement a cédé devant le refus israélien du gel des colonies. Le refus pathologique d’Israël de tout processus de paix équitable est suicidaire. Flatter l’extrémisme en Israël est porteur de menaces. Les gouvernements occidentaux pratiquent la partialité, à n’importe quel prix, au lieu de la justice. Le courage politique serait de tenir un langage de vérité. Israël sera en sécurité le jour où il cessera la colonisation et ses visées dominatrices sur ses voisins. La paix est à ce prix. Cependant, les USA et les Européens ne le disent pas et l’exigent encore moins.
Il est clair que les Etats-Unis contrediront leur prétention à diriger le monde sur la base de l’équité s’ils ne reglent pas laquestion palestinienne. En une année, la formule «Obama» pour y mettre la forme est critiquée. Il faut aider Obama. Aujourd’hui, il faut un minimum de consensus international et de droit pour asseoir une hégémonie. Les aspects décisifs en sont la crédibilité, la suprématie économique et culturelle du modèle.

Pour un milliard et demi de citoyens de confession musulmane dans le monde et autant ou plus de toutes les cultures et religions, attachés à la justice, la première puissance, qui n’a pas d’équivalent, cherche à accélérer la mise en oeuvre de sa stratégie d’hégémonie totale. Cependant, les moyens, les images et les messages qu’elle véhicule sont contradictoires. Les peuples ne sont pas dupes. Nous avons besoin d’une superpuissance capable de raison et non d’arbitraire. Le devenir commun est en jeu.
Les Etats-Unis, dont tout le monde a besoin, ne semblent pas aptes à transformer leur supériorité en guide pour la communauté internationale, leur force en justice et leur puissance en morale. Les influences idéologiques néfastes, les calculs étroits et les alliances contre nature l’emportent sur la sagesse et l’intérêt général. Le monde musulman et d’autres peuples attachés à leur «indépendance» et au droit international, par souci de vérité, à l’égard des Etats-Unis et de l’Occident, doivent rester capables de critique et de vigilance. Ce qui implique le refus de s’aligner, mais aussi l’acceptation du débat. Les USA risquent de ruiner les belles valeurs qu’ils représentent, à leur tête, celle de la liberté, en humiliant l’oppressé, le colonisé et l’occupé, prenant sans cesse fait et cause pour Israël, un régime ethnico-religieux, qui subordonne la nationalité à l’appartenance à une idéologie et une religion, en l’occurrence le sionisme et le judaïsme instrumentalisés. L’attitude de certains chefs d’Etat européens face au gouvernement israélien actuel extrémiste est choquante. C’est un soutien aveugle et subjectif qui ne correspond à aucun intérêt de ces pays.

La confiance dilapidée

Dans des pays occidentaux, l’ostracisme frappe souvent toute personne qui critique la politique de l’Etat d’Israël. Outre-Atlantique, des centres de propagande, dans le cadre d’une stratégie, ne renoncent pas à imposer à l’opinion une adhésion aux théories du «choc des civilisations» et au ralliement à cette idéologie belliqueuse. Ils programment un siècle de terreur pour un «Grand Moyen-Orient» soumis à leurs desseins. Ils manipulent les réactions insupportables de groupes minoritaires, pour accréditer les amalgames qui désignent comme «terroriste» tous ceux qui se défendent contre les agressions et occupations. Pour quelles raisons l’aveuglement et l’iniquité se poursuivent, alors que les Arabes proposent une normalisation avec Israël en échange des territoires occupés en 1967 et que la familiarité et les liens ancestraux entre Juifs et Arabes sont une profonde réalité?
Les anciens présidents américains et les membres du Congrès américain qui dépendent des contributions financières à leurs campagnes électorales, acceptaient sans raison apparente valable, cette pathologie qui ne pourrait être guérie qu’en la défiant. Un président américain faisant preuve de courage politique peut guérir la pathologie sioniste, au risque de s’exposer aux critiques du lobby pro-israélien américain qui soutient aveuglement les politiques du gouvernement israélien – y compris lorsqu’elles offensent le droit, la raison et la morale et portent préjudice aux intérêts américains.
Si le président Obama veut impulser le rôle mondial des USA et tenir sa promesse d’obtenir une solution à deux Etats, assurer la survie d’Israël et protéger les intérêts vitaux des Etats-Unis, il devra mécontenter les sionistes. S’il y parvient, il obtiendra une reconnaissance historique. Il est celui qui peut changer la face du monde si chacun l’aide notamment en dénonçant les injustices et les réactions aveugles.

La première cause idéologico-théologique du refus de justice prétend que les juifs ont droit à un État hors norme, au-dessus des lois, parce qu’ils ne forment pas un peuple comme les autres, mais une communauté divinement élue. Qui peut accepter cette interprétation, y compris pour ceux, qui, avec objectivité, connaissent l’histoire du Salut et avec sagesse donnent priorité à la fraternité abrahamique? La seconde cause est politico-psychologique, liée au sentiment de culpabilité des Occidentaux, du fait que les juifs ont fait l’objet d’une persécution innommable et d’un déni incomparable de leur droit à l’existence. Troisième cause, inavouée, est l’influence des lobbys sionistes liés aux centres de décision qui monopolisent les pouvoirs, qui, pour faire diversion aux impasses de notre temps, alimentent l’idée d’un nouvel ennemi, pratiquant à outrance l’amalgame entre «musulman» et «islamiste». Compte tenu de l’état du monde musulman, de ses archaïsmes, ses divisions et les réactions aveugles, il est facile pour les tenants du «choc» d’imposer cette propagande. De plus, les musulmans d’aujourd’hui ne savent pas communiquer.

L’antisémitisme

L’Américain moyen ne comprend pas nos messages et arguments. Il répond: Qu’y a t-il de nouveau? «What is new, tell me someting I don’t know?», Considérant que l’on ressasse une langue de bois. Alors que la crise du monde arabo-musulman n’a rien à voir avec la culture arabe et la spiritualité musulmane, c’est un fait que le caractère despotique et non crédible de régimes arabes et islamiques est exploité dans le cadre du problème israélo-arabe. Dans ce contexte, la question du contrôle des sources d’énergie, que le monde arabo-musulman, détient est un facteur déterminant.
Ce qui est paradoxal dans ces trois «arguments» réside dans le fait qu’ils entérinent a posteriori l’antisémitisme. Pour le premier prétexte, c’est l’argumentation antisémite la plus caricaturale: les juifs se considéreraient différents de tous les autres, voire supérieurs, se posant comme nantis d’un droit politico-religieux exclusif. Dans le second cas de figure, le fait de vouloir séparer les juifs des autres, rappelle la folie nazie qui avait conçu une telle solution barbare. Ressentir une responsabilité dans l’horreur nazie, est une chose, s’en décharger au détriment d’un autre peuple est une dérive. Il n’y a rien à résoudre dans le problème juif qui ne soit à poser en termes de démocratie, de droit et d’égalité.
Aucun problème politique ne doit avoir une spécificité par rapport à celui du droit et des valeurs universelles. Dans le troisième cas, pratiquer l’islamophobie comme épouvantail pour tenter d’asseoir l’hégémonie du libéralisme sauvage allié au sionisme, perpétue l’antisémitisme en direction des musulmans. Il n’y aura jamais de paix sans justice. L’Algérie qui a mené la plus prestigieuse lutte de Libération nationale du XXe siècle, qui a été une polarité mondiale et de par sa position géostratégique, peut être à l’avant-garde du dialogue.

(*)Philosophe et islamologue
www.mustapha-cherif.net

 

Ghaza face à la trahison

UN AN APRÈS

Ghaza face à la trahison


Par Mustapha Cherif

Jeudi 24 décembre 2009

Qui viole les conventions humanitaires en infligeant une «punition collective» à un peuple démuni? Israël. Qui opprime, colonise et bafoue le droit international? Israël. Qui refuse la paix et sabote tous les efforts diplomatiques? Israël. Qui résiste en permanence de manière pacifique et souffre le martyre? Le peuple palestinien.
Un an après l’agression meurtrière de Ghaza, les Palestiniens continuent à mourir à petit feu. Etouffés par l’enfermement criminel de la soldatesque sioniste entre les mains de l’extrême droite. Qui, parmi les puissances étrangères, porte assistance à peuple en danger? Personne. Qui, parmi les Arabes aide, soutient et tente de délivrer Ghaza des griffes de son bourreau? Personne.

Ghaza en ruine

Les voies de passage sont au contraire, fermées et filtrées. La situation est tellement tragique que 16 ONG du monde entier, un an après le début des massacres à huis clos, dénoncent la trahison de la communauté internationale. Ce groupe d’organisations humanitaires reproche, à juste titre, au monde entier d’avoir trahi la population de la bande de Ghaza en se montrant incapable de mettre fin au blocus israélien pour permettre l’entrée d’aide à la reconstruction. Ghaza est toujours en ruine. Ce qui se passe à Ghaza est un signe avant-coureur de ce qui attend les autres peuples demain, s’ils ne réagissent pas.
En effet, l’occupant israélien et ses complices asphyxient les Palestiniens. Ils n’ont autorisé en 2009 l’entrée dans le petit territoire palestinien que d’une quarantaine de chargements de matériaux de construction alors qu’il en faut des milliers pour reconstruire Ghaza, souligne le texte. «Les puissances mondiales ont (…) trahi les citoyens ordinaires de Ghaza», déclare Jeremy Hobbs, le directeur général d’Oxfam international…Ils ont serré des mains et fait des déclarations, mais n’ont réalisé que peu d’actions significatives pour tenter de modifier une politique désastreuse qui empêche la reconstruction, le rétablissement individuel et la reprise économique.

L’agression israélienne, en trois semaines, avait fait 1400 morts, la majorité des femmes et des enfants, et provoqué des dégâts immenses dans le territoire tenu par la résistance de Hamas, peuplé de 1,5 million de personnes. Ces Palestiniens vivent sans couverture médicale, sans eau et sans électricité la plupart du temps, de par les coupures opérées par les sionistes. Le chômage et la mortalité atteignent des records mondiaux.
Face à la gravité de la situation, les peuples arabes réagissent à peine, émotionnellement, et sont eux-mêmes paralysés de par les despotismes et les contradictions des systèmes internes. Personne n’appelle à la guerre, mais demandent l’arrêt de l’agression d’une population totalement démunie, soumise au blocus et à la féroce répression. Des régimes arabes, malgré leur histoire, sont paralysés par la crainte de voir une seule faction de la résistance, à l’idéologie contestée, profiter de la situation. Prisonniers de visions défaitistes, ils se retrouvent incapables d’une analyse historique qui permet de définir une stratégie.

La tragédie de Ghaza est celle de tous les pays arabes et les atteindra si l’inaction perdure. La priorité est à la mise en oeuvre de nouvelles alliances. L’arme de notre temps est avant tout informationnelle. Il s’agit de communiquer, de comprendre les enjeux, de soutenir la coexistence entre les peuples, la logique du mouvement de libération, et d’amener les adversaires à s’inscrire dans la négociation sur la base du droit et non point de la loi de la jungle. Au sein des Palestiniens, pour défendre leur intérêt fondamental, l’indépendance et la liberté, il y a une unité à fonder, une stratégie à concevoir et un coût à assumer.
La lutte de libération en Algérie a triomphé sur ces bases. La résistance palestinienne, durant la sauvage agression, malgré ses limites, a démontré qu’elle est capable de sacrifices.

Le monde arabe et musulman, durant des décennies, n’a pas su gérer cette question centrale. La proposition de paix, adoptée à l’unanimité des pays arabes depuis 2002, fondée sur la normalisation avec Israël, en échange des territoires occupés en 1967, est conséquente. Mais elle restera ignorée si des mesures concrètes ne sont pas prises. Des régimes arabes et ces dernières années des groupes manipulés, ignorants des réalités du monde, alimentent la peur et la propagande islamophobe, dans le contexte de la mondialisation de l’insécurité. De leur côté, les Israéliens et des Occidentaux ne veulent pas voir l’injustice immonde que subissent les Palestiniens. Il reste à tirer les leçons pour corriger les points d’aveuglement. Sans correction de l’autisme israélien et occidental, et sans correction des erreurs arabes par des actions constructives, contrecarrer la désinformation au sujet de la cause palestinienne restera une mission impossible, même si Ghaza est le symbole de l’impunité d’Israël.

La guerre perpétuelle s’annonce. La politique du deux poids, deux mesures, au détriment des Palestiniens, a pris des proportions inadmissibles. Elle est contraire aux intérêts des pays occidentaux. Cela ruine leur crédibilité, la sécurité de tous et l’idée d’un ordre mondial juste. L’Europe n’est pas quitte avec son passé. Des pouvoirs en Occident, traumatisés par le génocide des juifs d’Europe, ont encore mauvaise conscience. L’instrumentalisation de l’innommable, la Shoah, constitue le socle, du fait qu’Israël se place au-dessus de toute loi. Le sionisme mise sur le souvenir de la Shoah et la peur pour la mise au silence de toute critique à l’encontre de sa politique. L’Israélien gère l’immense catastrophe qu’a été pour lui la Shoah, par son exploitation pour se réfugier dans l’impunité. La répression du peuple palestinien est le résultat de calculs liés à l’ambition d’hégémonie. Pour obtenir l’aval de la communauté internationale en vue de coloniser, de réprimer, de dominer; la propagande stigmatise, alimente le «choc des civilisations», diabolise et inculque que tout musulman serait un extrémiste. Elle fait diversion, même si l’opinion n’est pas dupe et que des courants dénoncent le bellicisme et les crimes de guerre.
Comble de la partialité, les Occidentaux décident de désarmer le Palestinien, la victime, le colonisé, et lui demandent de reconnaître son bourreau. L’Occident dit assurer la sécurité au colonisateur et évite de garantir au colonisé sa libération.

Le cynisme a atteint un degré inégalé. Ghaza impose une question: comment Israël et les USA, et des pays européens consentants, peuvent-ils s’imaginer obtenir sécurité et paix en violant les règles de la guerre et en semant la mort et la haine? Ce n’est pas un simple aveuglement ou un racisme ordinaire. Israël et ses alliés considèrent que l’obstacle à l’hégémonie des USA et du libéralisme sauvage sur le monde, en premier lieu, est les peuples de culture musulmane. L’invention d’un nouvel ennemi a pour but, non pas de lutter contre le terrorisme, mais de faire diversion, d’empêcher que les questions des crises et des inégalités que vit l’humanité soient abordées.

Diviser pour régner, multiplier les colonies, rendre irréversible la domination, est la ligne d’Israël, qui ne semble pouvoir exister que dans le bellicisme. Politique systématique de morcellement des territoires occupés, d’apartheid. Ghaza coupée du monde. Israël et ses complices imposent un ordre totalitaire, de murs et de contraintes. C’est le refus de la réciprocité, base de la civilisation. Le tout est habillé par des stratagèmes et des faits accomplis, au lieu et place du droit international. S’allier, est un impératif. Personne ne peut, seul, faire face aux incertitudes. Dans ce contexte, dialoguer ce n’est point refuser la critique mais comporte des conséquences: droit à la dignité, à la démocratie pour tous.

La solution finale ?

La violence sioniste empêche de réinventer une nouvelle civilisation, qui fait défaut au monde. Ce qui se joue en Palestine est l’avenir du droit à la différence, du droit des peuples, même si certains de ceux qui résistent ont une version réactionnaire de la religion et de la politique. L’Occident ne doit pas se laisser bercer par les avancées significatives qu’il a réalisées, et encore moins influencer par les milieux acquis à la logique de l’exclusion. Il doit faire le bilan sur son histoire et s’interroger sur les risques qu’il fait courir à l’humanité, de par les inégalités qu’il impose. Le monde musulman, sur le plan externe, ne peut céder face aux agressions, et, au niveau interne, il doit s’interroger sur les dérives des extrémistes «politico-religieux» et l’absence de pratiques démocratiques. Cette double résistance sera salutaire si elle prend en compte ces enjeux. Ghaza est le trou noir qui appelle à la réflexion vigilante. C’est une forme de solution finale nazie que les sionistes veulent imposer. Tous les peuples sont concernés par ce qui se passe à Ghaza. Il est temps de se réveiller. L’Algérie, le pays de Novembre, à la lutte de libération la plus prestigieuse du XXe siècle, est à la fois la terre de la sagesse, de la dignité et de la culture de la résistance. Son parcours est une leçon que tous doivent méditer.

Mustapha Cherif, Philosophe
Intellectuels@yahoo.fr
www.mustapha-cherif.net

Les défis de la création culturelle

PAYS DU MAGHREB


Les défis de la création culturelle

Par Mustapha Cherif

Le Maghreb est confronté au défi de réaliser le binôme authenticité et progrès. Nulle société raisonnable ne peut accepter la régression des comportements. C’est une question culturelle. La culture est essentielle. Sans elle la société ne peut progresser, ni produire le beau, le juste et le vrai. La culture, qui n’est pas le folklore, a mille bienfaits. C’est l’air que respire l’humain civilisé. Préparer le futur est la responsabilité de tous, afin que les nouvelles générations soient compétentes et éduquées. C’est l’enjeu, afin de ne subir ni la sous-culture de l’hégémonie mondiale, ni les effets dévastateurs de l’inculture sur le plan interne. L’opinion publique considère que le thème du «dialogue des cultures et des civilisations» n’est pas assez opérant, comme coupé de la dure réalité. Cependant, tout un chacun sait aussi que dans un contexte de mondialisation, de crise et de loi du plus fort, qu’il n’y a pas d’alternative à la culture, au savoir et au débat, pour favoriser le développement équilibré, la coexistence et le rapprochement entre les peuples. Il faut donc multiplier les espaces et les programmes culturels et donner à tous le désir et la possibilité de se cultiver.

Remède contre l’obscurantisme


Un des premiers buts de la culture est d’être le meilleur remède contre l’obscurantisme. Des conditions favorables pour soutenir les créateurs et les rencontres culturelles sont vitales pour faire reculer les pratiques rétrogrades et essayer de faire avancer la réflexion sur des sujets culturels fondamentaux. Malgré les problèmes inhérents au développement, les intellectuels, les créateurs et les universitaires des pays du Maghreb devraient redoubler d’effort pour tenter de donner leur point de vue et de marquer leur sens de l’ouverture culturelle. Il s’agit de l’avenir civilisationnel et de la possibilité de forger des citoyens producteurs de valeurs.


En 2010, Tlemcen aura le privilège d’être la capitale de la culture islamique. C’est un événement majeur qui démontrera que le patrimoine de cette ville historique est vivant, tourné vers la conjugaison entre authenticité et modernité. En Algérie, après «l’année de la culture arabe en 2007» et le Festival panafricain de l’été 2009, qui sont les grandes manifestations culturelles de l’Afrique et du monde arabe, qui accompagnent un mouvement de renaissance culturelle, l’Algérie ne peut que continuer à pratiquer l’hospitalité, avec des manifestations culturelles de fond. Après les débats à l’occasion de la 14e Foire internationale du Livre d’Alger, notamment sur la responsabilité des écrivains au sujet de la diversité culturelle, et, tout le long de l’année, les colloques organisés dans les différentes enceintes algériennes, ces opportunités et espaces de discussions montrent que le Maghreb, pont entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident, prend conscience de la situation complexe et préoccupante et de la priorité à donner à la culture scientifique.
Deuxième but de la culture: elle fonde l’esprit scientifique et critique.

Sans cette dimension de l’exercice de la raison, point de développement. Ainsi, au Maghreb les manifestations culturelles et scientifiques méritent d’être menés de manière approfondie pour faire rayonner les comportements évolués. La solution réside dans la généralisation de l’acte culturel à l’école et dans le pays profond, la circulation de l’information et la synergie des efforts. Dans ce sens, lier science et éthique est essentiel. Dans le cadre de la célébration de la manifestation «Kairouan, capitale de la culture islamique», est organisé, les 20 et 21 novembre 2009 à Kairouan, un colloque scientifique international autour du thème «Ethique et sciences de la vie», prévu avec un programme qui comporte des exposés relatifs au rôle des comités d’éthique, et au rapport entre progrès et valeurs morales: «Sciences et spiritualité en contexte islamique». Les conférences mettront en exergue les incertitudes, avec des cas de bioéthiques, la question des sciences et de l’éthique aujourd’hui, et le regard critique sur ce sujet. Les pensées maghrébines contemporaines face au défi de la bioéthique, des sciences et éthiques, et des crises du comportement, doivent se renouveler pour contribuer à l’idéal commun.


La culture a pour troisième but de consolider le lien social et le vivre-ensemble, de limiter les égoïsmes et les comportements fermés. Passé, présent et avenir sont convoqués pour confronter des points de vue. La mémoire au pays de Novembre est un thème privilégié. L’université 20-Août 1955 de Skikda a accueilli les 25 et 26 octobre 2009, le quatrième Colloque international sur «l’image de l’Algérien dans le discours colonial». Près de 40 chercheurs et historiens des universités d’Algérie, du Maghreb et d’Europe ont pris part à cet événement scientifique avec la participation de l’Institut français des langues et civilisations orientales. Les communications ont traité du contexte socio-historique de la nuit coloniale, de l’apparition et de l’utilisation du concept raciste de «l’indigénat» dans le discours colonial, la législation coloniale: du code de l’indigénat à la loi sur les prétendues «vertus» de la colonisation, l’image de l’indigène dans les livres scolaires et l’anthropologie, base de la légitimation mensongère du fait colonial. Il s’agit par ce type de colloque, de corriger l’image de l’Algérien dans le discours colonial qui a pris faussement appui sur la science pour servir ses visées coloniales expansionnistes et génocidaires en qualifiant l’Algérien «d’indigène maghrébin». Ce colloque a eu également pour but, selon ses organisateurs, d’informer les générations montantes sur l’histoire de leur pays et d’encourager l’écriture de l’histoire.


A Oran les 2, 3 et 4 mars 2010, un colloque international sur le grand maître soufi cheikh el Akbar Ibn Arabi et son héritage dans l’histoire du soufisme, sera organisé à l’initiative de l’Institut supérieur de management Avicenne (Isma) sous le patronage du Haut Conseil islamique (HCI). Le soufisme, l’ihsan, est un antidote, un rempart et un ciment face aux déformations de la pratique spirituelle. Le colloque inclut des spécialistes du soufisme de renom, occidentaux et des pays musulmans. Le souci des organisateurs sera d’étudier comment la pensée universelle d’Ibn Arabi a influencé la culture soufie humaniste, en proposant une relecture des textes maghrébins. Le colloque sera l’occasion de faire connaître des grands soufis algériens, patriotes et savants. Ces travaux permettront de faire avancer l’édition critique du riche patrimoine soufi, pour mettre en valeur les apports authentiques.


Quatrième but, la culture forge un citoyen vigilant, conscient des enjeux mondiaux. Le citoyen inculte peut être influencé et manipulé. La culture le dote des moyens de discernement. Le dialogue des cultures dépend souvent de la manière dont les médias traitent de la question. Le Centre interdisciplinaire des études stratégiques et internationales et la Fondation Esprit de Fès organisent ces 15-16-17 novembre 2009 le Forum sur l’Alliance des civilisations et la diversité culturelle sous le thème: «Médias et communication: enjeux et défis du troisième Millénaire.» C’est un sujet au coeur de l’actualité. Depuis l’arrivée de Barack Obama, un espoir est apparu pour que le dialogue prenne la place de la logique insensée de la propagande du choc. Cependant, les humanistes et démocrates à travers le monde commencent à douter.

La politique des deux poids deux mesures, la situation tragique en Palestine, la montée de l’islamophobie dans le monde et les replis identitaires montrent que la partie, pour réaliser la coexistence, est loin d’être gagnée. De ce fait, il est urgent de compter sur soi, de se cultiver, de réfléchir sur les enjeux et la responsabilité de tous, à commencer par celles des médias, qui sont majeures, afin d’éviter que la méconnaissance, la violence et les fossés ne ruinent l’avenir.
Les rencontres culturelles présentent l’avantage de regrouper une riche palette de spécialistes, représentative du vaste intérêt manifesté à l’égard de la thématique abordée: des intellectuels de divers horizons, des professionnels de l’information à travers le monde, des hommes politiques, des chercheurs et des universitaires, des représentants de la société civile, des académiciens.
La diversité des parcours intellectuels et professionnels des participants témoigne de l’esprit de partage et de la richesse du pluralisme, malgré les problèmes inhérents à chaque société.

Respecter le droit à la différence


Cinquième but, la culture favorise le respect du droit à la différence. Sans ce point-clé, la violence sociale dominera. D’autant que se pose la question: «Les médias arabes et occidentaux, dans un climat général de crise, peuvent-ils développer la capacité de comprendre et respecter l’autre?» Le dialogue culturel à travers les médias peut créer une interaction, un échange instructif enrichissants qui ouvrent l’esprit et encouragent le partage des idées dans le respect d’autrui. L’information culturelle, à travers le livre, le cinéma, le théâtre, la musique, les arts plastiques et le patrimoine, est le moyen stratégique d’enrichir l’identité et d’explorer les différents processus et mécanismes par lesquels on prévoit les transformations pour les assumer. Percevoir et comprendre les différences, élargir la vision du monde, approfondir la connaissance de soi-même pour bâtir un monde civilisé est le but. Cependant, l’ignorance, les préjugés mutuels, les conditions du débat et la tentative d’hégémonie mondiale peuvent freiner ces possibilités. Les peuples attendent un nouvel ordre mondial juste. Des citoyens cultivés et les débats culturels y contribuent. Les hommes de culture, dans leur diversité et leurs contrastes, doivent persévérer pour assumer leur vocation si vitale, au service de leur patrie.

(*)
intellectuels@yahoo.fr