La responsabilité collective en matière de progrès.

La responsabilité collective en matière de progrès.

Par Mustapha Cherif

Y a-t-il une société civile?
 

      

Les citoyens sont épris de justice, ils n’idolâtrent aucune autre valeur.
A défaut de démocratie dans le monde arabe, ils réclament un Etat de droit et de la compétence.
L’absence d’espaces de rencontres, de débats et d’échanges transforme la société en un lieu mélancolique et en des expressions égoïstes. La crise des valeurs et la rupture des liens sociaux sont un phénomène mondial, mais plus encore dans un monde où les citoyens sont méprisés, ne s’organisent pas pour se faire entendre et ne sont sollicités que pour répondre aux besoins d’intérêts particuliers. On tente ici ou là , dans notre monde arabe, de faire croire qu’il existe une société civile conséquente, pour masquer le vide politique qui ruine les relations sociales.
La notion de société civile domine nombre de débats. Elle est, nous dit-on, la totalité des citoyens d’une commune, d’une région, d’une nation ou d’un ensemble, à  condition que ceux-ci agissent dans le cadre associatif.
Une telle association peut être considérée représentative si elle est constituée sur la base de la volonté et des propres intérêts des citoyens se déclarant moralement, formellement et juridiquement membres de l’association, autour d’un sujet ou de plusieurs domaines d’activités. La société civile regroupe selon la définition la plus usuelle, notamment les partenaires sociaux, organisations syndicales et patronales, les organisations non gouvernementales (ONG), les associations professionnelles, les organisations caritatives et de bienfaisance, les organisations de base, celles qui impliquent les citoyens dans la vie collective, avec une contribution spécifique des catégories sociales, comme les jeunes, les femmes et les communautés sociales, culturelles et religieuses.
 
S’organiser en associations est une question de survie
 Il y a dans cette conception dominante, le risque d’une certaine confusion entre la société comme ensemble des citoyens et des organisations censées représenter leur volonté, surtout quand certaines d’entre-elles prétendent incarner l’ensemble des travailleurs, ou citoyens et s’auto-attribuent, ainsi, une légitimité abusive de représentant de la société civile en général pour servir de relais à  des pouvoirs. Pour qu’une telle association/organisation soit une partie active et l’expression de la volonté de citoyens, il est nécessaire que les associations formant la société civile disposent d’une structure et d’une forme d’action intérieure tout à  fait démocratiques. Ces nécessités excluent, par conséquent, des organisations qui ont été constituées par l’état, l’économie ou des institutions. Une société civile qui est le prolongement des institutions publiques ou à  leur seul service n’est pas une société civile. Une association traduit une perception des questions de société, qui lui est spécifique, avec une certaine manière d’appréhender la globalité qui n’est pas nécessairement représentative de la vision officielle ou la société dans son ensemble. La société civile est une des notions les plus ambigu du débat actuel dans le monde moderne. Pour les uns, la société civile se définit par opposition au régime politique. La société civile étant l’ensemble des regroupements, famille, entreprise, association, où les individus poursuivent des intérêts communs sans interférence de I’Etat et des pouvoirs, mais en complément. Pour d’autres, la société civile ne serait pas le simple supplément ou envers de l’Etat mais au contraire le lieu où le privé et le public s’interpénètrent. Cependant, certains régimes acceptent l’existence de la société civile, à  condition quelle ne s’inscrit pas dans le cadre de la lutte pour le pouvoir. Cependant, le plus souvent elle est instrumentalisée pour « remplacer » les partis politiques ou faire illusion pour la vitrine démocratique. Elle est ainsi souvent invoquée et parée de multiples vertus – liberté, initiative, bénévolat et solidarité. Pourtant, sur le plan philosophique la société civile signifie la société politiquement organisée pour renforcer l’Etat, et lui rappeler ses droits et devoirs. Ni opposition gratuite et négative, ni applaudissement servile. Etrangement, les pouvoirs autoritaires cherchent à  valoriser le seul pouvoir politique, symbole de l’ordre, contre une société civile jugée autonome, pluraliste, ou incapable de résoudre ses conflits internes, alors que d’autres au contraire associent la société civile au thème de la liberté par opposition à  cet instrument de contrainte que constitue l’Etat. Les mots du vocabulaire politique, loin d’être les instruments neutres de la pensée, sont les armes du conflit politique. A la société civile étatique succède une société civile distincte de I’Etat. A trop parler de la société civile en des sens si divers et contradictoires et trop vouloir la manipuler ou la limiter, comme les organisations dites de masse du passé, on crédibilise ses actions et on finit par ne plus savoir de quoi on parle. Le fait de faire actionner des associations qui ne représentent qu’elles-mêmes pour des intérêts conjoncturels et étroits, on décrédibilise le civisme et l’action citoyenne. Pourtant, empêcher l’émergence de nouvelles générations de citoyens militants et d’élites, c’est affaiblir l’Etat lui même, car, demain, en cas de difficultés graves, qui seront les médiateurs? Il ne faut pas insulter l’intelligence des gens. Ils ne sont pas dupes. S’organiser en associations indépendantes crédibles est une question de survie. S’exiler n’est pas la solution. Il faut reprendre confiance en soi-même. Comment apprendre à  vivre ensemble, éduquer les nouvelles générations et bâtir un pays stable et civilisé? Sans l’action commune et citoyenne, et sans la formation de nouvelles élites, qui ne soient pas la simple reproduction du système, il n’y a pas d’avenir.
A commencer par l’action dans le quartier, le lieu de travail et d’études.
 L’irruption de la société civile s’explique par le déclin récent du militantisme et des idéologies. La valorisation de la société civile comme intérimaire en lieu et place de la société politique contribue à  la constitution d’un mythe politique. La politique fait peur, les régimes et systèmes cultivent l’idée que la politique est seulement liée à  un aspect négatif, la lutte pour le pouvoir. Alors que la politique c’est aussi rechercher la défense de la patrie, la justice et le développement, de manière publique et commune, par le débat et les actions d’intérêt général. La société civile évoque d’abord un ensemble de valeurs positives: l’autonomie, la responsabilité, la prise en charge par les individus eux-mêmes de leurs propres problèmes. Par sa dimension collective, la société civile doit échapper aux dangers de l’individualisme et des postures politiciennes et inciter à  la solidarité et à  l’amour de la patrie.
Par sa dimension civile, elle évoque l’émancipation de la tutelle étatique et non point son inféodation. Ces différentes valeurs invitent à  l’action collective en esquissant l’image d’une société future à  la fois plus responsable, solidaire et autonome. Symbole de la résistance aux abus de I’Etat, et non point à  l’Etat en tant que tel, le mythe de la société civile rassemble, transcendant les clivages et les positions partisanes. Mais existe-t-il une société civile dans le monde arabe?
 Des jeunes, des artistes, des amoureux de la nature, des femmes, des citoyens attachés au patrimoine, des intellectuels, des fonctionnaires, ou des artisans soucieux de défendre leur métier, des citoyens épris d’actes sociaux solidaires, d’autres défenseurs de la mémoire collective, activent et croient à  la mission de la société civile. L’espoir est permis de voir s’amplifier ce type d’activités.
Cependant, au vu des problèmes et de l’attentisme qui paralyse la société, il est clair que le nombre d’associations qui existent sur le papier, des milliers, ne peut faire croire que le civisme et la société civile se portent bien et répondent aux besoins des nouvelles générations. Pourtant, il n’y a pas d’alternative à  la mobilisation des citoyens afin qu’ils défendent leurs droits, sans tomber dans le travers de devenir des satellites d’appareil, des écoles de l’opportunisme, et des fonds de commerce.
Les citoyens sont épris de justice, ils n’idolâtrent aucune autre valeur. A défaut de démocratie dans le monde arabe, ils réclament un Etat de droit et de la compétence.
 
L’espoir est permis
 Ils sont choqués de constater que parfois des responsables politiques, qui ont monopolisé le pouvoir, sont incompétents et si peu intègres. Illégitimes, cela peut être pardonné ou expliqué, en fonction des circonstances, mais incompétents et malhonnêtes cela parait aux yeux des simples citoyens comme inadmissible. Ainsi, s’organiser pour constituer des contre-pouvoirs constructifs et positifs, par amour de la patrie, est vital pour faire émerger des responsables capables de répondre aux besoins de la société, en donnant l’exemple.
La société civile? Elle existe! Reste à  être attentif à  ses aspirations, à  ses gestes et ses messages. Quant à  ses membres, c’est-à -dire chacun des citoyens conscients, plus que jamais, ils doivent faire entendre leur voix de la sagesse, celle de la majorité silencieuse. Personne ne traduira à  leur place leurs visions, idées et revendications.
  

Mustapha Cherif  Professeur des Universités

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