La responsabilité de l’élite

PENSER L’AVENIR

La responsabilité de l’élite

Par Mustapha Cherif

Aid Mubarek. Le Ramadhan nous lie au sens spirituel de l’existence, temps privilégié du recul et de l’examen de conscience. Il prend fin ce jour. Il devrait contribuer à faire le bilan de nos actions individuelles et collectives. Que fait-on de bien pour la patrie et l’humanité, est la question qui ne doit pas quitter notre pensée. Alors que les atouts sont réels, la désorientation, l’incertitude et l’absence de perspectives dominent dans le Monde arabe. On subit la politique du deux poids, deux mesures, mais on ne peut pas seulement accuser les puissances étrangères et le désordre mondial. On dispose de pétrole, ressource périssable, mais surtout de capacités d’idées, richesse fondamentale pas assez majorée. 

Réflexions sur le futur


En rive sud de la Méditerranée, malgré à la fois l’hétérogénéité de la situation et l’existence d’une jeunesse assoiffée de savoir, de culture et d’analyses prospectives, les organismes qui réfléchissent sur les questions fondamentales ne sont pas légion. C’est pourtant l’avenir des nouvelles générations, le droit au développement, l’identité et la souveraineté du pays qui sont en jeu. La recherche, les études stratégiques, les groupes de réflexion sur le futur qui ont pour vocation d’analyser les enjeux stratégiques sont rares ou pas assez soutenus.
L’Université dans le Monde arabe recèle de plusieurs milliers de laboratoires de recherches, cependant le débat libre, la dimension pluridisciplinaire et prospective ne sont pas assez pratiqués.


Au sein de la société civile ou en relation avec des organismes publics, les nouvelles formes d’étude et d’échange, que l’on appelle think tank, pour favoriser l’économie de la connaissance et la société du savoir sont embryonnaires ou limiter aux actions documentaires. Alors qu’il s’agit d’intégrer la dimension du savoir et de l’innovation dans la promotion des idées et de la compétitivité de nos entreprises et potentialités nationales, pour sortir du sous-développement et de la dépendance.


Les espaces d’études et de réflexions sont complémentaires aux institutions et entreprises, en vue de produire des idées nouvelles et évaluer des situations précises. Des intellectuels, des universitaires, des chefs d’entreprise et experts créent des passerelles et proposent des évaluations, des méthodes et des programmes en vue de dynamiser la pensée politique, économique et sociale. Un think tank, signifie un réservoir de pensées.
Ses membres se vouent à la recherche d’idées nouvelles, pour aider les opérateurs publics et privés dans leurs actions.

Ils ont pour tâche de fournir des prévisions, synthèses et expertises relatives aux défis et enjeux pour le bien commun. Leur fonction se veut scientifique, consultative et d’influence. Leur caractéristique devrait être la pertinence des analyses et l’innovation.
A travers le monde, ils proposent des analyses, des suggestions et des études d’ordre stratégique, politique, économique, comme des cabinets de consultants, sur la base de ce que les Anglo-Saxons appellent le brainstorming. Parfois ils fonctionnent comme un club philosophique soucieux d’indépendance.


La plupart produisent des publications et des banques de données. Dans tous les cas, compte tenu de la complexité des problèmes de notre temps, du facteur d’incertitudes dans nombre de domaines et des risques auxquels sont confrontées les sociétés, encourager le débat, la réflexion et les études prospectives, ne peut que servir l’intérêt général. 

Priorité à l’éducation, la formation et la culture


Relever les défis à venir dépend du degré de priorité donné à l’éducation, à l’intelligence, aux ressources humaines, à la culture, aux idées innovantes. C’est le principal défi pour pouvoir former un citoyen autonome et conduire les modernisations dans le Monde arabe. Réformer c’est former et réfléchir en termes de spécificités humaines. La rive sud ne peut pas imiter aveuglément des formules d’autres régions. Les facteurs historiques, culturels et sociaux sont différents.
Certes, des paramètres universaux sont incontournables, mais on doit réfléchir en fonction de nos aspirations et valeurs. Il s’agit de favoriser l’émergence d’espaces de productions d’idées et de compétences en fonction de nos réalités et objectifs.


Une attente immense est perceptible chez les jeunes assoiffés de formation, de savoir, de loisirs et d’opportunités. Ils doutent de presque tout et sont mécontents. Ils considèrent qu’ils sont livrés à eux-mêmes et que les règles du jeu et les conditions de l’élévation dans la hiérarchie sociale ne sont pas claires. Ils souhaitent que l’horizon s’ouvre sur la base de l’action engagée des élites et de politiques de la bonne gouvernance.


Ils sont parfois désespérés face à l’arbitraire, à la bureaucratie, au mutisme, ou à la langue de bois. Les autorités, de leur côté, souhaitent que les élites et la société civile savante s’impliquent, que la jeunesse ne se fixe pas seulement sur les droits, mais aussi sur les devoirs. La responsabilité est collective pour rouvrir de nouvelles perspectives et équilibrer ces données.
Au sein de la société, des efforts sont perceptibles, des instituts, des centres d’études, de recherches, qui fonctionnent sur la base de volontés, mettent l’action sur la formation.
Des établissements universitaires produisent des travaux scientifiques sur les problèmes économiques et sociaux. D’autres tentent d’apporter leur soutien académique aux opérateurs et décideurs économiques en matière d’aide à la décision.


Des opérateurs économiques privés commencent à créer des think-tank indépendants. Leur souci est l’entreprise, l’économie, l’échange d’expériences et la synergie.
Des journaux créent des espaces de débats, de type forum, pour tenter de favoriser l’échange des idées sur les questions de l’heure. Des Etats arabes disposent de leur Institut d’Etudes et de Stratégie. Des Bureaux d’études privés locaux tentent de leur côté d’initier des actions de prévisions dans nombre de domaines.

Cependant, l’exploitation de ces acquis est faible, les échanges, la logique de réseaux et la synergie restent insuffisants. De plus, la faiblesse est abyssale en matière de stratégie de communication. L’image du Monde arabe et des musulmans est au plus bas de son histoire, malgré la prolifération de chaînes satellitaires arabes et de sites Internet. 

Communiquer et informer


Alors que la majorité des citoyens arabes rêvent de partage, de progrès et de vie paisible, sans perdre leur âme, à cause de pratiques minoritaires, archaïques, obscurantistes et fermées, manipulées et amplifiées, dans tous les médias de la planète, nous ne voyons que des images négatives et des messages fondés sur l’amalgame, la stigmatisation et la désinformation. Les think tank et les intellectuels ont une tâche immense pour changer la donne. Apprendre à communiquer relève de l’urgence.


Dans ce contexte, comment intégrer nos potentialités, libérer les énergies et les initiatives, relancer l’économie, défendre nos intérêts, faire reculer l’instabilité et l’insécurité, les incertitudes et les risques? Comment faire face à la crise économique mondiale, aux 30 millions de demandeurs d’emploi de jeunes Arabes qui arriveront sur le marché dans moins de 20 ans? Comment concrétiser le fameux principe de l’autosuffisance alimentaire? Comment penser un nouveau projet de société pour le futur afin d’articuler économie de marché et justice sociale, authenticité et progrès?


Comment informer et mobiliser les jeunes, se mettre à leur écoute, les aider à donner un sens à leur vie, produire des richesses, changer la réalité du terrain et de notre quotidien? Il s’agit en somme d’abord de révolutionner l’Ecole, de fortifier les intelligences qui existent bel et bien, à l’intérieur du pays et à l’extérieur, pour trouver le chemin du développement économique du progrès social et de l’épanouissement culturel.


On ne peut pas faire l’impasse sur la bonne gouvernance, la compétence, la participation des élites et des classes moyennes et des méthodes scientifiques appropriées qui sous-tendent tout management de la société, des ressources humaines et de l’entreprise. 

Le sens de la responsabilité


Réfléchir et débattre c’est ne pas abandonner le peuple et refuser la démission. En étant à l’écoute des jeunes et des anciens, le rôle de l’intellectuel est de contribuer à tenter de montrer la voie, de réfléchir et de faire réfléchir, de prévoir et de faire le lien entre la base et le sommet, entre le passé et l’avenir, entre les couches sociales, et entre l’unité et la pluralité des cultures. Ni dénigrement, ni apologie de soi et des autres, mais le sens de la responsabilité et la passion du savoir que l’Ecole doit prodiguer, sont les conditions pour la renaissance du Monde arabe.


Parfois, des expériences performantes, notamment sur le plan économique, sont enregistrées dans des pays musulmans, comme la Turquie et la Malaisie.
Reste à ne pas succomber à des formes dévastatrices du libéralisme sauvage. Il est clair que la marginalisation des compétences, les influences contradictoires, la logique du monopole et les attitudes égoïstes, produits de l’inculture, minent des sociétés arabes. Alors que ce que demande le peuple est une vision claire de l’avenir, l’égalité des chances et le critère du mérite. MC

 

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