LA XÉNOPHOBIE ET LE FANATISME

LA XÉNOPHOBIE ET LE FANATISME
La course vers l’abîme

Par Mustapha Cherif
 

 

De nouveau, Barack Obama, à l’occasion de sa visite en Indonésie, a réitéré son respect des musulmans. Plus personne ne croit les intentions. De simples paroles ne peuvent cacher la réalité. Les faits contredisent les intentions. La déception est immense face à cette rhétorique, qui semble un voeu pieux. L’Occident a un passé antisémite. Il a fallu une guerre, l’horreur de l’Holocauste pour que la banalisation de l’antisémitisme dans la société s’estompe nettement; aujourd’hui, c’est le musulman qui est dans l’oeil du cyclone. «L’Occident face à l’Islam», tous les jours une certaine presse occidentale met de l’huile sur le feu et les actes contre les lieux de culte musulmans et les discriminations se multiplient. Les citoyens sont choqués, lassés par l’alarmisme et la dichotomie inappropriée qui exacerbent les crispations. Nous sommes en colère contre les extrêmes de tous bords. La colère est saine, nous devons alerter l’opinion internationale, car le déferlement des discours de la haine sont en train de dépasser toutes les limites. Nous assistons à la mise en pratique du mot d’ordre funeste du choc des ignorances. Ceux qui se disent développés, civilisés et modernes ne savent pas garder raison, ils bafouent le droit à la différence et le respect d’autrui. Ils alimentent le fanatisme. Xénophobie d’un côté, fanatisme de l’autre peuvent transformer notre monde en enfer.

Riposter sagement
A ce jour, les citoyens, de toutes croyances ou non-croyances ne sont pas dupes et ne tombent pas dans le piège de la confrontation et des polémiques. Mais demain, la propagande xénophobe peut créer des désastres et entraîner le monde entier dans une guerre civile totale. Dans un monde en crise morale et économique, marquée par le désespoir, alors que la société a besoin d’apaisement, ce sont surtout des «élites» médiatiques qui s’agitent et donnent la parole aux extrémistes. Quand on prétend informer et contribuer à résoudre les problèmes, il est contradictoire de les poser de manière sciemment tronquée. L’air du temps délirant perturbe, mais il nous faut informer et riposter sagement afin que la vie suive son cours et que nul ne puisse empêcher les êtres humains de se rencontrer, de partager et de s’estimer.
Des médias occidentaux donnent la parole aux extrémistes du dénigrement qui redoublent de férocité. Qu’ils cherchent, à partir de l’Islam, comme de toute autre source, de se concocter une religion hybride, pour eux seuls, un «self Islam», conforme à la logique faustienne ou à leurs fantasmes, c’est leur affaire, libre à eux. Ce n’est ni les premiers, ni les derniers individus qui folklorisent et infantilisent la pratique de la foi. Certes, ils se prévalent de l’Islam, se présentent comme «intellectuels musulmans» et en même temps ils le dénigrent de manière schizophrénique. C’est un signe de dérèglement, ne leur donnons pas d’importance. Ces «nouveaux intellectuels», dits de culture musulmane, qui se flagellent, affirment que «l’Islam est foncièrement violent», que «Dieu» s’est définitivement retiré, que l’au-delà est une fiction et le Coran un texte sacralisé archaïquement, semblent souffrir. Les plus virulents adversaires de l’Islam ne parlent pas comme eux, avec une telle désinvolture et surtout un tel masochisme. C’est une faille incommensurable. On se demande s’il faut en rire ou pleurer, ou s’il faut leur porter un quelconque regard? Il faut les ignorer et que les croyants prient pour eux. De par leur position de dénigrement, ils sont sollicités par des médias occidentaux qui, n’en croyant pas leur chance, s’accrochent à eux, les définissent comme «courageux», en vue périodiquement de sortir l’antienne de l’Occident («civilisé») face à l’Islam («barbare»).
Ces médias cultivent la religiophobie, excluent tout autre interlocuteur que les «révoltés» contre leur communauté et n’ont plus d’arguments que la répétition de mensonges insidieux, adeptes de l’idée qu’en les répétant, il en restera toujours quelque chose. Surfant sur l’exaspération face à des comportements fondamentalistes marginaux mis sur le devant de la scène, ils gomment la frontière abyssale entre Islam et extrémisme, amplifient la culture de la peur et sponsorisent ceux qui renient leur «origine», sous prétexte de «moderniser» l’Islam.

Les extrêmes se nourrissent
Pour ces «intellectuels musulmans» extrêmes, mi-consciemment, mi-inconsciemment, c’est la spirale de la surenchère: qui dira le plus du mal de l’Islam et des musulmans? Par eux, les musulmans sont sommés de se nier, sinon ils sont diabolisés. De par leur aveuglement ces «intellectuels» décrédibilisent la logique, pourtant incontournable, de la critique, de l’interprétation et de la réforme. De plus, il ne s’agit pas pour nous de remettre en cause le droit de critiquer, la religion, y compris avec virulence et de manière infondée. Nul de sensé ne peut soustraire la religion à l’examen critique, mais vouloir stigmatiser, heurter, injurier gratuitement, de manière obsessionnelle et ouvertement discriminatoire, n’est pas digne d’une société démocratique.
L’immense majorité des croyants accepte la critique sans limite, prouve le mouvement en marchant, vit avec son temps, sait ce qu’elle croit et ce qu’elle veut et refuse le dénigrement outrancièrement offensant, la stigmatisation et l’amalgame. Elle refuse tous les extrêmes. Elle sait que les extrémistes, qui rejettent la critique, instrumentalisent la religion et s’enferment dans le repli, sont une infime minorité qui apporte de l’eau au moulin d’autres extrêmes: ceux qui dénigrent de manière pathologique et contribuent à l’invention d’un nouvel ennemi. Les dérives ne sont pas d’un seul bord, les extrêmes se nourrissent. L’immense majorité des croyants sait que les extrémistes, de tous bords, ne peuvent pas tromper tout le monde tout le temps. De plus, ce qui est si grand et si haut, en l’occurrence pour les croyants leurs références fondatrices, parle de lui même et ne peut être atteint. Par la hauteur de vue et le bel-agir, le besoin de partage et le vivre-ensemble l’emporteront. En Palestine, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, partout, le cortège de violences aveugles suit l’envahisseur et l’occupant.
Ignorance et arrogance s’entremêlent. Ces abcès métastasent le monde. Les puissants de ce monde semblent ne plus rien maitriser ni leur économie, ni leur appétit insatiable de puissances, ni l’avenir. Comme un train fou, sans pilote, le système dominant est devenu sauvage et cannibale. Au coeur de sa stratégie, la haine du musulman pour faire diversion.

Rétablir la confiance
L’islamophobie, comme hier l’antisémitisme, n’est pas une vue de l’esprit, mais une tragique réalité qui présage de lendemains néfastes. Nous devons appeler à la résistance pacifique, énergique et plurivoque.
Du dedans, il nous appartient de rétablir la confiance, en réformant nos sociétés, en condamnant fermement les violences aveugles, en affichant notre solidarité avec les croyants discriminés d’autres religions. Les citoyens européens de confession musulmane doivent adapter leurs pratiques culturelles et identitaires au contexte du pays où ils vivent, en se méfiant du repli sur soi et en se tenant à distance des intégrismes. Les non-musulmans doivent reconnaître le droit à la différence, pas seulement à peine tolérer l’autre, mais rechercher le vivre-ensemble, le dialogue et refuser les amalgames. Ils doivent se souvenir que le problème est éthique, moral, l’injustice étant le principal problème. Les décideurs politiques européens doivent se garder de positions électoralistes, d’exploiter les peurs et de stigmatiser les musulmans. La xénophobie, le sentiment antimusulman, la haine et l’agressivité qui sous-tendent la terreur des puissants, scient la branche sur laquelle les sociétés développées sont assises. Les voyous sont ceux qui ruinent le vivre-ensemble et mettent le feu partout, les politiciens et les pseudo-intellectuels qui utilisent la peur pour faire diversion et s’enrichir. Ils nourrissent la haine des uns et le terrorisme des autres.
L’insécurité est le résultat d’un système qui refuse de reconnaître les causes des problèmes. Le monde dominant entraîne toute la planète vers le désastre, s’il ne se corrige pas. On se dirige tout droit vers l’abîme, si tous les hommes de bonne volonté ne s’unissent pas pour mettre fin à la xénophobie et au fanatisme, à tous les délires.

(*) Philosophe
intellectuels@yahoo.fr

Mustapha CHÉRIF (*)

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