Les leçons de Gaza, l’impunité ne sera pas eternelle

Les leçons de Gaza

Par Mustapha Cherif*

Gaza. Le monde a vécu des moments tragiques, des dialogues de sourds, le détournement du sens des mots et la censure, l’émotion face au carnage, le sentiment d’impuissance, de révolte. Cette guerre injuste, qui a violé les lois humaines, question archi-politique et non religieuse, ni raciale, au motif immédiat bassement électoraliste, doit être interrogée. C’est un tournant dans les relations et les imaginaires entre les palestiniens et les israéliens, le Nord et le Sud, le monde musulman et l’Occident. D’autant que des confusions règnent. La politique d’Israël a pour effet de faire régresser la réflexion. Au Nord, certains,  influencés par les discours  dominants ont des difficultés à discerner entre l’agressé et l’agresseur. Au Sud, d’autres, à force de tout ramener à une violence injustifiable de l’occupant, oublie ce qui reste à faire pour que le monde arabo-musulman ne prête pas le flanc et tienne sa vraie et digne place dans le monde. C’est-à-dire aussi pour que la simplification ne le réduise pas au statut de simple victime. Même si certains s’inventent un nouvel ennemi pour faire diversion, il n’est pas exact que tout l’Occident assimile « musulman » et « fanatique ». Tout comme il n’est pas exact qu’au Sud on assimile « sioniste » et « juif ».

Première leçon :Prise de conscience. Face à la gravité de la situation, les peuples arabes, et des responsables politiques, réagissent d’abord émotionnellement. Cependant, partout, l’immense majorité des manifestants a fait preuve de maturité, gardé son sang froid, respecté les lois de la Cité, et n’est pas tombée dans le piège des provocations. Peu ont appelé à la guerre, mais la plupart ont demandé l’arrêt de l’agression d’une population totalement démunie, soumise au blocus et aux bombardements. Cependant, des régimes arabes, malgré leur riche histoire nationaliste, sont paralysés par la crainte de voir une seule faction de la résistance, à l’idéologie contestée, profiter de la situation. Prisonniers de visions défaitistes, ils se retrouvent incapables d’une analyse historique qui permet de définir leur stratégie. La tragédie de Gaza risque de se répéter si la priorité n’est pas donnée à la mise en oeuvre de nouvelles alliances. L’arme de notre temps est avant tout informationnelle. Il s’agit de communiquer, de comprendre les enjeux, de soutenir la coexistence pacifique entre les peuples, la logique du mouvement de libération, et d’amener les adversaires à s’inscrire dans la négociation, sur la base du droit et non point de la loi de la jungle. Au sein des palestiniens, pour défendre leur intérêt fondamental, l’indépendance et la liberté, il y a une unité à fonder, une stratégie à concevoir et un coût à assumer. La lutte de libération en Algérie a triomphé sur ces bases. La résistance palestinienne, malgré ses limites, vient de démontrer qu’elle est capable de sacrifices.

Deuxième leçon : tirer les leçons du passé. Le monde arabe et musulman, prend conscience que durant des décennies il n’a pas su gérer cette question centrale. La proposition de paix, adoptée à l’unanimité des pays arabes depuis 2002, fondée sur la normalisation avec Israël, en échange des territoires occupés en 1967, est conséquente. Mais elle restera ignorée si des mesures concrètes ne sont pas prises. Des régimes arabes et ces dernières années des groupes manipulés, ignorants des réalités du monde, ont succombé à la provocation, alimentant la peur et la propagande islamophobe, dans le contexte de la mondialisation de l’insécurité. De leur côté, les israéliens et des occidentaux ne voient pas l’injustice que subissent les palestiniens. Aux yeux des arabes, les  israéliens et des occidentaux sont intoxiqués par la propagande sioniste, qui apparaît comme l’anti-judaïsme et l’anti-humanisme. Reste à tirer les leçons pour que chacun travaille ses points d’aveuglement, et tenter de comprendre les  points d’aveuglement de l’autre. Sans correction de l’autisme israélien et occidentale, et sans correction des erreurs arabes par des actions constructives, contrecarrer la désinformation au sujet de la cause palestinienne restera une mission impossible, même si Gaza est devenu le symbole des opprimés, des faibles et des discriminés.

Troisième leçon : Changer la vision de l’Occident. Il faut tenir au droit à la critique. Si un travail de fond n’arrive pas à élever le niveau, pour rester à la fois ouvert et ferme et changer le regard de l’Occident au sujet de l’Orient, une guerre perpétuelle s’annonce. La politique des deux poids et deux mesures, au détriment des palestiniens, a pris des proportions inadmissibles. Elle est en outre contraire aux intérêts des pays occidentaux. Cela ruine leur crédibilité, la sécurité de tous et l’idée d’un ordre mondial juste. L’Europe n’est pas quitte avec son passé. Des pouvoirs en Occident, traumatisés par le génocide des juifs d’Europe, ont encore mauvaise conscience. L’instrumentalisation de l’innommable, la Shoah, constitue le socle du fait qu’Israël  se place au dessus de toute loi. L’inconscient collectif israélien semble avoir des difficultés à assumer l’histoire du judaïsme. Le sionisme mise sur le souvenir de la Shoah et la peur pour la mise au silence de toute critique à l’encontre de sa politique. L’israélien gère l’immense catastrophe qu’a été pour  lui la Shoah, par son exploitation pour se réfugier dans l’impunité. Il amplifie et ne montre que la souffrance des siens. La répression du peuple palestinien est le résultat de cette histoire et de calculs liés à l’ambition d’hégémonie, à la désinformation, à la confusion entretenue au sujet de l’extrémisme mis en avant comme un épouvantail. Pour obtenir l’aval de la communauté internationale en vue de coloniser, de réprimer, de dominer, la propagande stigmatise, alimente le choc des civilisations, diabolise et inculque que tout musulman serait un extrémiste. Fondée sur l’amalgame, elle fait diversion, même si l’opinion n’est pas dupe et que des courants dénoncent le bellicisme et les crimes de guerre.

Quatrième leçon. Cette guerre est une diversion. Comble de la partialité, les occidentaux décident de désarmer le palestinien, la victime, le colonisé, et lui demande de reconnaître son bourreau. L’Occident dit assurer la sécurité au colonisateur et évite de garantir au colonisé sa libération. Le cynisme consiste à prendre des mesures d’aides humanitaires, au lieu de prévoir une conférence internationale pour le règlement définitive  de la création de l’Etat palestinien au côté de l’Etat d’Israël. Gaza impose une question : comment Israël et les USA, et des pays européens consentants, peuvent –ils s’imaginer obtenir sécurité et paix en violant les règles de la guerre et en semant la mort et la haine ? Ce n’est pas un  simple aveuglement, ou un racisme ordinaire. Israël et ses alliés considèrent que l’obstacle à l’hégémonie totale des USA, et du libéralisme sauvage sur le monde, en premier lieu est les peuples de culture musulmane. L’invention d’un nouvel ennemi, a pour but non pas de lutter contre le terrorisme, mais de faire diversion, d’empêcher que les questions des crises et des inégalités que vit l’humanité soient abordées. L’islam, l’autre version de l’humain, est visé. Il est sommé de s’occidentaliser. Lui  refusant la possibilité de donner sa propre interprétation sur la marche du monde. L’islam n’est pas seulement une religion de la promesse pour l’au-delà ; il est aussi l’horizon de l’engagement dans le monde. Les réactions irrationnelles qui revendiquent son nom ne peuvent servir de prétexte à la guerre contre les musulmans. Empêcher que le peuple palestinien accède à l’indépendance c’est créer un abcès de fixation, une diversion, et partant barrer la route à la possibilité de débat au sujet des impasses du système dominant et de la régression du monde musulman. Aujourd’hui, le risque est celui d’une neutralisation des deux dimensions essentielles de l’homme : le politique (la démocratie)  et le religieux (une autre culture) ; rien ne serait politique, rien n’est religieux, dit-on, pour laisser place au nihilisme et mot d’ordre : tout est marchandise. La vision idéologique post-judéo-chrétienne de l’histoire cherche à imposer un seul langage et une seule conception de la modernité. Nier la possibilité d’orienter vers le juste, autrement que par la version occidentale signifie ruiner la possibilité de la démocratie, le lien social et la possibilité de vivre ensemble dans le respect du droit à la différence. Pour être à la hauteur du défi le monde musulman  ankylosé doit revivifier ses potentialités à  la civilisation.

Cinquième leçon. La violence est totale. Il faut une réponse globale, politique, culturelle, économique. L’idée du progrès de l’humanité sous-entend, en Occident, une généralisation de l’athéisme et du capitalisme, comme corollaire de l’émancipation et du développement. La rationalité ne suppose pas seulement la logique séparation des pouvoirs; sans l’exiger expressément, elle vise l’abandon de la culture spécifique. La marginalisation des valeurs abrahamiques dans la sphère sociale est une violence qui pose problème pour toutes les cultures, pas seulement les cultures non européennes. Il ne s’agit pas de remettre en cause la sécularité, ni la liberté d’entreprendre, des acquis qui ne sont pas en contradiction avec le monothéisme, mais de rechercher une cohérence. Confronter à la réalité, il s’agit de dénouer ces nœuds et de ne mépriser  aucun langage, aucune opinion, pour tenter de saisir la portée des paroles capables de  parler à l’esprit des hommes. La culture politique  dominante traite de terroristes ceux qui s’opposent à son totalitarisme. Israël se veut à la pointe de la répression de toute dissidence. Diviser pour régner, multiplier les colonies, rendre irréversible la domination, est la ligne d’Israël, qui ne semble pouvoir exister que dans le bellicisme. Politique systématique de morcellement des territoires occupés, d’apartheid. Gaza coupée du monde. Israël et les Etats-Unis imposent un ordre totalitaire, de murs et de contraintes. C’est le refus de la réciprocité, base de la civilisation. Le tout est habillé par des stratagèmes et des faits accomplis, au lieu et place du droit international. La venue du nouveau président américain Barak Obama peut être une opportunité de corriger cette politique vouée à l’échec. La politique démentielle du président  sortant des USA se résume dans cet accord israélo- américain, cinq jours avant la fin de son mandat, qui réduit la question de la résistance à une « contrebande d’armes ». Israël surarmée pour consolider son rôle de gendarme du monde musulman, tente de fermer le jeu, mais il ne faut pas renoncer à éclairer le nouveau président. Il s’agit de préciser que nul ne peut accepter de vivre à l’ombre d’un Etat qui ne ressemble à aucun autre, qui colonise et se place au dessus des lois. « Terre promise » dans le discours théologique juif, concept contesté,  devenant « Terre Permise ».

Sixième leçon : S’allier. S’allier, est un impératif. Personne ne peut seul faire face aux incertitudes. Dans ce contexte, dialoguer ce n’est point refuser la critique  mais comporte des conséquences : droit à la dignité, à la démocratie pour tous. Les systèmes politiques sont appelés à pratiquer l’humilité, surtout après les grands séismes politiques et leur répliques encore visibles des temps modernes, depuis trois siècles : colonisation rapaces de peuplement, l’innommable figuré par Auschwitz, Hiroshima, le Goulag, Sarajevo, et aujourd’hui Gaza, qui  configurent le tombeau de la modernité. Aucune époque n’a été plus sombre. Mêmes barbares, les siècles obscurs fondés sur la cruauté n’ont jamais atteint ce degré sophistiqué de la déshumanisation et du refus de l’autre dans une logique du chaos, de la loi du plus fort et du risque nucléaire. C’est ce que Gaza subie. Pourtant, l’époque est aussi sans pareille en ce qui concerne la possibilité de résister et la passion de la liberté. La violence sioniste, et néo-conservatrice américaine tentent d’empêcher de réinventer une nouvelle civilisation, une nouvelle Andalousie qui fait défaut au monde. Une nouvelle façon de guérir de la violence aveugle, de se prémunir des idolâtries, des sentiments de haine, pour rechercher le juste de manière publique et commune. Cette civilisation peut se dénommer celle de l’hospitalité, qui n’exclut ni le droit à la résistance, ni le débat, à mille lieues des injonctions qui appellent les peuples de culture musulmane à capituler, à passer à l’Ouest, comme si aucun problème ne se posait. Ce qui se joue en Palestine est aussi l’avenir du droit à la différence, du droit des peuples, même si certains de ceux qui résistent ont une version réactionnaire de la religion et de la politique. La Turquie, l’Iran, le Vénézuéla, la Bolivie, lieux de civilisations, et d’autres, ont conscience du risque historique.

Septième leçon. Revenir au raisonnement. Ce que les peuples de culture musulmane doivent comprendre a trait au fait que la force de la politique occidentale, malgré ses contradictions,  repose sur l’exercice de la raison calculante. L’être moderne prend le risque de raisonner sans états d’âme. Le mondial musulman est en crise, mais cela est conjoncturel. La régression n’est pas fatale. Ce que le moderne, de son côté, doit comprendre réside dans le fait que le musulman a participé, et le peut encore, à la civilisation. L’Occident se mondialise. Ce qui pose problème, pour d’autres cultures c’est cette hégémonie, qui est imposée. Les cultures traditionnelles dans le monde succombent dans la dépersonnalisation. Les musulmans de leur côté résistent, mais sans reformes et créativité cela restera insuffisant. La voix d’un islam digne de ses plus hautes traditions, d’un islam non pas « modéré » – qualificatif faible- mais celle d’un islam de toujours, celui de l’interprétation, du savoir, de la hauteur de pensée : est peu entendue. L’époque actuelle est celle où il est vital que ce qui apparaît comme monde occidental et le monde musulman, liés, analysent leur devenir. L’Occident ne doit pas se laisser bercer par les avancées significatives qu’il a réalisées, et encore moins influencé par les milieux acquis à la logique de l’exclusion. Il doit faire le bilan sur son histoire et s’interroger sur les risques qu’il fait courir à l’humanité, de par les inégalités qu’il impose. Le monde musulman, sur le plan externe, ne peut céder face aux agressions, et, au  niveau interne, doit s’interroger sur les dérives des extrémistes politico-religieux et l’absence de pratiques démocratiques. Cette double résistance, sera salutaire si elle prend en compte ces enjeux. Gaza est le signe qui appelle à la réflexion vigilante.

MC est philosophe algérien

Une réflexion au sujet de « Les leçons de Gaza, l’impunité ne sera pas eternelle »

  1. JOCELYNE MOUTON

    J’ai été depuis novembre 2003 plus que jamais unie avec le peuple palestinien à la suite du 2ème voyage interreligieux pour la paix organisé par Témoignage chrétien et la visite à Ramllah et du camp de réfugiés de Kalendia, plus que jamais unie avec le peuple palestinien depuis juin 2004 : ma rencontre lors du 1er salon international des initiatives de paix avec Ziad, professeur au Lycée Al-aqsa de Gaza;lors du 2ème voyage auquel j’ai pris part en novembre 2004 à nouveau avec Témoignage chrétien : que lisait-on sur mon visage?
    je n’ai cessé depuis cette période d’écrire à toutes celles et ceux qui étaient en capacité d’agir des effets de la colonisation.
    Mon voyage au Liban au printemps 2007 pour continuer le chemin de la connaissance : pourquoi?
    Dès le début de cette nouvelle guerre inutile déclenchée par l’état d’Israêl contre la bande de Gaza, je me suis engagée totalement, unie avec mes amis de Gaza et puisque je suis ancrée dans l’espérance, je me fais le relais auprès de vous d’un projet pour soutenir le Lycée Al-aqsa et son projet de développer la francophonie.
    Comme le peuple palestinien, je suis entrée en résistance, en résilance, ayant échappé ici en France par deux fois au pire.
    pour Shalom, Salam, la Paix Jocelyne Mouton

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