La nécessité de mettre fin au pessimisme

LA CONFRONTATION DES CULTURES
La nécessité de mettre fin au pessimisme
30 Avril 2009

Le monde est pluriel, nous ne sommes pas seuls. La diversité des cultures, des croyances et des non-croyances est grande. L’esprit de tolérance et de vigilance est requis. Notamment en ces temps modernes. La patience, l’écoute et le dialogue sont nécessaires. Pour oeuvrer au vivre- ensemble, les partisans du dialogue savent que les religions ne doivent pas se limiter à un «front commun» contre la société déspiritualisée et les dérives du monde moderne. Les croyants doivent sans cesse se remettre en cause, dénoncer toutes les formes de fermeture. A cette condition, ils peuvent témoigner ensemble qu’ils sont capables de répondre au monde, de dépasser la «désignification», ou à tout le moins de susciter une nouvelle interprétation du «sens» qui se dérobe, que le monde ne peut saisir. La crise est morale, politique et religieuse. Nul ne peut se passer du besoin d’articuler les deux dimensions, sans les confondre. L’annonce que Occident et Orient, chrétiens et musulmans peuvent débattre, parler, est une possibilité d’interpellation et d’interprétation pour empêcher d’un côté la confusion et de l’autre, la déshumanisation. La crédibilité de cette approche dépend de la nature et du niveau du dialogue, au sujet de la justice, de la foi et de l’engagement dans le monde. D’où l’importance de pratiquer le dialogue scientifique, théologique et culturel. D’autant que la complexité des problèmes est telle que le dialogue des civilisations si nécessaire n’est pas suffisant.

Aptitude au sens de l’ouvert
Dans ce sens, les rencontres ne peuvent se limiter au dialogue entre les religions monothéistes: l’islam, le christianisme et le judaïsme. Cela réduit le champ de réflexion dans un monde pluriel et de surcroît, critique vis-à-vis des religieux. Il est salutaire de penser les autres sources culturelles, à commencer par celles qui ont généré d’une part la modernité, d’autre part le monothéisme, pour parvenir à la compréhension de notre histoire et de notre temps. Cette aptitude au sens de l’ouvert, du décentrement, du déplacement du regard n’est pas évidente dans la trame du règne de la pensée unique. Le penchant à l’ethnocentrisme domine trop souvent. Le citoyen occidental semble avoir des difficultés à sortir de l’européocentrisme, du cadre mental gréco-romain et moderniste, et le musulman aujourd’hui à des difficultés à imaginer et comprendre l’autre différent en particulier le non-croyant. Le dialogue devrait permettre d’apprendre à tenir compte des autres visions culturelles. Les racines, les valeurs et l’horizon du monde arabo-musulman ne sont pas assez connus et vice versa. En découvrant les richesses et les singularités de l’autre et son sens du rapport au monde on peut apprécier ce qu’on pourra échanger en ce qui concerne la recherche d’une nouvelle civilisation. Il est urgent de dépasser le complexe de suffisance et de supériorité et de travailler à une transculturalité et une transmodernité. En interprétant bien l’héritage culturel, le Coran, notre histoire, on peut découvrir qu’il est question autant de culte à rendre au Créateur que de réponse libre à apporter au monde, de réponse à donner à l’autre, de souci de compréhension de la culture de l’autre, sans s’aliéner, pour surmonter l’épreuve du vivre. Il est urgent de sortir du pessimisme. Trop de discours de type «militant», sont dogmatiques, réactifs les uns envers les autres. Diverses questions cruciales sont soulevées de maniere polémique: le problème de l’identité, confronté à la tension entre singularité et universalité, le problème de la langue, dans son opposition entre signifiant et signifié, la problématique de la modernité et de l’archaïsme, le rapport entre nation et mondialisme, celui de la démocratie. Dans la mesure où un espace donné comme celui des intellectuels fait avant tout appel à la raison et au respect d’autrui, l’individu doit respecter le droit à la différence et tenter de répondre, en collaboration avec ses concitoyens, aux questions importantes qu’il n’a pas toujours le temps de se poser et de problématiser. Face à la situation de dominant et de dominé, à tour de rôle, que certains veulent perpétuer par tous les moyens, et face à l’ignorance méprisante du développé économiquement dans ses relations avec les autres, ont doit opposer une conscience humaine commune soucieuse du respect de la différence. D’autant que les valeurs abrahamiques et celles du siècle des Lumières ne sont le monopole d’aucune culture, en particulier autour de la Méditerranée. Elargir le dialogue à tous ceux qui refusent l’injustice, l’exclusion et la fermeture est un chemin qui ne peut qu’être fructueux. Une Maison de la sagesse, une agora, un espace ouvert, pour ne pas ressembler aux oppresseurs et aux marchands du temple.
Les cultures et religions juive, chrétienne et musulmane ne peuvent pas ne pas se sentir responsables, séparément et ensemble par rapport à la destinée de l’homme au regard de l’au-delà du monde et à son destin historique. Nombre de théologiens et chercheurs affirment que le destin de l’humanité est indissociable du destin de la planète Terre elle-même, dans la mesure où la maîtrise de l’homme moderne, dans l’ordre scientifique et technologique, peut mettre en danger la survie de l’espèce humaine. Le progrès peut avoir des effets pervers sur la vie humaine. Nous avons, en effet, croyants et non-croyants, une responsabilité commune à l’égard de la survie même de l’humanité. Les nombreux défis politiques, éthiques, écologiques, économiques, culturels de notre époque devraient amener les religions monothéistes et les philosophies humanistes à une parole commune et, partant, à l’obligation de l’interconnaissance et de la reconnaissance réciproques, avec la nécessité de réinterpréter leurs références fondatrices et leurs pratiques, pour ne pas se couper du mouvement du monde.

Révolution culturelle et mentale
Il y a des enjeux théologiques, culturels et politiques importants pour les chrétiens comme pour les musulmans dans le dialogue face aux défis de notre temps. Dans ce cadre, de notre point de vue, la théologie chrétienne, par exemple, doit aller plus loin que les principes rappelés par Vatican II. Car la religion chrétienne, lorsqu’elle est confrontée à l’Islam en particulier, est encore définie de manière restrictive. Alors que l’Islam se veut révélation directe et participant à l’histoire du salut, des discours chrétiens perçoivent, depuis des siècles, les autres religions comme des réalités isolées et mineures par rapport à la révélation chrétienne, au lieu de comparer ce qui se dit et se vit dans la relation au mystère, à partir du christianisme et de l’Islam. Il est urgent d’opérer une révolution culturelle et mentale pour faire reculer les injustices et inégalités entre les mondes. Le fonds commun de l’islam, du christianisme et du judaïsme, leur univers culturel, n’est pas suffisamment pris en compte. Le fonds commun est remis en cause par la modernité sécularisée et en même temps par les attitudes rétrogrades de religieux qui troublent le rapport entre foi et raison, religion et démocratie. En conséquence, réfléchir ensemble sur le devenir de nos valeurs communes et les échecs flagrants de la Raison instrumentale comme principe de gouvernance du monde et ceux des Eglises, qui ont succombé à cette logique, est une question de survie, et non pas seulement de tolérance ou de curiosité. Il ne s’agit pas seulement de s’enrichir par la rencontre de l’autre, ce qui est déjà positif et fort utile, mais de surtout faire face ensemble, croyants et non-croyants, aux incertitudes et errements du monde dont une part de responsabilité est celle des religions, notamment le christianisme qui a accompagné la trajectoire de l’Occident en train de se mondialiser. Une nouvelle fois, il ne s’agit pas d’abord d’être croyant ou non-croyant, mais ouvert ou fermé. Ce qui compte c’est l’honnêteté, le sens de l’équité, et de la dignité. L’Algérie, fière de ses racines et ouverte sur le monde, est capable de donner l’exemple d’une nouvelle civilisation.


Mustapha CHERIF (*)

2 réflexions au sujet de « La nécessité de mettre fin au pessimisme »

  1. GUERFI

    Bien cher Professeur,

    L’apprentissage du dialogue est un processus autant personnel que sociétal.

    Accroître les aptitudes et les capacités au dialogue implique une volonté d’ouverture non dénuée d’esprit critique.

    La culture religieuse ne va pas de soi

    Le Mouvement laïque québécois se dit profondément en désaccord avec le nouveau programme d’Éthique et culture religieuse.

    Invité à soumettre son avis par le Comité des affaires religieuses, il estime la composante « culture religieuse » confondante et conflictuelle.

    « Nous souhaitons que disparaisse la composante de culture religieuse des programmes du primaire et du secondaire, car cette partie de la matière risque de générer de nombreux conflits et ne correspond certainement pas au niveau de maturité des enfants et des adolescents. »

    « De plus, la composante de culture religieuse, lorsqu’elle est jointe à la composante d’éthique, est extrêmement problématique, car elle crée des conditions propices à la perpétuation de la confusion indue entre les principes de l’éthique fondamentale et certaines prescriptions religieuses ».

    « Les fondements philosophiques universels du droit ne peuvent être présentés comme des équivalents aux dogmes religieux, et c’est malheureusement l’amalgame qui peut facilement se produire lorsque l’éthique et la culture religieuse sont enseignées dans un seul et même programme. »

    « Nous pensons que des cours d’éthique et aptitude au dialogue tout au long du primaire et du secondaire seraient suffisants pour assurer l’instruction commune des jeunes. Des cours de culture religieuse pourraient cependant être offerts comme cours à option en 4e et 5e secondaires lorsque les jeunes ont la maturité suffisante pour assumer un tel apprentissage et mener les réflexions importantes qui en découlent nécessairement. »

    (paru dans le numéro 7 de Cité laïque, revue humaniste du Mouvement laïque québécois).

    Le dialogue nous concerne tous : des décideurs et responsables aux membres individuels de chaque communauté.

    L’Europe :  » Souhaitable hier, le dialogue est plus que jamais une nécessité aujourd’hui. Non pas pour s’aligner a contrario sur l’idéologie du choc des civilisations sous couleur de la combattre,mais pour faire échec aux ignorances, dont cette idée même de choc des civilisations est l’une des formes les plus nuisibles ! Car c’est bien du choc des ignorances, bien plus ravageur, qu’il s’agit.

    Mais quelle place y a-t-il pour un dialogue réel entre les civilisations et les peuples,lorsque la culture et le sacré sont exploités pour contester « l’ordre établi », tant interne qu’international ?

    Quelle place y a-t-il pour la culture, dans une ère où la globalisation des risques et la privatisation de la violence érigent la sécurité, tant collective qu’individuelle,en priorité absolue, tout en la rendant singulièrement complexe à préserver.

    Quelle place aussi, pour la culture, dans une ère où les nations se définissent en termes de compétitivité et de parts de marchés ?

    Quelle place pour la diversité culturelle dans l’ère de l’uniformisation et du politiquement, voire du culturellement, correct ?

    Autant d’interrogations qui se posent particulièrement en Méditerranée, lieu de mémoire,
    berceau et carrefour de civilisations depuis toujours, mais devenue la ligne de toutes les
    fractures, tant la violence réelle et symbolique y est structurelle.

    Pour les peuples du Nord et du Sud de la Méditerranée, l’enjeu immédiat est de faire face,
    non plus séparément, mais ensemble et dans le respect de leurs différences, aux incertitudes et aux mutations internationales.

    L’enjeu à terme est de développer le sentiment autant que la perception d’un destin partagé.

    Le Dialogue des Peuples et des Cultures doit donc jouer un rôle décisif dans la construction d’un espace euroméditerranéen qui « tienne ensemble et fasse sens ». À cet effet, ce dialogue doit aller bien
    au-delà des mécanismes classiques de coopération et d’assistance internationale et régionale.

    Il doit aussi trouver son ciment dans la connaissance et la compréhension mutuelle, non seulement des États et des institutions, mais aussi et surtout des sociétés et des personnes vivant dans cet espace commun.

    La manière de valoriser la dimension culturelle passe
    principalement par l’Éducation (dès le stade de l’école, de l’enfance, et aussi dans le cadre de la famille), ainsi que par la vie au travail et dans la cité .

    Toute action dans ce domaine commence par l’École, dès le plus jeune âge, celui où se déterminent les comportements futurs.

    C’est à l’École que l’enfant apprend le respect,
    respect de lui-même d’abord, puis respect de l’Autre. C’est à l’École qu’il découvre un regard sur soi, qui ne va pas de soi, mais qui pourtant détermine son regard sur l’Autre.

    Pour peu qu’il y soit incité par des enseignants avisés et formés à cet effet, c’est à l’École
    que l’enfant fait l’apprentissage du goût, de la curiosité, du désir de franchir les frontières
    de la connaissance.

    C’est tout au long du cycle de l’éducation qu’il reçoit peu à peu les fondements de la Connaissance qui lui permettront, adulte, de se forger une pensée
    critique et d’assumer librement les choix de sa conscience dans le respect de celle d’autrui.

    Il faut cependant être conscient qu’une telle démarche n’est pas aisée à mettre en oeuvre
    tant elle demande une volonté politique forte au niveau de la décision, une constance dans
    l’effort de la part des enseignants, une vigilance de tous les instants dans son application
    par tous.

    Au Nord de la Méditerranée, le risque est double. D’abord, le risque d’une cohérence insuffisante au niveau de l’Union européenne.

    Pour s’en prémunir, l’UE devrait pouvoir
    s’appuyer sur les dispositions pertinentes de la future Constitution.

    À ce premier risque s’ajoute celui de la persistance de mouvements populistes et xénophobes dans certains
    États membres, ce qui pourrait entraver l’adhésion de l’ensemble des vingt-cinq membres de l’UE à la philosophie d’action suggérée ici.

    Quant au Sud, il dispose de peu d’éléments de protection contre les conséquences d’un
    double langage ou d’un détournement de l’objet du Dialogue au sein d’une partie de ses élites ou de sa société civile.

    Ne lui restent que le courage politique et la volonté
    d’ouverture pouvant s’appuyer sur une politique de voisinage qui ne resterait pas « à la surface des choses » mais qui engagerait– au côté des structures de pouvoir traditionnelles– toutes les forces vives des sociétés civiles. » (morceaux choisis du dialogue entre les peuples et les cultures – Rapport du Groupe des Sages créé à l’initiative du Président de la Commission européenne – Bruxelles, octobre 2003)

    Les Etats Unis :  » Le dialogue interculturel est de grande importance à tous les niveaux, suite à la crise mondiale précipitée par les attentats du 11
    Septembre 2001, ainsi que la réponse à ces attentas,
    tels les nombreux conflits militaires dans
    lesquels sont impliqués les Américains et leurs
    alliés. Il est plus important que jamais que les
    citoyens américains s’impliquent et s’engagent
    dans les dialogues interculturels et interreligieux. »
    (UNITWIN/UNESCO Réseau des Chaires UNESCO du dialogue interreligieux pour la compréhension interculturelle).

    l’Asie : « LE DIALOGUE ENTRE LES RELIGIONS EST LA VOIE QUI MENE A LA PAIX »

    L’Europe en construction, déjà située stratégiquement entre l’Ouest américain et l’Orient asiatique, et touchant presque le continent africain, ne pourrait-elle pas se revoir comme le nouvel « Espace du Milieu » ?

    Amitiés bien fraternelles

    Amane GUERFI

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