Mettre fin à la décadence !

Réalité et perspective du musulman

Mettre fin à la décadence

Par : MUSTAPHA CHÉRIF

Pourquoi le monde arabo-musulman a périclité à compter du XVIe siècle, après mille ans de grandeur ? Comment les cultures de l’islam, arabe, perse, turc, arabo-berbére, de Cordoue à Bagdad, de Tachkent à  Tombouctou, de Fès à Tlemcen, de Béjaïa à Damas, qui ont fait briller de mille feux les sciences et le savoir, contribué à élever la condition humaine, réalisé le vivre ensemble comme nulle part ailleurs et nourri la renaissance européenne, ont ensuite succombé à la léthargie et au recul ? Que s’est t-il passé ?


Peu d’études sur la décadence temporelle d’un monde qui a réussi, un temps, à produire des comportements de génies, des idées novatrices et une civilisation raffinée, lumineuse, équilibrée et humaniste, comme personne n’a pu le faire ni avant ni après. Certes, les civilisations sont mortelles et le cycle est fondé sur naissance, grandeur et décadence. Cependant, il est impérieux de connaître les causes, afin sans nostalgie, ni apologie d’un “âge d’or”, de penser au renouveau. Sinon, le sous-développement, la dépendance et le retard s’aggravent.


Le déclin a commencé après la destruction de Bagdad par les Mongols en 1258, même si les musulmans allaient reconquérir leurs territoires et que des Asiatiques se convertirent à l’islam. La date symbole du début de la fin de l’ère musulmane triomphante est 1492 correspondant à la chute du dernier émirat de Grenade en Andalousie. L’influence de l’esprit islamique éclairé va se réduire, même si la chute de Constantinople, qui va devenir Istambul, a lieu en 1453 et marque la fin de l’empire byzantin, ainsi qu’une nouvelle ère pour l’Empire ottoman. L’Europe qui s’opposait prépara son éveil qui va connaître l’apogée au XIXe siècle. Les résistances comme celle héroïque de l’Émir Abdelkader et les tentatives de Nahdha ne purent freiner le déséquilibre.


Il y a au moins trois causes : politique, culturelle et économique. La première est politique. Des pouvoirs, au lieu de préserver une sorte d’aristocratie-démocratie et d’assurer l’émancipation, durant le règne abbâsside deviennent despotiques, injustes et monopolisent la prise de décision. Cela à démobilisé les masses et les élites. Deuxièmement, sur le plan culturel la cause est liée à la rupture de liens fondamentaux. En islam, sans confusion, la notion de lien, qui a produit de la civilisation, est décisive, comme entre foi et raison, corps et esprit, individu et communauté, spécifique et universel, religion et monde. L’Umma se veut communauté médiane, lieu de l’harmonie.


Après l’invasion mongole, les savants rompirent les équilibres qui symbolisent le modèle prophétique de l’Homme Total et de la Tradition primordiale. Ils se refugièrent dans des comportements défaitistes qui ont abouti à la fermeture des portes de l’ijtihad. La troisième cause est économique. Alors que la science arabe à été décisive dans les progrès scientifiques, l’entrée dans l’époque de la technique, au service de la marchandisation, la production des richesses et leur circulation changent, à travers les transformations opérées par les pays préindustriels.

La conjonction de ces facteurs et d’autres comme l’affaiblissement des relations entre l’État et la société, la science et les masses,  sont décrits par Ibn Khaldoun et plus tard par Malek Bennabi, en parlant de séquelles de la djahiliya.
Tout est encore possible, pour retrouver du progrès allié à l’authenticité. Malgré de prodigieux acquis liés à la technoscience, le monde dit moderne est dans l’impasse, et la décadence du monde musulman est politique et économique, non pas spirituelle. L’ignorance fait des ravages dans nos sociétés. L’islam, révélé pour la dernière phase de l’histoire de l’humanité, reste heureusement une religion progressiste, logique et vivante.

Ce sont des “musulmans” qui ont perdu de vue la signification véritable du Message révélé et la voie du Prophète. Ils s’attachent à la gestuelle et s’enferment de manière triste dans le superficiel et la superstition.  Cela n’a plus rien à voir avec la lumière du Coran, qui précise que le savoir est la base de tout. Si l’homme est désigné comme “lieutenant de Dieu sur terre” c’est grâce à la qualité octroyé d’un être doué de raison.

Ne pas raisonner, ni réfléchir, ni utiliser son intelligence, ne pas faire l’effort pour comprendre le monde, le transformer dans le bon sens du terme, et assumer ses responsabilités, c’est contredire le Coran et prêter le flanc aux dominations et manipulations.


La révélation responsabilise. Chaque individu sera jugé sur ce qu’il a fait d’Al amana, la raison, en vue d’être à la hauteur de sa mission : raisonner, adorer Dieu et faire du bien. La première sourate révélée Al Alaq, révélée durant le mois de Ramadan en 612, est un éloge du savoir. Elle est fondée sur les concepts de lecture, d’enseignement et d’écriture, pour inciter à connaître le Vrai, à travers Ses signes en nous et dans le monde. L’éloge de la science et de la connaissance est central, tout en sachant que “Dieu” guide à sa Lumière qui Il veut.
Le mot “Rabb’’ Seigneur est issu de la racine “rabba’’ qui signifie éduquer. Il évoque l’idée d’un “Dieu” qui éduque cultive et instruit.

L’inauguration du Coran par le thème du “savoir” est un signe unique dans l’histoire des religions, des cultures  et des sagesses. Le Prophète est appelé à proclamer. “ Dis : Seigneur! Donne-moi encore plus de savoir”. (S20/V114). Adorer Dieu ne se limite pas au culte, cela passe par la recherche du savoir spirituel et temporel
Al-Ilm concerne toutes les dimensions, l’apparent et le caché, le métaphysique et le physique.

Le mot Al Ilm et ses dérivés sont utilisés 700 fois et le mot livre dans 230 versets. Les mots liés à la notion d’écriture dans 319 versets, le mot raison, aql, et ses occurrences 48 fois ! Pour être un bon musulman, il est obligatoire de réfléchir, d’observer, d’écouter, de remettre en cause ce qui vient entraver le rapport au vrai : il ne faut rien idolâtrer, à commencer par l’égo.

Témoigner qu’il n’y a pas de dieux sauf Dieu, cela libère. Pour mettre fin à la décadence, il n’y a pas d’alternative au savoir et la connaissance, à la culture scientifique, alliée à une vision ouverte et juste du monde qui respecte la pluralité.

Mustapha Cherif

 

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