ISLAM-OCCIDENT: Les buts du Dialogue

ISLAM-OCCIDENT
Les buts du Dialogue

Par Mustapha Cherif


Un débat. Le parti du Front de libération nationale, dans le cadre d’un atelier de recherche, vient d’initier une série de conférences sur des questions scientifiques. La première rencontre a retenu l’attention, compte tenu du sujet: «Pourquoi le dialogue des cultures et des religions?», question fondamentale et d’actualité. Le secrétaire général du FLN, qui a présidé la séance, a mis en exergue l’historique du sujet, posé les questions essentielles et appelé les intervenants à tenter d’y répondre. J’ai participé à la rencontre en donnant mon point de vue.
La teneur des opinions des conférenciers invités a montré la diversité des positions mais aussi que des confusions et difficultés règnent sur ce thème complexe. Il est impérieux de clarifier la problématique.

Deux types d’approches se recoupent et ratent l’essentiel.
La première est celle de l’attraction face à l’Occident. Elle n’apporte rien de nouveau, récite une leçon pour lui plaire et stipule que «le monde musulman a participé par un passé glorieux à la civilisation occidentale», en mettant en avant les apports des sciences et de la langue arabes aux cultures européennes et en précisant «qu’il n’y a pas de problème entre l’Occident et l’Islam». Certes, la convergence et le fond commun abrahamique et gréco-arabe sont importants, mais nul ne peut nier les singularités et les divergences et le fait que l’occidentalisation du monde pose problème.


Cette position de «passage à l’Ouest» occulte la réalité de notre temps et les enjeux. Elle contourne la difficulté. Elle se présente en position de faiblesse, qui n’avance en rien la compréhension et le traitement du sujet. D’autant que des discours en Occident, considèrent que ce rappel est de la nostalgie inopérante d’un âge révolu et réfutent l’idée de l’apport civilisationnel arabe.


Au sujet de l’affirmation «qu’il n’y a pas de problème entre l’Occident et l’Islam» cela est perçu comme une reconnaissance que le modèle occidental dominant aujourd’hui est à suivre. C’est en effet une fuite face à la profondeur de la question, une forme d’alignement sur le modèle occidental. Mettre l’accent sur la grandeur ancienne et sur l’idée de compatibilité à la modernité, peut séduire un instant, mais l’effet de scène ne dure pas. 

 

L’ambivalence de l’Occident


Dans le contexte de la mondialisation-occidentalisation, au moment où les concepts d’Occident et d’Orient sont dépassés, de quels Occidents et modernités parle-t-on? Ceux des valeurs des droits de l’homme, ou de la xénophobie et de la marchandisation de la vie? Ceux de l’Etat de droit ou des discriminations? Ceux du multiculturel ou de l’uniformisation? L’Islam non seulement est compatible avec la raison, la sécularité et la démocratie, mais il les exige et les fonde à sa manière. Les peuples doivent pouvoir s’affirmer tels qu’ils se veulent, et les peuples d’Islam tout comme les autres.


La deuxième position est celle des tenants du conservatisme, qui, dépassés par les événements, marqués par le repli, s’affirment dans la répulsion et disent en bloc et sans nuances être contre le dialogue des religions et des cultures. Ils multiplient les accusations envers l’Occident, dans un langage polémiste. Ils s’imaginent peut- être qu’ils sont meilleurs musulmans quand ils sont contre l’Occident. Il ne faut pas diaboliser l’Occident, ni l’idéaliser. Tout comme il est légitime de refuser que le musulman soit diabolisé ou idéalisé. Le dialogue est incontournable, on pourrait donc juger superflu de plaider sa nécessité. Mais cette nécessité n’est pas reconnue par tous, ni du côté de l’Occident ni du côté du monde arabo-musulman. Ces entités ont tendance à se raidir.
Il faut avoir une pensée du discernement.

Quand il y a de mauvaises pratiques chez des musulmans ou des Occidentaux, il faut les critiquer. Pour pouvoir le faire de manière objective et forger une société responsable et ouverte, le défi à relever est celui de l’éducation et de la culture. L’Islam est une religion qui est méconnue par les étrangers et incomprise par nombre de ses propres adeptes.
Ces conservateurs de la deuxième position, celle du repli, se prévalent de la mission de gardiens de la tradition, de défenseurs de l’arabo-islamisme et sévissent dans des médias! Même les «Arabes» de la djahiliya avaient un code d’honneur et acceptaient les joutes oratoires avec autrui. Si la première position est naïve, la deuxième est indigne des valeurs civilisées de l’Islam et est contraire aux directives du Saint Coran.

De quel monde musulman parle-t-on? Celui majoritaire des valeurs d’hospitalité ou de la fermeture? Celui ancestral de la culture de l’ijtihad, du bon sens et de la sagesse, ou celui de l’extrémisme? Les deux positions, celle de l’attraction et celle de la répulsion, manquent de crédibilité scientifique. L’Occident déroute. Il est comme «Janus», ambivalent, à deux visages, à la fois auteur de progrès prodigieux fondés sur la technoscience et porteur de comportements risqués pour l’humanité. Notamment, compte tenu des ruptures entre les dimensions essentielles de l’existence et le fait d’imposer par mille moyens sa version unilatérale religiophobe et consumériste, liée au libéralisme sauvage. L’arrogance qu’il a à s’approprier, de manière injustifiable, des valeurs comme la démocratie, la sécularité et la raison, et sa politique des deux poids et deux mesures et de la loi du plus fort aggravent la situation. 

 

Les raisons d’un dialogue


Le monde musulman, qui recèle d’une vision du juste milieu, de la ligne médiane, d’une version de l’humain, équilibré et apte, résiste. En tant qu’arbre qui porte des fruits, l’Islam est attaqué par des ignorants et comploteurs. Parfois, la résistance des musulmans est irrationnelle et obscurantiste. Elle nuit à ce qu’elle imagine défendre, et les attaques redoublent de férocité. Ainsi, se profilent les réponses à la question posée au sein du monde musulman: «Pourquoi le dialogue des religions et cultures?». Je peux énumérer au moins dix raisons:


1- Le monde musulman a dialogué du temps de sa grandeur et accueilli les découvertes et des valeurs des autres cultures. Aujourd’hui, environ 80% des musulmans du monde vivent sous des despotismes, dans la paupérisation et la fragilité et 40% sont illettrés. Au vu de l’écart entre théorie et pratique, en temps de décadence, de sous-développement et de dépendance, plus que jamais il doit faire son autocritique, s’ouvrir et dialoguer.
2- Tous les problèmes sur le plan interne se posent en même temps: politiques, économiques et culturels, et sur le plan mondial la crise est multidimensionnelle. Le dialogue des cultures et des religions est par conséquent vital. Nul ne peut tout seul faire face aux défis de notre temps. Nulle part, l’oeuvre d’une seule civilisation est irréversible, n’est suffisamment accomplie pour protéger des dérives.


3- Le monde est un village planétaire où les problèmes sont communs aux humains, quelles que soient leur culture et leur religion. Les mondes «occidental» et «oriental» sont imbriqués, liés, leurs limites et frontières sont factices, malgré les politiques de forteresse.


4- Il n’y a pas d’alternative au dialogue que la confrontation et la guerre nuisibles pour tous. L’isolement, le repli et l’ignorance sont voués à l’échec.


5- La réalité de l’Islam et des musulmans est déformée. Ils sont pris comme cible et comme nouvel ennemi. La désinformation et la propagande antimusulmane, islamophobe s’inscrivent dans une stratégie d’hégémonie. Elles fabriquent de la terreur, manipulent, amplifient nos faiblesses internes et les errements d’extrémistes pour faire effet d’épouvantail. C’est une guerre multiforme qui pratique la stigmatisation, les amalgames et les boucs émissaires, pour faire diversion aux impasses et iniquités du système dominant et contrôler les richesses. En riposte, dialoguer, communiquer et instruire est incontournable en vue d’éclairer l’opinion publique internationale.


6- Nos références fondatrices spirituelles: le Coran, la Sunna et l’héritage culturel et scientifique islamique nous ordonnent de dialoguer et de la meilleure façon, entre nous et avec autrui. Ce n’est point un luxe, c’est un principe de base de la foi, de la raison et du bon sens pour surmonter les épreuves de l’existence.


7- Le Coran et la Sunna ne font pas que tolérer, ils reconnaissent le droit à la différence et le pluralisme religieux et culturel.


8- Le Coran et la Sunna prophétique offrent une méthode claire pour dialoguer: l’obligation de s’ouvrir, d’accueillir l’autre et en même temps ils appellent à la prudence et à la vigilance afin de ne pas être otage de l’autre.


9- En tant qu’Algériens, nos références historiques contemporaines, de l’Emir Abdelkader à l’Appel de Novembre, aux différents congrès, de la Soummam jusqu’aux textes postindépendance, toutes garantissent et reconnaissent les vertus de la diversité dans l’unité de la Nation et préconisent le dialogue entre les peuples. Aucune culture est monolithique, autosuffisante, fermée et non redevable aux autres. Une culture s’élève au rang de civilisation à partir du respect de la pluralité, du dialogue, du partage, de l’échange et de la synthèse, pour atteindre l’universel et croître dans sa trajectoire propre. Nul ne peut progresser sans le dialogue, l’échange et la confrontation des idées dans un contexte de liberté et de comportement responsable. Reste à traduire cela dans les faits.


10- Sans le dialogue, il est impossible de changer le rapport de force et déjouer les pièges, les instrumentalisations et les manipulations de ceux dans le monde, qui cherchent à justifier des situations de domination et à se limiter à changer la forme et non le fond de la réalité. Le monde moderne n’a pas su créer de civilisation, les cultures ont succombé au modèle dominant déshumanisant, marchand et le monde musulman ankylosé a perdu son niveau d’antan. L’humanité est dans l’incertitude. Le dialogue est incontournable pour rechercher ensemble un monde qui ait du sens, logique et juste. Ce sont les trois conditions pour réinventer de la civilisation universelle et empêcher que la propagande du «clash des civilisations» l’emporte, comme cela se profile.


Si cela arrive, cela signifiera que l’humanité éprouve les limites extrêmes de sa tendance au vivre-ensemble, que la banalisation de la haine se généralise et que la diabolisation d’autrui ont atteint des cimes, que la pulsion de vie et le besoin de partage qui poussent les hommes à s’unir, se sont épuisés, abdiquant face à la pulsion de mort et d’isolement. Il est plus facile de susciter la méfiance, la haine et le rejet d’autrui que le respect mutuel. Raison de plus pour dialoguer et ne pas s’abandonner à la lassitude.


Nous refusons d’imaginer, d’un côté, un monde libéralo-fasciste, de l’autre, obscurantiste et totalitaire, où rien ne s’échange, rien d’humain ne circule, rien de sage ne se dit, sauf ce qui favorise des relations conflictuelles. Tous les Européens ne confondent pas Islam et fanatisme. Tous les musulmans ne confondent pas agresseur et occidental. Par le dialogue des cultures et des religions, l’élargissement de notre sentiment d’appartenance à l’humanité toute entière doit l’emporter. Si on sort des carcans les instances internationales chargées de cette question et si on dialogue vraiment, pour pratiquer l’interconnaissance, qui contribue au discernement, au rapprochement et au vivre-ensemble, il reste un avenir.


Mustapha CHÉRIF (*)

 

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